Publié le 28 Feb 2024 - 14:50
LOI D’AMNISTIE ET APAISEMENT DU CLIMAT POLITIQUE

 La controverse s’installe

 

Le président Macky Sall a réitéré sa volonté de pacifier l'espace politique, à travers une loi d’amnistie sur les faits se rapportant aux manifestations politiques entre 2021 et 2024. Cette proposition suscite de fortes controverses.

 

Sur un ton ferme et résolu, le chef de l’État, à la fin de son discours à l’ouverture du dialogue national, a indiqué sa volonté de mener à bien son projet de loi d’amnistie sur les faits liés aux manifestations politiques survenues dans le pays entre 2021 et 2024. ‘’Dans un esprit de réconciliation nationale, je saisirai l’Assemblée nationale dès ce mercredi (28 février) en Conseil des ministres d’un projet de loi d’amnistie générale sur les faits se rapportant aux manifestations politiques survenues entre 2021 et 2024’’, a informé Macky Sall.

Ce projet de loi, selon lui, va servir à apaiser le climat politique marqué ces dernières années par une série d'émeutes meurtrières qui ont fait au moins une soixantaine de morts, depuis 2021. Le projet de loi va être proposé à l'Assemblée nationale, le jeudi 29 février 2024, par la présidence pour son adoption.

Dans cette optique, le président Macky Sall a déjà procédé à des centaines de libérations de jeunes manifestants détenus dans les geôles de Dakar à Thiès, Ziguinchor, Louga et Mbour, avait-il déclaré lors de sa conférence de presse.

Mais cette déclaration est loin d’éteindre la polémique concernant ces élargissements massifs de détenus dits politiques. Tout comme cette proposition de loi d’amnistie est loin de faire l’unanimité au sein de la majorité. Samba Sy, ministre du Travail et leader du Parti de l’indépendance et du travail (PIT), lors de la cérémonie d'ouverture du dialogue national, disait, ce lundi : ‘’Mon parti ne peut pas entendre, supporter, accepter que l'université ait été brûlée en chantant. Mon parti ne saurait oublier que deux jeunes filles ont été consumées dans un bus. Mon parti ne comprend pas qu'on puisse s'attaquer, sous le manteau de la politique, à des instruments de fourniture d'eau et d'électricité. Mon parti ne pense pas qu'il soit possible de s'en prendre à une caserne de gendarmerie. Je ne dis pas que nous ne devons pas nous réconcilier, mais n'oublions pas que demain, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets’’, a martelé le ministre.

Sur la même lancée, le tonitruant Me El Hadj Diouf a aussi affirmé son opposition à toute loi d’amnistie. Et certaines formations au sein de la majorité ont indiqué vouloir d’abord prendre connaissance du texte, avant de se prononcer.

Du côté de l'opposition, on est vent debout contre ce projet. Amadou Ba, responsable de l’ex-Pastef, a indiqué que l’amnistie n'est pas irrévocable et peut être remise en question. ‘’La loi d’amnistie est de nature purement législative et non constitutionnelle. Elle peut être facilement répudiée par une nouvelle Assemblée nationale qui mettra en place une commission d’enquête indépendante sur les événements amnistiés de 2021 à 2024’’, affirme-t-il sur sa page Facebook.

Et Abdou Aziz Sow, porte-parole du Parti républicain pour le progrès (PRP), de renchérir en évoquant une loi inopportune et illégale qui ne vise qu’à offrir un écran de fumée pour masquer les atermoiements du régime dans ce processus électoral.

La société civile se braque contre l’impunité des crimes et des bavures policières  

En outre, cette mesure risque de s’attirer les foudres des organisations de défense des Droits de l’homme qui craignent que cette loi ne soit une prime à l’impunité des forces de défense et de sécurité. Depuis plus d’une année, Amnesty International/Sénégal réclame la tenue d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur les décès survenus, lors des manifestations violemment réprimées par les forces de sécurité. Des enquêtes préliminaires menées par des ONG et HRW semblent pointer du doigt l’action des forces de l’ordre, lors des émeutes de mars 2021 et de juin 2023.

Cette nouvelle loi viendrait ainsi mettre fin au travail des familles de victimes et des organisations des droits humains qui réclament justice pour les manifestants tués lors de ces événements. ‘’Nous attendons justement de voir ce que comporte cette loi, mais elle ne doit pas porter sur des faits de meurtre, détentions arbitraires et actes de torture. Les Sénégalais sont en droit d’attendre la justice par rapport à ces événements. Nous avons de jeunes manifestants sénégalais qui ont été tués par les forces de sécurité et des nervis, sans qu’il y ait aucune poursuite judiciaire. Une loi d’amnistie ne doit pas être une prime à l’impunité’’, avait déclaré Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International/Sénégal dans nos colonnes.

Dans la même dynamique, le Forum civil parle ‘’d’une initiative inappropriée du président de la République et qui apparaît comme une volonté manifeste d’ensevelir la vérité, une absolution, un permis de tuer, de torturer, de saccager des biens, de brimer, de détruire des vies et des familles, en consolidant le règne de l’impunité’’, dans un communiqué.

Pour les camarades de Birame Seck, ‘’des enquêtes transparentes et indépendantes doivent être diligentées pour situer les responsabilités sur les faits se rapportant aux manifestations politiques survenues entre 2021 et 2024, et des enquêtes approfondies soient menées sur le système de recrutement des personnels de défense et de sécurité, et les formations’’.

‘’L’amnistie concerne des infractions commises qui ont été jugées ou non’’

Dans l’ombre de cette loi, beaucoup voient un moyen d’élargir le leader de l’ex-Pastef Ousmane Sonko et le n°2 Bassirou Diomaye Faye, poursuivis pour terrorisme, appel à l’insurrection, troubles à l’ordre public... Pourront-ils bénéficier de cette loi d’amnistie ?

Le professeur Iba Barry Camara appelle à la prudence, concernant ces questions, dans la mesure où les contours de cette loi ne sont pas encore connus. Mais, ajoute-t-il, l'amnistie, à la base, a été conçue pour résoudre des infractions politiques et porte sur des faits précis sur une périodicité bien définie. ‘’L’amnistie concerne des infractions commises qui ont été jugées ou non. Dans le cas de Sonko et de Diomaye, les faits ont été requalifiés en crimes et placés sous mandat de dépôt. Ils n’ont même pas été entendus par le juge d’instruction. Les dispositions que comporte cette loi, si elle est adoptée par le Parlement, nous permettront de savoir s’ils seront concernés par la loi d’amnistie’’, déclare l’enseignant en droit public à l'Ucad.   

Macky Sall entend ainsi, par cette loi d’amnistie, calmer la rue et baisser les tensions politiques, à l’approche du 2 avril 2024 date limite de la fin de son mandat. Cette volonté de pacification semble ancrer dans une stratégie globale d’apaisement, surtout que le spectre d’une élection en juin prochain se dessine, au regard des conclusions du dialogue.

MAMADOU MAKHFOUSE NGOM

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