Cinq ans ferme requis en appel
L'avocat général a suggéré à la cour de confirmer les dommages et intérêts de 4,9 milliards accordés à la Société générale en première instance. Derrière son air doux et son tempérament posé, l'avocat général Dominique Gaillardot travaille à la débroussailleuse et au martinet. Son réquisitoire, qui durera trois heures, ne laisse inexploré aucun compartiment du touffu dossier de l'affaire Kerviel; et le magistrat ne trouve aucune circonstance atténuante au bénéfice de l'ancien trader. À ses yeux, il est bel et bien coupable d'abus de confiance, faux et usage de faux, introduction frauduleuse de données dans un système informatique.
Plus que ses collègues de première instance, M. Gaillardot pointe du doigt - et il fallait que le ministère public le fasse pour rester authentiquement crédible à ce stade - «les insuffisances, les négligences» de la Société générale, incapable de surveiller le jeune opérateur de marché qu'était Jérôme Kerviel en 2007-2008. Mais c'est pour mieux asseoir sa démonstration, au terme de laquelle il assène que la responsabilité du prévenu est «pleine, entière et sans partage». Une cote de la procédure sert de pierre angulaire au réquisitoire: la D 77, fréquemment citée. Il s'agit d'une audition du trader chez le juge Van Ruymbeke, durant laquelle le mis en examen reconnaît avoir agi seul, à l'insu de la banque, pour prendre des positions non couvertes de dimensions stratosphériques - 49 milliards en janvier 2008. «Je n'en ai parlé à personne», affirmait l'intéressé au magistrat instructeur. Or, il prétend aujourd'hui le contraire devant la cour d'appel.
Une personnalité mystérieuse
À la manière d'un artisan patient, l'avocat général assemble sa mosaïque, joignant les constatations matérielles - prises de position réelles dissimulées par des écritures fallacieuses, fabrication de faux courriels pour gruger les contrôles - et les appréciations psychologiques. Car, contrairement à la Société générale, partie civile, qui voit dans «le lucre» le mobile du prévenu, le ministère public cherche dans sa personnalité mystérieuse les motivations de ses actes. Voici donc un trader qui cache ses pertes mais aussi, et c'est un «paradoxe dont on attend toujours l'explication» dans le scénario de la machination proposée par la défense, ses gains, y compris quand ils atteignent 1,7 milliard fin 2007. Un trader qui jouit d'une «parfaite maîtrise de soi», qui brasse secrètement des milliards, faisant preuve d'un «sens inouï de l'adaptation et de la répartie» quand les contrôles lui demandent des explications. Un trader, dont les mensonges sont bien plus grands que lui, et qui se retrouve «dans une impasse totale, perdante-perdante».