Un vaudeville machiavélique
La Présidentielle de 2024 présente, à ne pas s’y méprendre, les ingrédients du tragi-comique, côté majorité sortante.
Non partant (de gré ou à contrecœur ?) à la joute des 19 prétendants au palais, le président Macky Sall et son candidat putatif Amadou Ba donnent à voir un scénario shakespearien à l’issue incertaine. Ils nous jouent l’impensé d’un spectacle d’ (im) postures qui a de quoi laisser pantois militants, sympathisants et observateurs de la scène politique.
La trame est déconcertante par l’attitude de défiance d’une partie des responsables de l’Alliance pour la République (APR) et de certains de leurs souteneurs à l’égard du candidat Amadou Ba, que leur chef Macky Sall a pourtant officiellement adoubé pour porter les espoirs de la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY). Il est vrai que ce mercredi, le Secrétariat exécutif national de l’APR, après une entrevue la veille entre Macky Sall et Amadou Ba, a appelé à ‘’reprendre le travail politique et électoral, dans un élan unitaire et solidaire autour du candidat de la coalition Benno Bokk Yaakaar et de la Grande majorité présidentielle, Amadou Ba, pour une victoire éclatante au soir du 24 mars 2024’’. Las, cette bienveillance envers ce dernier, ponctuée d’une dotation en moyens financiers pour la suite de sa campagne, dissipe à peine ce que certains observateurs avertis persistent à assimiler à un jeu de dupes.
C’est que M. Ba ne rassure toujours pas ses pourfendeurs dans l’appareil APR. Catalogué comme un ‘’militant de la dernière heure’’, il est, en outre, soupçonné d’entretenir un Shadow cabinet. Il n’échappe à aucun un analyste vigilant du paysage politique que l’ex-Premier ministre tisse sa toile avec des hommes et femmes de confiance, qu’il s’emploie à bien disposer dans l’Administration publique, et ce, depuis son passage à la Direction générale des Impôts et des Domaines. L’énarque consolidera son propre réseau au fur et à mesure de sa propulsion aussi bien dans la formation politique ‘’apériste’’ que dans le gouvernement qui l’a promu successivement aux postes stratégiques de ministre de l’Économie et des Finances, puis du maroquin des Affaires étrangères et du fauteuil de chef du gouvernement. L’ascension connaîtra un intermède disgracieux d’un peu plus deux ans hors des affaires publiques qui sonnait déjà comme un coup de semonce.
Mais les soupçons de ses détracteurs caciques ‘’apéristes’’ ont la peau dure, convaincus qu'ils sont, à tort ou à raison, que si Amadou Ba venait à accéder à la magistrature suprême, l’ossature de sa gouvernance se constituerait à leur détriment. Dans l’incertitude de leur sort à court terme, ceux-ci jouent ainsi leur va-tout, avec une complicité non avouée du patron des ‘’Marrons-Beiges’’. La bataille d’usure se poursuit.
La sortie de prison, hier, d’Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, le second candidat par procuration de l’autre, participe de la pièce politique dont on n’a pas fini de démêler l’écheveau. Ils quittent l’univers carcéral pour prendre part à la battue électorale et donner sans doute une autre tournure plus épique à cette pêche aux voix. Leur irruption dans la campagne qui va doper la coalition d’opposition Diomaye Faye ne s’apparenterait-elle pas à un épouvantail sur le chemin déjà bien escarpé du candidat Amadou Ba ? La loi d’amnistie votée par l’Assemblée nationale, le 6 mars dernier, est passée par là à l’initiative du président Sall, himself, et avec l’onction du Parti démocratique sénégalais (PDS).
Alliés de circonstance de la majorité au pouvoir, le candidat recalé Karim Wade et ses partisans attendent, à l’instar du reste de la communauté nationale et internationale, le verdict de leurs recours visant, in fine, le report du scrutin du 24 mars. Le PDS espère, le cas échéant, que les cartes soient rebattues au profit d’une candidature du fils de l’ancien président Abdoulaye Wade. S’il n’est pas vu d’un mauvais œil par Macky Sall, ce cas de figure risque fort de sonner le glas des ambitions d’Amadou Ba. A la manœuvre derrière le ‘’dialogue national’’ qui suggérait le report de l’élection au 2 juin 2024, les caciques légitimistes ‘’apéristes’’ n’ont d’obsession que de danser sur son scalp politique. Mais, quel que soit son épilogue, ce vaudeville machiavélique inspire politistes et autres politologues.
AMADOU FALL