Publié le 15 Feb 2013 - 06:30
LITTERATURE

Marie N'Diaye, «Je cherche la musique des phrases»

Avec son dixième roman, Ladivine, à paraître ce 14 février chez Gallimard, Marie N’Diaye s’impose comme une des plus grandes romancières françaises, au même titre que les Michel Houellebecq, Christine Angot et Modiano.

 

Les amateurs retrouveront son univers sombre et mystérieux, et la magie de son écriture ample, qui tient en haleine malgré la complexité de la narration. Savamment construit, ce roman de l’auteur de Rosie Carpe, prix Femina 2001, et de Trois femmes puissantes, prix Goncourt 2009, met en scène trois générations de femmes qui entretiennent entre elles des relations d’amour, de culpabilité et de défiance. A travers leurs destins racontés sur un mode qui mêle inextricablement le naturalisme à la Zola et le merveilleux épique, N’Diaye explore les thèmes qui lui sont chers : la quête des origines, la famille comme lieu de confrontation et de dépassement de soi, enfin l’altérité vécue à la fois comme un trouble et comme l’horizon d’attente. Entretien.

 

Vous êtes l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, romans, pièces de théâtre, nouvelles, livres pour la jeunesse. Y a-t-il un genre dans lequel vous vous sentez plus à l’aise ?

 

Sans hésitation, dans le roman. Ce n’est pas que je me sente mal à l’aise dans les autres genres, si tel était le cas je ne les pratiquerais pas, mais le roman reste mon genre de prédilection.

 

Comment est né votre intérêt pour le roman ?

 

De mes lectures. J’étais une grande lectrice de fiction quand j’étais jeune. Je le suis encore aujourd’hui. Je crois bien que c’est cette fréquentation assidue des livres de fiction qui m’a donné envie d’écrire et devenir une romancière moi-même. Je lisais vraiment par goût pour la lecture, et pas parce que mon prof voulait que je lise tel ou tel livre pour le cours. Comme je n’ai pas fait d’études après le bac, je lisais pour mon enrichissement personnel, sans aucun autre but que celui de me nourrir.

 

Vous souvenez-vous de votre première émotion littéraire ?

 

J’ai du mal à me rappeler ce qu’il y a eu avant Proust. Le choc de la découverte de A la Recherche du Temps perdu que j’ai lu quand j’ai eu 16 ans je crois, a été si fort que je n’ai pas le souvenir de lectures qui m’aient marqué à ce point avant.

 

Qu’est-ce qui vous a marqué à ce point chez Proust ?

 

Le récit est très mince chez Proust. On peut certes le résumer, mais ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel chez Proust, c’est, me semble-t-il, son écriture qui parvient à capter le plus intime des êtres humains. Son principal génie est d’avoir su écrire avec la même pénétration sur la nature, sur les tableaux, sur la musique, sur des objets…

 

Qu’est-ce qui fait la grandeur d’un roman à vos yeux ?

 

Je suis d’abord sensible à l’écriture, à l’esthétique. Je cherche la musique des phrases, l’harmonie souterraine qui se dégage d’un livre d’imagination et qui fait que l’on a l’impression qu’il n’aurait pas pu être écrit autrement. Ce qui fait la grandeur d’un roman, c’est aussi la manière dont la psychologie des personnages y est travaillée. C’est important car le destin des personnages est sans doute ce qui nous reste en mémoire.

 

Faulkner aussi vous a marqué. Qu’est-ce que vous aimez chez lui ?

 

Les récits de Faulkner sont inépuisables. Je les lis et les relis, sans que je ne puisse jamais arriver à bout de leur mystère fondamental. Je ne suis pas en train de dire qu’un roman doit être nécessairement mystérieux pour être apprécié. Par exemple, Anna Karénine est magnifique, mais il n’y a aucune ambivalence. Tout y est dit très simplement. Il n’y a pas de loi pour mesurer la grandeur

 

Parlons un peu de votre nouveau roman. Ladivine raconte l’histoire de trois générations de femmes qui vivent, meurent ou disparaissent en luttant contre les injustices de la vie. Elles sont fortes intérieurement mais sont-elles pour autant des femmes puissantes ?

 

Tout au contraire. Ces femmes, elles témoignent plutôt de leur impuissance à vivre sereinement. Elles sont désemparées face au mystère des origines. Le personnage central du récit, Clarisse Rivière, ne sait pas qui est son père. Sa mère lui a menti et c’est de ce mensonge originel que découlent les drames, les complexes, les abandons successifs.

 

Ces femmes sont-elles des victimes ?

 

Non, personne ne les opprime ni les maltraite. Au contraire, excepté peut-être la grand-mère, les autres sont plutôt aimées, mais abandonnées.

 

Cette grand-mère, elle est noire. La malédiction que vous racontez dans ce livre semble liée au statut de la femme noire dans la société, à son invisibilité. Est-ce qu’il faut lire ce livre comme une dénonciation de la condition noire ?

 

Ce serait trop délibéré, trop volontairement politique… Je ne suis pas un écrivain engagé. L’écrivain engagé a tendance à être peu subtil car il doit faire passer un message. Dans ses textes, il n’y a pas de place pour l’ambiguïté. Moi, au contraire, j’aime travailler dans l’ambivalence parce qu’il me semble qu’elle nous fait réfléchir davantage. En tant que lectrice, c’est comme ça que je lis. Les livres qui me restent le plus profondément en mémoire sont souvent ceux dans lesquels je n’ai pas toujours tout compris ou dont je ne suis pas absolument sure du sens final !

 

Vous êtes née d’un père sénégalais et d’une mère française. Est-ce que cette origine noire détermine votre écriture ?

 

Non, je n’écris ni en tant que femme, ni en tant que femme noire. Je ne me définis pas comme une femme noire, née en France en 1967. Ce sont des notions factuelles qui n’ont pas d’importance, s’agissant de mon écriture. J’écris en tant qu’être humain.

 

L’une des constantes de votre écriture, c’est le thème de la famille que vous avez érigée en un lieu emblématique de la condition contemporaine. Quand avez-vous pris conscience de la potentialité fictionnelle de la famille ?

 

Si je me suis mise très tôt à écrire sur la famille, c’est parce que je n’avais pas vraiment d’autre matériau. Un écrivain travaille aussi avec ce qu’il a sous la main. Je n’ai pas connu la guerre. Je n’ai jamais exercé une profession. Je n’aurais pas pu écrire sur ces sujets. J’écris sur ce que je connais le mieux. En l’occurrence, la famille.

 

Vous auriez pu écrire sur l’Histoire ?

 

Je n’ai pas l’esprit historien, pas du tout. Je le regrette d’ailleurs. Mais l’Histoire m’ennuie !

 

L’autre constante de vos récits, c’est cette atmosphère de fantastique dans lequel ils baignent. J’ai envie de vous demander, comme à un peintre, comment obtenez-vous cette coloration fantastique ?

 

Je l’obtiens en déplaçant légèrement la réalité. Dans Ladivine, il y a, par exemple, ce chien qui monte la garde. En soi, cela n’a rien d’étrange ni d’inquiétant. Mais quand le personnage se met à penser qu’il est là pour elle, qu’il l’observe, qu’il la suit, le récit prend une autre tonalité. Il y a aussi l’exemple de ce garçon qui réapparaît, après avoir été jeté du haut d’un sixième étage. Cette résurgence n’est pas impossible car le garçon n’était peut-être pas mort finalement. Il avait peut-être été seulement blessé. Mais le phénomène paraît quand même improbable. Et c’est ainsi que pointe le fantastique, au détour d’un doute sur la réalité des choses !

 

A quoi sert le fantastique ?

 

A rappeler que sous le réel, se cachent des mystères !

 

Des douleurs aussi, n’est-ce pas ?

 

Les mystères ne sont pas tous douloureux. Il y aussi des mystères heureux !

 

RFI

 

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