Publié le 16 Oct 2012 - 22:31
FATOU SOCK, EXPERTE EN SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS

‘’La vérité sur les bouillons et le Ceebu Jên’’

 

L’État n’assume pas son rôle régalien de protection des consommateurs dans le respect de leurs droits à la sécurité sanitaire des aliments. Conséquence, les Sénégalais mangent mal et ont une santé fragile. Dans cet entretien, l’Ingénieur agroalimentaire, experte en sécurité sanitaire des aliments, Fatou Sock, en appelle à plus de responsabilité.

 

Mange-t-on bien au Sénégal ?

 

En fonction de nos goûts, nous pensons que nous mangeons bien, mais en termes de qualité et de santé publique, nous mangeons trop gras, trop salé, trop sucré, et avec peu de place pour les fruits et légumes. Les repas sont très peu diversifiés avec du riz tous les jours. Le Sénégalais, en termes de nourriture, est un épicurien : les plaisirs d’abord, la santé plus tard. Il y a dans nos modes de préparations des habitudes dangereuses à changer. A titre d’exemple, le fameux «Rossi» de notre «Ceebu jën» national, consiste à ce que quotidiennement, de l’huile en grande quantité soit excessivement chauffée. Or, pour chaque huile, il existe une température critique qu'il ne faut pas atteindre. Une fois cette température atteinte ou dépassée, l’huile fume et se dégrade en formant des composés souvent cancérigènes (benzopyrènes,..). L’huile artisanale Seggal qui n’est pas raffinée ne devrait pas être utilisée pour la cuisson et les fritures car ayant une température critique très basse (160°C au lieu de 232°C pour l’huile d’arachide raffinée). Le vrai problème, en fait, c’est que les consommateurs ne sont pas toujours informés des dangers auxquels ils s’exposent par leurs habitudes culinaires ou par l’utilisation de certains produits, et sont parfois peu soucieux de leur alimentation.

 

Mais les consommateurs ont le droit d’être protégés et informés par rapport à la sécurité sanitaire des aliments qui leur sont proposés non ?

 

Il faut d’abord lever la confusion qui est souvent faite entre le terme ‘’sécurité alimentaire’’ qui fait référence à une alimentation en quantité suffisante et ‘’sécurité sanitaire des aliments’’ qui elle, est liée à la qualité hygiénique et réglementaire des aliments. La spécificité des produits alimentaires, c’est qu’ils sont ingérés et assimilés par notre organisme et toute défaillance en terme d’innocuité peut entraîner des conséquences désastreuses pour la santé, avec son lot de toxi-infections alimentaires et de maladies chroniques. Il est donc du rôle régalien de l’Etat de protéger la santé du consommateur et de veiller à ce qu’il ne soit pas trompé et lésé lors des transactions par certains commerçants ou industriels peu scrupuleux.

 

 

«Pour le contrôle de la qualité des aliments, on sait faire pour les autres (produits exportés) ce que l'on ne veut pas faire pour nous-mêmes (les importations), au nom de l'entrée de devises»

 

 

Le Sénégal ne dispose-t-il pas d’un système national de sécurité sanitaire des aliments efficace capable de protéger ses consommateurs ?

 

L’efficacité d’un système national de sécurité sanitaire des aliments se mesure par l’évaluation de plusieurs critères qui sont le tissu réglementaire, le niveau d’organisation et de responsabilisation des autorités compétentes, l’organisation des services d’inspection, l’existence de laboratoires de référence et les programmes de formation et d’information des différents acteurs, plus particulièrement des consommateurs. En observant l’ensemble de ces critères, nous pouvons affirmer que notre système de sécurité sanitaire des aliments n’est pas du tout efficace. A titre d’exemple, les lois sont obsolètes voire inexistantes à l’image de la loi 66-48 du 27 mai 1966 relative au contrôle des produits alimentaires et à la répression des fraudes promulguée par Léopold Sedar Senghor.

 

Quels sont les dangers qui découlent d’une telle situation ?

 

Le rôle de l’Etat est de veiller à ce que les produits mis sur le marché soient sûrs par des contrôles du respect de la réglementation et du respect des normes établies. Dès qu’il y a une défaillance dans la réglementation et dans le système de contrôle, les dangers deviennent multiples. D’abord au niveau de la production locale, les entreprises ne mettent pas en place des systèmes de maîtrise de la qualité sanitaire de leurs produits par le respect de bonnes pratiques d’hygiène et de fabrication ou par la mise en place d’un système HACCP (Hazard analyses control critical point), en français c'est ‘’Analyse des dangers pour la maîtrise des points critiques". C'est un système qui identifie, évalue et contrôle les dangers significatifs pour la sécurité sanitaire des aliments. Il en résulte une prolifération d’entreprises qui ne respectent pas les exigences en matière d’hygiène. Pour les produits importés, il est nécessaire d’être encore plus vigilant car en matière de risques, les consommateurs sont plus exposés, la production locale étant très faible par rapport aux importations. Dans un contexte de mondialisation effrénée, le manque d’organisation efficace des contrôles des produits fait de nos frontières de véritables passoires. Ce qui reste inadmissible, c’est que tous les efforts sont faits pour que les produits destinés à l’exportation répondent aux normes internationales, ce qui prouve qu’on sait faire pour les autres ce qu’on ne veut pas faire pour nous-mêmes, au nom des entrées de devises.

 

Les bouillons culinaires fortement consommés au Sénégal sont de plus en plus indexés comme étant des dangers à la santé des consommateurs.

 

La substance qui fait peur s’appelle le glutamate monosodique (GMS, E621). C’est un exhausteur de goût qui est utilisé depuis plus d’un siècle dans le monde entier pour renforcer le goût des aliments. Les bouillons culinaires font l’objet de beaucoup de rumeurs et de suspicions ces derniers temps. On les présente comme un vecteur d’impuissance sexuelle ou comme la cause de l’émergence des maladies chroniques au Sénégal. A l’état actuel des connaissances scientifiques, le GMS est reconnu comme sans danger pour la santé humaine dans les conditions de ses utilisations actuelles. Il est autorisé dans la liste positive des additifs alimentaires de la réglementation européenne, il fait partie de la liste des Gras, généralement reconnus comme inoffensifs de la Food and Drug Administration américaine. Le Codex Alimentarius qui est la référence internationale en matière de législation alimentaire l’intègre dans la liste des additifs alimentaires autorisés. Il faut signaler que chez certains consommateurs sensibles, il est noté des effets connus sous le nom de ‘’syndrome du restaurant chinois’’ avec l’apparition de nausées, de migraines et de vomissements.

 

 

«Les bouillons sont principalement composés de sel. Ils augmentent donc les apports en sodium chez les consommateurs. (Or), le rôle du sel dans la recrudescence des maladies cardiovasculaires n’est plus à démontrer»

 

 

Pourtant, il est établi que les bouillons augmentent l’apport en sodium chez les consommateurs, ce qui est dangereux quand même.

 

Les bouillons sont principalement composés de sel et de ce fait, ils augmentent les apports en sodium chez les consommateurs. Le rôle du sel dans la recrudescence des maladies cardiovasculaires n’est plus à démontrer. Des études scientifiques prouvent clairement les effets néfastes pour la santé d'une consommation excessive de sel, notamment sur la pression sanguine, qui entraînent des maladies cardiovasculaires, des cancers de l'estomac, les calculs rénaux et le diabète, etc. Le danger réside plus dans le fait que les bouillons sont utilisés en plus du sel de cuisine, ce qui nous donne en fin de compte des repas trop salés. Il y a lieu donc de veiller à leur bon dosage. Normalement, deux bouillons remplissent les besoins journaliers en sel de 4 personnes.

 

L’Oms recommande la réduction des apports en sel alimentaire jusqu'à moins de 6g/jour pour prévenir les maladies chroniques, premières causes de décès dans le monde. Qu’y a-t-il lieu de faire ?

 

Il faut absolument diminuer les taux de sel dans la cuisine de tous les jours. Une bonne politique de prévention et d’éducation sanitaire accessible à tous pourra amener les consommateurs à adopter un comportement plus raisonnable vis-à-vis du sel.

 

Que doit faire l’Etat du Sénégal pour protéger les consommateurs ?

 

Protéger le consommateur sénégalais doit relever d’un niveau d’intérêt national pour l’Etat et nécessite une volonté et un engagement politiques sans faille du président de la République. Une fois cette volonté politique affirmée, l’Etat du Sénégal pourra alors bâtir un véritable système national de sécurité sanitaire des aliments en s’appuyant sur la méthode d’analyse des risques qui est une approche scientifique comportant trois volets (Évaluation des risques, Gestion des risques et Communication sur les risques). Ce système devra être suffisamment élaboré, au regard des enjeux de maîtrise de la qualité des denrées alimentaires tant produites localement qu’importées. Le premier impératif est de mettre en place une législation appropriée dans le respect des prescriptions des mesures de l’accord SPS (mesures sanitaires et phytosanitaires) de l’OMC. Parallèlement, il faudra réorganiser les autorités compétentes et les services d’inspection, avec des prérogatives clairement définies et des ressources adéquates pour une véritable gestion des risques alimentaires dans notre pays. Les laboratoires devront être soutenus dans leurs efforts pour être accrédités et les associations de consommateurs devront être renforcées. Dans notre pays, tout est urgence, mais le droit à une alimentation saine est un droit fondamental qui mérite d’être défendu.

 

Finalement, c'est quoi une bonne alimentation ?

 

Une bonne alimentation doit être équilibrée et diversifiée pour satisfaire l’ensemble des besoins nutritionnels de l’organisme. Ces besoins sont d’ordre énergétique, protéique, vitaminique, hydrique et minéral. Chaque individu a des besoins qui lui sont propres, alors il n’y a pas de repas standard car on doit tenir compte de l’appétit, de l’âge, et des dépenses physiques de chacun. On peut néanmoins suivre quelques recommandations : manger un peu de tout en quantité raisonnable, consommer moins d’aliments énergétiques riches en acides gras saturés et en sucre, réduire l’apport en sel, consommer plus de fruits et légumes frais, de légumineuses, et avoir une activité physique régulière, sans oublier l’eau qui reste la seule boisson nécessaire. Au Sénégal nous devrions inclure davantage nos produits locaux dans les rations et définir un véritable programme pour l’alimentation.

 

 

AMADOU NDIAYE

 

 

 

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