La démocratie sénégalaise à l'épreuve d’un pluralisme débridé
Dans une note publiée par la Direction générale des Élections à la date du 3 novembre, 261 candidats à la candidature ont été enregistrés pour l’élection présidentielle du 25 février 2024. Cette situation pose le débat sur le fonctionnement de notre démocratie avec cette pléthore de candidats.
Le prochain scrutin présidentiel aiguise les appétits dans le landerneau politique et même dans la société civile. Ainsi, la Direction générale des Élections, à la date du 3 novembre, avait enregistré 261 candidats à la candidature pour l’élection présidentielle du 25 février 2024.
Ils sont donc près de plus 250 prétendants à s’être engagés dans le long et périlleux processus de parrainage où ils doivent engranger le soutien d’au moins 0,6 % du fichier électoral, soit près de 44 559 parrainages valables. La campagne de collecte des parrainages est ouverte depuis le mercredi 27 septembre et doit durer deux mois. Principal piège à éviter en vue de l’examen des dossiers de candidature par le Conseil constitutionnel prévu entre le 26 décembre 2023 et le 12 janvier 2024, les doublons entre candidatures concurrentes.
Lors de la Présidentielle 2019, des candidats comme El Hadj Malick et Bougane Guèye Dany n’avaient pas pu réunir le nombre de signatures nécessaires pour que leur candidature puisse être acceptée par le Conseil constitutionnel. La réforme de ce processus avec le recours désormais à un parrainage parlementaire (13 députés) et des élus locaux (120 maires et présidents de conseil départemental) est susceptible d’élargir le spectre dans l’optique de ce scrutin.
De ce fait, le nombre de candidatures pourrait doubler, passant de cinq en 2019 à une dizaine de candidats à l’issue du parrainage. Ce nombre exponentiel de candidats à la candidature pose avec pertinence le fonctionnement de notre démocratie.
Pour certains, comme l’ambassadeur des États-Unis, ce nombre est l’expression d’une démocratie vigoureuse et plurielle. Le chef de la diplomatie américaine au Sénégal, Mike Raynor, est d’avis que la diversité des candidats enrichit le processus démocratique, car permettant à une multitude de voix et de points de vue d'être entendus. Une multiplication des candidatures peut être aussi source d’une pluralité politique permettant divers groupes comme les femmes, les jeunes, les personnes en situation de handicap de s’imposer sur le champ politique.
Néanmoins, dans un système démocratique où prévaut le système de clientélisme, le parrainage constitue un formidable outil de pression de certains groupes ou associations auprès des candidats. Ainsi, il n’est pas rare de voir des candidats s'engager dans le parrainage pour enfin reverser leurs signatures à d’autres candidats en échange de futures positions au sein des diverses coalitions qui se mettront en place après la publication officielle des candidats retenus. D’autres personnes dénuées de légitimité politique ou de représentativité auprès du peuple, mues par des intérêts purement mercantilistes, n’hésitent pas à monnayer leur parrainage contre des sommes sonnantes et trébuchantes.
Le parrainage, méthode de rationalisation du nombre de candidats
Selon plusieurs experts, la fin des idéologies au sein des partis traditionnels a aussi entraîné une déliquescence des formations politiques. Les partis apparaissent comme des mouvements de soutien d’un leader omnipotent qui monopolise tous les pouvoirs et ne laisse aucune place à aucune démocratie interne.
De ce fait, cette décomposition de l’espace politique et le manque de crédibilité d’une classe politique incapable de répondre aux aspirations des populations a fait émerger de nouveaux acteurs issus de la société civile, du monde des affaires et des acteurs de la culture. L’impopularité des acteurs du monde politique semble laisser le champ libre à ces nouveaux acteurs apolitiques dont chacun pense être capable de présider à la destinée de 18 millions de Sénégalais. L’explosion des mouvements citoyens et candidats indépendants lors des dernières Locales semble aussi s’inscrire dans cette dynamique. La forte défiance des citoyens envers les politiciens traditionnels rend inévitable l’explosion des candidatures en vue des prochaines élections au Sénégal.
De son côté, Moundiaye Cissé, président de l’ONG 3D, soutient que le nombre de partis est passé de 45 sous Diouf à près de 200 sous Abdoulaye Wade et finalement à 339 partis lors du dernier recensement sous Macky Sall. ‘’On assiste à une montée exponentielle du nombre de candidatures qui était de 142 en 2019 à près de 261 candidats pour le scrutin présidentiel de 2024. Cette situation est le signe de l'assèchement de notre démocratie avec des candidatures publicitaires qui ne visent qu’à se faire un nom, à s’offrir une tribune pour se faire connaître des Sénégalais. Je pense qu’il est urgent de renforcer les dispositifs permettant de réduire le nombre de candidatures fantaisistes. Ainsi, conditionner l’obtention du fichier de parrainage au versement de la caution pour la Présidentielle serait un bon début’’, affirme-t-il.
Poursuivant son propos, il indique que cette situation justifie un peu plus la mise en place du parrainage. ‘’Nous avons toujours pensé que le parrainage était un mal nécessaire et nous avons toujours milité pour le parrainage universel. Cette mesure permet ainsi de rationaliser les candidatures. Ainsi en 2019, 142 personnes avaient retiré des fiches de parrainage, mais finalement cinq candidats seront retenus’’, conclut-il.
Mamadou Makhfouse NGOM