Publié le 16 Aug 2023 - 21:48
FRANCE-SÉNÉGAL

Les médias à l’épreuve des tensions politiques

 

En ces temps de brouille sur l’axe Paris - Dakar, le traitement de l’actualité politique nationale par les médias français est souvent source de tensions avec le gouvernement sénégalais. Certains de ses soutiens vont même jusqu’à soupçonner l’ancienne puissance coloniale d’être derrière.

 

Depuis quelque temps, on assiste à ce que certains n’ont pas manqué de considérer comme une sorte de levée de boucliers d’une partie de la presse française contre le régime du président Macky Sall. Nous sommes bien loin de l’époque où c’est Ousmane Sonko et les siens qui étaient prompts à déclarer ‘’indésirables’’ certains médias français, dont France 24, RFI et même ‘’Le Monde’’ qu’ils croyaient proches du régime sénégalais, en raison de sa proximité avec l’ancienne puissance coloniale.

Il y a quelques semaines, le ministre de la Communication, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Moussa Bocar Thiam, s’était vu obligé de monter au créneau pour protester énergiquement contre une publication de France 24 dans l’affaire Birame Soulèye Diop, accusant la chaîne française d’avoir tronqué l’information à des fins malintentionnées pour nuire à la réputation du Sénégal. ‘’Alors qu'un député de l'opposition, au cours d'une conférence de presse, a publiquement injurié et diffamé des chefs d'État puis présenté ses excuses, la chaîne France 24 justifie sa garde à vue par sa position sur le discours à la Nation du président de la République, ce qui est manifestement fallacieux…’’, dénonçait le ministre sénégalais qui regrettait dans la même veine ‘’une couverture médiatique tendancieuse, sans éthique, sans équilibre et subversive de l'information sur le Sénégal’’ de l’actualité politique nationale.

À cette accusation suivie de menaces à peine voilées du gouvernement sénégalais, France Médias Monde, qui est menacé dans plusieurs pays de la sous-région, avait répondu en des termes moins vindicatifs. Réfutant toute volonté de nuire aux intérêts de l’État du Sénégal ou de prise de position partisane, la direction se justifiait dans l’affaire Birame Soulèye : ‘’En ce qui concerne la garde à vue du député Birame Soulèye Diop, nous avons diffusé dans le journal de l’Afrique du jeudi 6 juillet un plateau très factuel de notre correspondante à Dakar... Le bandeau sur le fil d’actualité : ’Un opposant sénégalais en garde à vue pour avoir mis en doute les intentions de Macky Sall’ était certes incomplet, mais ne traduit en aucun cas une quelconque couverture tendancieuse de cette actualité. Il n’y avait rien d’intentionnel, je tiens à vous assurer’’, se défendait la chaîne, non sans préciser qu’il s’agissait d’une dépêche de l’AFP qu’elle avait reprise.

Au-delà de l’affaire Birame Soulèye Diop, le gouvernement sénégalais reprochait au média français plusieurs autres manquements dans le traitement de l’information. Parmi lesquels, il y a le relais de ‘’messages subversifs’’ pour ternir ‘’l’adresse historique’’ du président Sall (suite à la déclaration de non-candidature du président salué par la plupart des forces vives), une tentative de ‘’jeter le discrédit sur la police’’…

Au bord de la rupture

Le ton emprunté, en tout cas, faisait, à bien des égards, penser aux décisions prises par les juntes militaires au Mali et au Burkina Faso. Lesquelles avaient tout bonnement décidé d’interdire à France 24 et à RFI d’émettre sur leurs territoires.

Réputé bien plus indépendant, le journal ‘’Le Monde’’ est, lui, allé bien plus loin. Dans un éditorial intitulé : ‘’La dérive du Sénégal, nouvelle source d’inquiétude’’, le média affiche carrément sa position en ce qui concerne les troubles politiques au Sénégal. ‘’La décision du président Macky Sall de dissoudre le parti de son principal opposant, Ousmane Sonko, apparaît comme un des signes du raidissement du pays, qui se revendique pourtant comme un modèle démocratique…’’, fulmine le journal, qui ajoute : ‘’Alors que la multiplication des coups d’État militaires en Afrique de l’Ouest ébranle les fragiles édifices démocratiques issus de la décolonisation, la décision du président sénégalais, Macky Sall, annoncée le 3 juillet, de ne pas briguer un troisième mandat lors de l’élection présidentielle de février 2024, avait résonné comme un soulagement et un signe de responsabilité politique. Un mois plus tard, M. Sall risque de compromettre le capital de sympathie qu’il s’était alors acquis, en prenant une mesure grave, rarissime dans son pays : la dissolution par décret, le 31 juillet, du parti de son principal opposant, Ousmane Sonko.’’

Il n’en fallut pas plus pour susciter l’indignation de certains membres du pouvoir et de ses sympathisants. Cette fois, à la place du ministre de la Communication, c’est le porte-parole du gouvernement qui est monté au créneau pour prendre la défense de l’État.

Dans une tribune intitulée ‘’La dérive du journal ‘Le Monde’’’, Abdou Karim Fofana proteste  contre un texte qui, selon lui, se borne à s’épancher sur les conséquences sans s’arrêter sur les causes. ‘’Pour n’avoir pas poussé la rigueur journalistique jusqu’à offrir à ses lecteurs un réel aperçu des actes et du discours ayant conduit M. Sonko et son ex-parti à cette situation, nous apportons au ‘Monde’ quelques faits par souci de délivrer la bonne information. Entre mars 2021 et juin 2023, Ousmane Sonko a, entre autres, appelé des jeunes à aller déloger le président de la République ; demandé à ses partisans d’en finir avec Macky Sall et de le traiter comme Samuel Doe, en précisant que les jeunes sont bien entrainés et dotés d’armes ; demandé à ses partisans de donner leur vie face aux forces de l’ordre… Ces paroles ont été accompagnées d’actes menés par des bandes armées et organisées s’adonnant à des casses et des pillages… La dernière action en date liée à ces appels à la violence et à cette constitution de bandes organisées est l’attentat perpétré, le mardi 1er août dernier, contre un bus de transport en commun qui a fait deux morts et de nombreux blessés’’, se plaint le ministre, reprochant au journal d’avoir délibérément ignoré ces actes qui ont mené à la dissolution de Pastef.

Abdou Karim Fofana : ‘’À défaut de pouvoir passer par des coups d’État, ceux qui veulent déstabiliser le Sénégal tentent de passer par des mouvements aux apparences démocratiques’’

Cette charge du ‘’Monde’’, selon le ministre, est d’autant plus incongrue que le jour même où l’éditorial a été publié pour dénoncer la dissolution d’une organisation au Sénégal pour violation des lois sénégalaises, un fait un peu similaire a été publié sur son portail, sans que le journal n’ait été aussi critique envers la démocratie française. Le ministre dénonce ce qu’il considère comme du deux poids, deux mesures : ‘’Le site internet du journal ‘Le Monde’, pas à une incohérence près, se contentait d’annoncer que le ministre de l’Intérieur français a activé ses services pour la dissolution d’un mouvement dénommé Civitas. La raison de cette action se trouve dans des propos tenus lors de l’université d’été de cette organisation et qui sont de nature à inciter à la haine et à compromettre le vivre-ensemble entre communautés.’’

Dans les arcanes du régime, ils sont nombreux à se dire que cette attitude des médias français n’est pas le fruit du hasard. Elle serait la résultante de la divergence politique entre le président Macky Sall et son homologue français. Le porte-parole du gouvernement s’est voulu on ne peut plus diplomatique. Dans une allusion à peine voilée, ils accusent des groupes qui ne veulent pas la stabilité dans les pays ouest-africains. ‘’Ceux qui veulent le déstabiliser (le Sénégal), sachant le succès de ce procédé qui réussit dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest impossible chez nous, tentent de s’appuyer sur des mouvements aux apparences démocratiques. Ces derniers s’attèlent à cette déstabilisation par la promotion de valeurs antirépublicaines. Qu’une partie des médias français s’en fasse l’écho pour remettre en cause les modèles démocratiques ouest-africains appelle chez nous une plus grande vigilance à leur égard.’’

L’État du Sénégal, promet-il, pour préserver la supériorité de son modèle démocratique, ne laissera pas prospérer les tentatives de déstabilisation menées par des extrémistes soutenus de l’extérieur, ‘’que ces soutiens soient des intérêts privés économiques, des mouvements politiques ou des médias cachant mal des objectifs inavoués derrière une amputation de la bonne information à dessein’’.

MOR AMAR

Section: 
Aly Ngouille Ndiaye
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