''Ils doivent impérativement révéler leur état de santé''
Mintou Fall Sidibé, c’est cette juriste, publiciste, inspectrice technique au ministère de la Santé qui a eu le courage de ressusciter l’ancien président français, François Mitterrand, dont les médecins ont eu à falsifier les bulletins de santé pour le maintenir au pouvoir. Dans un ouvrage intitulé ''Secret d’État, secret médical, un débat éthico-juridique sur la transparence, réflexion à partir du cas François Mitterrand'', publié au mois de mars dernier, l’universitaire crève l’abcès. Elle exige un bulletin de santé de nos dirigeants. Entretien.
Vous venez de publier un ouvrage intitulé ''Secret d’État, secret médical, un débat éthico juridique sur la transparence''. Qu’est-ce qui a vous motivée ?
J’ai longtemps travaillé dans le domaine de l’éthique, éthique de la santé d’abord, puis éthique en général. En 1999, une réforme a été enclenchée au niveau de l’administration centrale du ministère de la Santé que je venais d’intégrer. La Direction des études de la recherche et de la formation, qui s’occupait, comme son nom l’indique, de recherche en santé, venait d’être créée. On ne pouvait plus parler de recherche en santé sans aborder le volet éthique. C’était un projet neuf et mon directeur de l’époque m’a appelée pour me confier le dossier. Il fallait donc mettre en place les normes et procédures pour voir dans quelle mesure on pouvait examiner les protocoles de recherche et voir si réellement les conditions éthiques étaient réunies pour la faisabilité des essais sur les êtres humains. C’est là qu’est parti mon engouement. Et en 2005, lors d’un séminaire de formation sur la gouvernance publique pour les députés de certains pays africains, organisé par le Forum civil, je me suis rendu compte que les problèmes d’éthique sont pratiquement les mêmes partout. Je suis partie de l’éthique de la recherche en santé pour m’intéresser à l’éthique de la gouvernance, à l’éthique sociétale et à l’éthique dans différents domaines. Et depuis plus de dix ans, j’enseigne l’éthique dans différents facultés et instituts de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Quel rapport entre éthique et secret d’État, secret médical qui est le titre de votre ouvrage ?
Vous savez le problème éthique a toujours été présent. On note d’ailleurs une résurgence de la notion d’éthique à cause d’une faillite des autres normes sociales. Éthique et gouvernance sont intimement liées. Le pilier de la gouvernance, c’est la transparence et la transparence est un principe éthique, donc transparence en tout : dans la gestion de la vie publique et sur ce que les gens ont tendance à oublier : le domaine de la santé, notamment celle des dirigeants. Ils sont appelés à prendre des décisions très importantes pour l’avenir de leurs compatriotes. Donc il est indispensable qu’ils aient les capacités intellectuelles physiques et mentales requises. Le problème est très actuel c’est pourquoi j’ai intitulé le livre ''Secret d’état secret médical, un débat éthico-juridique sur la transparence''. J’ai pris un objet d’analyse très concret pour montrer que la première qualité d’un dirigeant, c’est la santé. C’est l’axe fondamental de mon ouvrage. Cela m’a permis de lever la confusion entre secret d’État et secret médical mais aussi de revisiter le serment d’Hippocrate.
C'est-à-dire ?
J’ai mis en avant trois préceptes dans le livre pour ce cas qui nous intéresse. Le médecin de l’ancien président français a attendu quelques jours après son décès pour violer le secret médical et raconter des choses qui n’avaient rien à voir avec la pratique de l’art. Deuxième aspect que j’ai évoqué, c’est l’indépendance professionnelle du médecin quand on sait que c’est sous la dictée du président que le docteur écrivait et signait les bulletins de santé, ce qui est une entorse au principe déontologique. Troisième précepte qui a été mis en avant, c’est celui du devoir de confraternité. Beaucoup de médecins intervenaient au chevet de François Mitterrand, chacun avec son protocole alors qu’ils ne communiquaient pas. Il fallait retourner aux enseignements hippocratiques.
Quelle est cette confusion entre secret d’État et secret médical que vous évoquez aussi ?
Je l’ai soulevé dans cet ouvrage pour montrer que le problème de la confusion entre secret d’État et secret médical n’est pas spécifique au cas Mitterrand Que l’on soit dans un pays développé ou un pays en voie de développement, dans les démocraties avancées, dans les dictatures, dans les pays en transition démocratique, le problème reste le même. Je vous donne le cas de Hugo Chavez, se sachant malade récemment il s’est présenté aux élections. Il n’a jamais prêté serment, il n’a jamais pris fonction. Il est décédé. Qu’est ce qui s’est passé après ? D’autres élections ont été organisées. C’est une perte de temps et une perte d’argent.
Vous craignez que le secret médical finisse par engendrer une instabilité institutionnelle ?
Tout à fait. L’enjeu principal qui se pose, c’est la bonne conduite des affaires de l’État en cas de maladie grave handicapante du président de la République. Autre enjeu, l’attitude du médecin devant une maladie grave. Il est aussi question de poser le débat sur la possibilité ou non de permettre à un candidat malade de se présenter ou de continuer son magistère. C’est autant de problèmes connexes au problème principal qui ont été soulevés dans ce livre.
Mais le respect de la vie privée de l’individu quel que soit son statut n’est-il pas un droit ?
Vous savez, le respect du secret professionnel, qu’il s’agisse du président de la République ou d’un autre citoyen, s’impose aux médecins. Mais ce qui différencie le citoyen ordinaire du président, c’est que le citoyen ne commande pas, il ne dirige pas. Or le président, appelé à prendre des décisions majeures, doit jouir de ses facultés intellectuelles et mentales. La santé est un critère important dans l’exercice du pouvoir. Par exemple, l’ancien président américain John F Kennedy lançait automatiquement ce qu’on appelait le renseignement médical, avant de négocier des accords extrêmement importants avec un chef d’État Il envoyait la CIA mener des enquêtes sur la santé de ses homologues. Comme exemple, lorsqu’il s’est rendu compte que le président Pompidou ne se portait pas bien physiquement, par le biais des échantillons de cheveux laissés sur des peignes, d’urine laissés par Pompidou dans les suites présidentielles, Kennedy est allé jusqu’à dire à un proche que ce n’est pas la peine de négocier avec lui. Il n’en a plus pour longtemps. C’est un critère sérieux. Plus près de chez nous, au Togo, par exemple, l’opposant historique Olympio ne s’est pas présenté aux élections parce qu’il n’a pas fourni son certificat médical. Il s’est auto-exclu de la course à la présidentielle pour avoir refusé de présenter un bulletin de santé.
Vous estimez que les candidats à la présidentielle doivent impérativement présenter un bulletin de santé avant de briguer un mandat ?
Tout à fait, avant qu’ils ne se présentent et périodiquement car on peut lors d’une entrée en fonction ne pas souffrir d’une maladie grave. Ce que l’on demande, ce n’est pas de dire que le président souffre d’une maladie A, B, C et D mais seulement de révéler si le président est apte à la fonction qu’il incarne. Dans notre pays, il est exigé du simple fonctionnaire, quelque soit le poste auquel il aspire, de déposer un certificat de visite et de contre-visite. A fortiori un président. Tout ce que les citoyens exigent c’est de savoir si la fonction est compatible avec la maladie. Mais si elle l’empêche de mener à bien ses fonctions présidentielles, les citoyens méritent d’être édifiés.
Même s’il a la possibilité de se soigner ?
Mais c’est ce mécanisme là qui a été mis en place avec Yaradua et Goodluck Jonathan au Nigeria. Lorsque Yaradua a dû se retirer parce qu’il était gravement malade. On a mis en branle des mécanismes constitutionnels pour la transition, malheureusement, Yaradua n’est jamais revenu sur scène. Jonathan a été confirmé avant que de nouvelles élections ne soient organisées. Le problème qui se pose c’est ce que les mécanismes constitutionnels, même s’ils existent, sont souvent inopérants. C’est ce qui s’est passé en France. Tout le monde savait que le président Mitterrand était malade, surtout durant la fin de son dernier septennat, mais on n’a jamais mis en branle ces mécanismes institutionnels…
Vous dites être inspirée par le cas de Mitterrand, mais n’y aurait-il pas de cas similaire, dans notre pays, passé sous silence qui vous a poussé à prendre la plume ?
Pas pour notre pays seulement, je pars d’un contexte général. Je me suis d’abord intéressée spécifiquement au cas Mitterrand comme objet d’analyse principal. L’ancien président français était un homme fascinant à tout point de vue. C’est une personne insaisissable qui a pratiquement occupé la scène politique française pendant 50 ans. Sous l’angle de la science politique, Mitterrand est le prototype achevé du prince de Machiavel. Je le souligne dans le chapitre 18 du livre qui traite de la raison d’État, du respect de la parole donnée et de la liaison entre la morale et la politique, sur ce plan là, c’est intéressant. Pour le juriste que je suis, c’est d’autant plus intéressant que le cas Mitterrand a produit une très abondante jurisprudence, une jurisprudence avec une procédure qui a pratiquement duré dix ans et qui s’est terminée devant la Cour européenne des droits de l’Homme qui a donné quelque part raison au médecin, même s’il admet que celui-ci a violé le secret professionnel. Pour lui, on devait poser ce débat éthique d’intérêt général pour que les citoyens sachent si l’homme qui est à la tête du pays est capable de remplir les fonctions pour lesquelles il a été désigné. Deuxième chose qui a poussé la Cour européenne des droits de l’Homme à autoriser encore le livre du Dr Gabeleur, c’est la consécration d’une liberté fondamentale dans une démocratie, fondamentale autant pour les citoyens que pour vous les journalistes : la liberté d’expression. Donc ce sont des choses qui m’ont poussée vers le cas François Mitterrand
Mais il faut dire que chez nous, le cas de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade a soulevé des vagues…
Je l’ai évoqué dans le livre, mais je ne voudrai pas m’étendre là-dessus, je laisse ceux qui liront le livre apprécier les idées que j’ai émises sur ce cas, d’autant plus qu’on n’a pas d’éléments d’appréciation probants concernant le cas Wade. Tout ce que je peux dire c’est que c’était un président âgé et l’âge quand même constitue un handicap.
Actuellement comment se porte votre ouvrage ?
Je n’ai pas encore eu l’opportunité d’en faire la promotion. Permettez-moi au passage de saluer chaleureusement le président de l’Assemblée nationale, M. Moustapha Niasse qui s’intéresse beaucoup à l’éthique, de même que mon ministre, le professeur Eva Marie Coll Seck. En matière de transparence, il faut concilier des intérêts contradictoires, mais surtout veiller à ne pas dépouiller les institutions et les hommes qui les incarnent des atours, des attributs, des apparats qui symbolisent et sacralisent la République.