Publié le 19 Jun 2023 - 15:49
MÉDIATION ENTRE L’UKRAINE ET LA RUSSIE

L’Afrique, l’effet “d’échec”

 

Dans la guerre diplomatique que se livrent Russes et Ukrainiens, l’Afrique a-t-elle compris son rôle, à travers ses médiations ?

 

Échec et mat ! Pour jouer le dernier coup dans la partie que se livrent la Russie et l’Ukraine (et ses alliés occidentaux), tous les pions sont bons à jouer. Y compris la dame africaine, souvent assujettie au rôle de consommatrice. Ne prenant pas part au conflit qui oppose Russes et Ukrainiens, le continent noir n’en est pas moins présenté comme une victime collatérale. Une de celles qui ont le plus grand  intérêt à voir une guerre qui ne se déroule pas sur son territoire prendre fin.

Et ses dirigeants jouent le jeu. Après avoir rencontré le président ukrainien Volodymyr Zelensky, vendredi dernier, une délégation de sept leaders africains s’est entretenue, samedi, avec le président russe Vladimir Poutine, à Saint-Pétersbourg. Parmi eux, le président sénégalais Macky Sall définit le cadre de cette visite officielle. ‘’Nous revenons vous voir dans le cadre d’une nouvelle mission de médiation africaine entre la Russie et l’Ukraine. Il s’agit d’une mission de bon office qui traduit la bonne volonté du continent africain, dans cette guerre majeure, d’aider au règlement des questions humanitaires et à l’instauration de conditions propices à l’établissement de la confiance pour favoriser un climat de dialogue entre les parties’’.

Un message de déblocage des céréales et des fertilisants en Russie et en Ukraine

Macky Sall évoque un retour en terre russe, car il avait été reçu, ‘’de façon conviviale’’, le 3 juin 2022, à Sotchi, en sa qualité de président de la l’Union africaine, déjà pour transmettre un ‘’message de paix, de désescalade’’ et surtout de déblocage des céréales et des fertilisants en Russie et en Ukraine. Grâce à vous et aux autres acteurs impliqués, dont la Turquie, un accord a été trouvé sur les céréales’’. 

En effet, le 22 juillet 2022, un accord sur l'exportation des céréales ukrainiennes par la mer Noire a été signé, pour 120 jours, entre les Nations Unies, Kiev, Moscou et Ankara. L'ouverture de ce couloir maritime, le 1er août, a permis de sortir près de 30 millions de tonnes de produits agricoles d'Ukraine, à destination de la Chine, de la Turquie, de l'Union européenne, mais aussi de pays comme l'Égypte, la Tunisie, le Bangladesh ou le Yémen. L'accord a permis de soulager la crise alimentaire mondiale provoquée par la guerre et a été reconduit pour quatre mois.

Alors que des inquiétudes étaient soulevées, un nouveau renouvellement pour deux mois a été signé le 17 mai.

Pour ne pas vivre de nouvelles angoisses dans un mois, la délégation africaine arrive à point nommé.  Mais cette médiation africaine profitera-t-elle aux peuples africains ? Les arguments développés par les présidents au palais de Saint-Pétersbourg n’ont pas réellement convaincu le chef du Kremlin.

Car, précise Vladimir Poutine, ‘’l'accord sur l'exportation des céréales ukrainiennes par la mer Noire ne contribue pas à résoudre les problèmes de l'Afrique liés à la hausse des prix des denrées alimentaires dans le monde, puisque seuls 3 % de ces céréales auraient été exportés vers les pays les plus pauvres’’.

Vladimir Poutine : ‘’Seuls 3 % de ces céréales auraient été exportés vers les pays les plus pauvres’’

Bien qu’ayant accepté cet accord, la Russie dénonce la non-application d'un deuxième accord avec l'Ukraine, pour permettre ses propres exportations de céréales et d'engrais. Moscou se plaint de ne pas pouvoir vendre sa production et ses engrais en raison des sanctions occidentales touchant notamment les secteurs financiers et logistiques.

En effet, une série de sanctions a été prise par les pays occidentaux pour bloquer l’économie russe et l’empêcher de financer sa guerre contre l’Ukraine. Au même moment, ces pays occidentaux continuent d’armer et d’apporter un soutien logistique et financier à Kiev, ce qui lui permet de résister à la puissance russe.  

Malgré tout, le leader de la délégation africaine a estimé que ‘’la guerre ne peut pas durer toujours […]. Nous souhaitons que cette guerre prenne fin’’. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa, proche de Moscou, est arrivé chez son homologue russe avec des propositions de paix africaines qui se résument en 10 points, parmi lesquels une ‘’désescalade des deux côtés’’, la ‘’reconnaissance de la souveraineté’’ des pays reconnus par l’ONU, les ‘’garanties de sécurité’’ pour toutes les parties, la levée des entraves à l’exportation des céréales via la mer Noire, la ‘’libération des prisonniers de guerre’’, ainsi que la reconstruction. Toutefois, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a qualifié ce plan africain de ‘’très difficile à mettre en œuvre’’, même si le président russe a promis de l’étudier.

La veille, le président ukrainien, lors du passage de la mission africaine, a refusé toute idée de négociation avec les occupants  russes.

Selon Volodymyr Zelensky, "j'ai clairement dit pendant notre rencontre (avec la délégation africaine) que permettre toute négociation avec la Russie maintenant, quand l'occupant est sur notre terre, signifie geler la guerre, geler la douleur et la souffrance. La Russie en profitera pour devenir plus puissante, s’armer encore plus et d’agresser encore plus l’Ukraine’’.

Négocier un couloir africain pour l’exportation des céréales et des engrais russes ?

Face à ce refus, les présidents africains peuvent quitter la Russie avec un peu plus d’optimisme. Poutine a, au moins, laissé une fenêtre entrouverte. ‘’Nous sommes ouverts à un dialogue constructif avec ceux qui souhaitent la paix basée sur les principes de la justice et de la prise en compte des intérêts légitimes des parties’’, a déclaré le chef du Kremlin devant la délégation africaine.

Dans moins d’un mois, les dirigeants africains devront retourner en Russie, dans le cadre du deuxième Sommet Afrique-Russie prévu à Saint-Pétersbourg. L’occasion de négocier un couloir africain pour l’exportation des céréales et engrais russes ?

 Dans cette guerre aux ramifications internationales, seuls les Africains semblent ne pas privilégier leurs propres intérêts dans les démarches diplomatiques.

Lamine Diouf

 

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