Publié le 11 Oct 2023 - 02:24
POLITIQUES RESTRICTIVES SUR LA MIGRATION

L’échec par les chiffres

 

En quatre jours, ce sont plus de 2 000 Sénégalais qui ont débarqué sur les îles espagnoles à bord de pirogues. Malgré les échecs des politiques restrictives, l’Union européenne cherche toujours des moyens de corser l’accès à son territoire.     

 

Par centaines. C’est le décompte des Sénégalais qui arrivent chaque jour sur les îles espagnoles par des embarcations de fortune. Rien que ce dimanche, ils étaient plus de 300 à accoster sur l’île de Hierro. Les mêmes chiffres ont été communiqués sur le nombre d’arrivées du samedi, par un journaliste espagnol spécialisé sur les questions migratoires, après que trois pirogues de 122, 57 et 119 personnes ont débarqué à El Hierro et à Tenerife. Vendredi, ce sont plus de 783 migrants qui ont débarqué sur les îles espagnoles.

Selon un décompte réalisé par le journaliste Ayoba Ba, ‘’c’est au total 2 264 migrants partis du Sénégal qui sont arrivés en Espagne’’ entre mercredi et samedi.

Si les autorités sénégalaises gardent un silence troublant sur ces départs massifs, sans compter ceux qui ont été interceptés par la marine  sénégalaise, les garde-côtes marocains et mauritaniens, leurs homologues européens viennent de s’entendre sur un texte pour faciliter les expulsions de migrants et le prolongement de la période de détention dans les centres construits à cet effet. La semaine dernière, les ambassadeurs l'Union européenne (UE) se sont accordés sur un texte qui prévoit, en cas d'afflux "massif" et "exceptionnel" de migrants, la mise en place d'un régime dérogatoire moins protecteur pour les demandeurs d'asile que les procédures habituelles.

En attendant son adoption par le Parlement européen, le texte prévoit le prolongement de la durée possible de détention d'un migrant aux frontières extérieures de l'UE, jusqu'à 40 semaines. Il permet aussi l’application de procédures d'examen des demandes d'asile plus rapides et simplifiées pour un plus grand nombre d'exilés (tous ceux venant de pays dont le taux de reconnaissance, c'est-à-dire le taux de réponse positive aux demandes d'asile, est inférieur à 75 %), afin de pouvoir les expulser plus facilement. 

L’accord prévoit, par ailleurs, un déclenchement rapide de mécanismes de solidarité envers l'État membre de l’UE confronté à un afflux, sous la forme notamment de relocalisation de demandeurs d'asile ou d'une contribution financière.

L’afflux majeur de migrants noté sur les îles Canaries (Espagne) et sur l’île italienne de Lampedusa joue sur cette décision radicale. Au point de ressortir un texte présenté en septembre 2020 par la Commission européenne et comprenant une dizaine de législations. L’objectif est d’aboutir à une adoption de ce pacte avant les élections européennes de juin 2024.

Le thème de l'immigration, d'ores et déjà très présent dans les débats politiques des pays membres, devrait continuer d'occuper l'espace médiatique, les prochains mois. Et avec la crainte d'une poussée de l'extrême droite au Parlement européen, c'est presque l'ensemble de la classe politique qui entend désormais faire preuve de fermeté vis-à-vis des migrants.

Plus de 130 000 migrants sont arrivés en Italie cette année

Selon le ministre espagnol de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska Gomez, cet accord ‘’constitue un grand pas en avant et nous sommes désormais dans une meilleure position pour parvenir à un accord sur l’ensemble du pacte asile et migration avec le Parlement d’ici à la fin de ce semestre’’.

Le message à envoyer est clair : l’Europe veut se montrer ferme contre les migrants africains. Il y a trois semaines, le ministre de l'Intérieur français, Gérald Darmanin, avant de se rendre en Italie, déclarait : "Il ne peut pas y avoir comme message donné aux personnes qui viennent sur notre sol [européen] qu'ils seront accueillis quoi qu'il arrive." Cela faisait suite à une visite de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Lampedusa pour rassurer la Première ministre italienne Giorgia Meloni sur la volonté de l'UE de lutter contre l'afflux de migrants.

Plus de 130 000 migrants sont arrivés en Italie cette année, soit deux fois plus que l'an dernier à la même période. Pourtant, rappelait Flavio Di Giacomo, porte-parole de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) au quotidien ‘’Le Monde’’, ‘’l'Italie a accueilli sans difficulté 120 000 réfugiés ukrainiens en trois mois".

Malgré les milliards dépensés, les faits ont montré que la politique restrictive ne fonctionne pas. Comme analysait sur France 24, le vendredi 15 septembre, Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public, spécialiste de l'immigration, ‘’le modèle de l'accord UE-Turquie qu'on avait vu en 2016 et de l'accord Italie-Libye qu'on avait vu en 2017 a été développé par Giorgia Meloni et le président Kaïs Saïed avec le soutien de l'Union européenne. Il a abouti à un mémorandum d'entente, l'idée étant de demander au président tunisien d'empêcher les migrants se trouvant sur son territoire de se diriger vers l'Union européenne. Or, on voit bien que ce type de politique restrictive des migrations ne fonctionne pas".

Au Sénégal également, les politiques publiques mises en place ne fonctionnent pas. Les interceptions, les naufrages et leur lot de morts, les programmes de financement, etc., n’arrivent pas à retenir les migrants qui sont de plus en plus nombreux à tenter l’aventure périlleuse du voyage en pirogue. L’annonce par le gouvernement d’un plan décennal de lutte contre l’émigration irrégulière a comme multiplié les envies de départ. Depuis, aucun message officiel n’a été communiqué sur le regain de pirogues à destination des îles Canaries.

À quelques mois de l’élection présidentielle de février 2024, ce thème devrait avoir une place prépondérante dans la campagne électorale.

Lamine Diouf   

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