Publié le 7 Aug 2023 - 21:42
MODIFICATION DU CODE ÉLECTORAL

Le retour de Karim Wade et de Khalifa Sall acté

 

Les députés ont adopté, samedi, le projet de loi n°12/2023 modifiant la loi n°2021-35 du 23 juillet 2021 portant Code électoral. Par ce fait, la voie des candidatures de l’ancien maire de Dakar et du fils de l’ancien président de la République Abdoulaye Wade n’est plus entravée que par une promulgation de cette loi par le président de la République.

 

Pour le symbolique, c’était à souligner. Celui qui fut ‘’l’avocat’’ du gouvernement dans les deux affaires judiciaires qui ont valu à Khalifa Ababacar Sall et Karim Wade d’être écartés du fichier électoral, à la suite de condamnations judiciaires, a été le défenseur du projet de loi qui a acté le retour de ces derniers dans le jeu électoral.

Face aux députés, samedi dernier, Antoine Félix Diome n’a pas échappé à cette remarque. L’actuel ministre de l’Intérieur fut substitut du procureur à l’ex-Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) lors de l’affaire concernant le fils de l’ancien président de la République Abdoulaye Wade. Il était l’agent judiciaire de l’État lors du procès de la caisse d’avance de la mairie de Dakar contre l’ancien maire socialiste de la capitale.

Face aux sous-entendus de certains parlementaires savourant leur ‘’revanche’’ sur le régime,  Antoine Félix Diome a opposé la méconnaissance du fonctionnement des institutions.

En effet, assure-t-il, ‘’celui qui comprend le fonctionnement de la justice ne prétendra jamais qu’un substitut du procureur a fait enfermer une personne’’. Au moment de l’affaire Karim Wade, le ministre de l’Intérieur rappelle qu’il était le plus jeune et le moins expérimenté à la Crei. D’où le non-sens de croire qu’il aurait pu imposer quoi que ce soit à cette cour.

Antoine Félix Diome, à charge et à décharge

‘’En tant qu’agent judiciaire de l’État, explique-t-il encore, l’on est impliqué que dans les intérêts économiques et financiers de l’État du Sénégal. Ce qui m’a impliqué dans ce dossier (caisse d’avance de la mairie de Dakar), c’est une lettre des avocats de Khalifa qu’on a déposé à notre niveau notifiant une demande de mise en liberté provisoire. Et cela avait été rejeté avant même que j’arrive dans ce dossier’’.  

Ces points précisés, le ministre de l’Intérieur était à l’Assemblée nationale pour défendre le projet de loi n°12/2023 modifiant la loi n°2021-35 du 23 juillet 2021 portant Code électoral. Une modification faisant suite à douze points d’accord obtenus  lors du Dialogue national qui s’est déroulé du 9 au 23 juin 2023. Pour matérialiser ces ententes, le ministre a soutenu qu’il est nécessaire de modifier le Code électoral en vue d’y intégrer, notamment, les modalités du parrainage et l’encadrement de la caution à l’élection présidentielle, la création d’une commission de contrôle des parrainages logée au Conseil constitutionnel, l’institutionnalisation du tirage au sort pour le dépôt des dossiers de candidature, la question des droits civiques et politiques des candidats. C’est dans cette perspective qu’il a été jugé nécessaire d’abroger et de remplacer les articles L28, L29, L57, L120, L121, L122, L123 et L126 du Code électoral.

Bien que ces modifications aient été réclamées par l’opposition depuis longtemps, les députés élus sous la bannière du parti de l’opposant le plus en vue ont introduit un amendement pour ‘’améliorer’’ le projet de loi soumis au vote. Un de leurs représentants, Mouhamed Ayib Dafé, a soutenu qu’il ‘’y a des avancées sur ce projet de loi. Réparer une injustice c’est bien, mais c’est mieux de ne pas la commettre. On ne peut pas combattre une injustice en a commettant une autre’’.

Des amendements rejetés

Les amendements des députés de l’ex-Pastef proposent le retour de l’alinéa 1er de l’article L57 dans sa version d’origine, issue du consensus de 1992, qui ne posait pas comme condition la qualité d’électeur pour faire acte de candidature et être élu. Ils ont, sur ce sujet, recommandé la revue de cet article dans le sens de permettre à tout citoyen qui le désire d’être éligible et d’éviter de donner la possibilité à un homme politique de décider de l’éligibilité ou non de ses propres adversaires.

Sur ce point précis, Antoine Félix Diome a précisé que la nouvelle rédaction dudit article a pour objet de corriger une anomalie de la loi électorale. En effet, ‘’il est prévu dans tous les types d’élections la qualité d’électeur pour faire acte de candidature et être élu. C’est le cas des élections législatives et territoriales ou la qualité d’électeur est respectivement conditionnée par les articles L280 et L245 du Code électoral. Par conséquent, l’article 57 vient uniformiser les conditions d’éligibilité dans les différents types d’élections au Sénégal’’, a-t-il expliqué.

Quant à l’injustice soulevée par les parlementaires, le ministre assure que les réformes du projet de loi proviennent d’un dialogue inclusif, écartant de fait toute injustice. ‘’Ceci montre simplement que lorsque le président de la République a appelé au dialogue, tout le monde devait y  participer’’, ajoute-t-il, comme pour dire aux opposants que le train est déjà passé.

Le train est déjà passé pour Pastef

Pour montrer qu’ils ne sont  pas contre le projet de loi en soi, Guy Marius Sagna a rappelé qu’en mars 2023, ‘’j’ai moi-même déposé une proposition de loi sur le bureau du président de l’Assemblée nationale tendant à modifier les articles L29, L30 et L57 du Code électoral’’. De ce fait, estime-t-il, celui qui veut s’arroger ce mérite n’est rien d’autre qu’un ‘’bureau’’ de Karim Wade et de Khalifa Sall. Au lieu de le féliciter, le leader de Frapp/France dégage félicite les militants du PDS et de Taxawu Sénégal  qui ont porté le combat pour la réhabilitation des deux opposants.

Leurs amendements rejetés, les députés de l’ex-Pastef ont quitté la salle qui a adopté le projet de loi à une grande majorité. Un fait compréhensible, vu les implications de cette modification du Code électoral pour le PDS et la coalition Taxawu Sénégal. D’ailleurs, le moment n’était plus aux bisbilles avec les députés de la majorité, Benno Bokk Yaakaar. Les sous-entendus se faisant avec les députés de l’ex-Pastef.

Pour justifier  le vote du projet de loi, Nafissatou Diallo du PDS a insisté : ‘’Nous sommes peut-être des adversaires, mais nous ne sommes pas des ennemis. Le PDS a choisi d’aller au dialogue. Ce n’est pas une raison de nous traiter de dealers. Chacun est libre de répondre à l’appel du président Macky Sall. Il est préférable de discuter que de s’échanger des balles.’’  

Le PDS et Taxawu Sénégal aux anges 

Son collègue de la coalition Taxawu Sénégal se projette vers la Présidentielle, dans sept mois. Pour Babacar Mbaye Abba, ‘’nous avons enduré jusqu’à demain (dimanche, NDLR) pour que Khalifa Sall soit candidat à l’élection présidentielle. Ne nous bernons pas d’illusions. Tout ce que nous vivons présentement comme difficulté reviendra  comme un boomerang dans le prochain mandat. (…) Nous appartenons à cette génération qui aspire au vrai changement dans ce pays’’.

Au lieu de prendre le chemin de la rue et de la protestation, le député socialiste estime qu’il n’est pas nécessaire de ‘’casser le système’’. ‘’En pratiquant ces hauts fonctionnaires, après 45 jours de marathon budgétaire, j’ai compris qu’il fallait être humble et nous ne sommes pas plus Sénégalais qu’eux’’, assure-t-il.  

Les allusions sont à peine voilées à l’encontre des députés de Pastef. Eux qui n’ont pas participé au dialogue, dénonçant l’emprisonnement de centaines de leurs militants et partisans, ont vu le leader de leur parti placé sous mandat de dépôt et leur parti dissous le 31 juillet 2023.

Mais selon le ministre de l’Intérieur, ‘’l’inculpation d’Ousmane Sonko n’a absolument rien à voir avec la dissolution du parti Pastef’’.

Pour Antoine Félix Diome, les partis politiques sont des associations encadrées par l’article 4 de la Constitution, les articles 812 à 814 du Code des obligations civiles et commerciales et d’autres lois de 1981 et 1989. Dans ces textes, ajoute-t-il, il est précisé qu’un parti politique ambitionne de conquérir le pouvoir et d’éduquer ses militants.

Le ministre s’explique sur la dissolution de Pastef

‘’Il n’a pas pour vocation à agir dans la destruction, la violence, l’égarement. Ses statuts doivent respecter la Constitution et la démocratie. Les troubles de l’ordre public et les libertés sont des motifs de dissolution d’un parti politique. Qui peut nier que depuis 2021, le leader de ce parti (Pastef) ou leurs instances ont lancé des appels fréquents à la violence, la destruction, la tuerie. Combien de personnes sont mortes lors de manifestations ? Combien de biens publics et privés ont été détruits ? Ce n’est pas le rôle d’un parti politique’’. Ce qui a mené à la dissolution du parti du principal opposant du régime Macky Sall.

Malgré tout, les députés de l’ex-Pastef assurent, quant à eux, que ce n’est pas une décision administrative qui va enterrer leur ‘’projet’’ pour le pays. ‘’C’est trop tard, parce que Pastef est déjà dissous dans le cœur des Sénégalais’’, assure Guy Marius Sagna.

Des députés contre une intervention de l’armée sénégalaise au Niger

Lors du vote du projet de loi n°12/2023 modifiant la loi n°2021-35 du 23 juillet 2021 portant Code électoral, samedi à l’Assemblée nationale, certains députés ont exprimé leur souhait de ne pas voir l’armée sénégalaise prendre part à une éventuelle intervention au Niger où des putschistes ont renversé le président démocratiquement élu, Mouhamed Bazoum.

Pour s’insurger contre la recrudescence des coups d’État militaires en son sein, la CEDEAO avait donné un ultimatum de sept jours (expiré dimanche) pour un retour de l’ordre constitutionnel, n’excluant pas une intervention militaire pour déloger la junte du pouvoir.

Selon Mohamed Ayib Dafé, le Sénégal ne doit pas se laisser entraîner dans une aventure au Niger. ‘’Cela  peut provoquer une guerre sous-régionale comme on l’a vu en Syrie ou en Libye. Le Sahel a besoin de stabilité et de paix. Nous en appelons à la  sagesse du président Macky Sall, le chef suprême des armées. Il ne doit pas entraîner nos militaires dans une aventure guerrière qui ne nous rapporte rien et qui va déstabiliser l’Afrique de l’Ouest et Sénégal’’.

Le député de l’opposition a également appelé l’Assemblée nationale à ne pas faire de déclaration de guerre. Dans sa démarche, il a été précédé par Thierno Alassane Sall qui s’est insurgé contre tout règlement militaire de cette crise.

Vendredi dernier, le Sénat nigérian a rejeté une consultation du président Bola Tinubu demandant une intervention militaire au Niger.

Lamine Diouf

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