Publié le 9 Feb 2016 - 00:37
PORTRAIT- AMSATOU SOW SIDIBE, PROFESSEUR D’UNIVERSITE

Femme politique, cent convictions

 

Professeur d’université, fervente défenseur de la paix et des droits humains, Amsatou Sow Sidibé a également rejoint le milieu politique. Elle vient d’être limogée, il y a une semaine, de son poste de ministre-conseiller du Chef de l’Etat, Macky Sall. Une situation que d’aucuns imputent à ses convictions.

 

Elle a le verbe posé. Le pas aussi. Son regard reflète l’attention. Son geste également. «Amsatou Sow Sidibé est la gentillesse incarnée. » Une étiquette que lui collent ses étudiants. Chez cette dame, tout se fait calmement. Pacifiquement. « Dans la vie, je pense que tout peut se régler dans la paix », confiait-elle en 2010, lors d’un entretien accordé à Walf Grand-Place. Deux (2) ans après, la « dame de paix » se propulsait sur l’arène politique. Telle une proie qui se jette dans la gueule du loup, les coups n’ont pas tardé à venir de partout. Depuis, elle vit et affronte le tumultueux quotidien du politicien, au Sénégal. Malgré tout, Amsatou Sow Sidibé ne regrette pas son choix. « Ce qui m’a motivée à entrer en politique, c’est ma forte volonté de participer à la prise de décision au niveau le plus élevé pour le bien-être du peuple sénégalais. » Une raison suffisante pour tenir le coup, battre campagne, avant de s’allier à l’Apr au second tour de la Présidentielle 2012. Macky Sall devenu président de la République, vie a été donnée à sa motivation.

L’universitaire a été bombardée ministre-conseiller du Chef de l’Etat. La semaine dernière, pour avoir approuvé la décision du groupe de travail des Nations unies sur « la détention arbitraire de Karim Wade »,  Amsatou Sow Sidibé a été débarquée de ses fonctions. « Elle a sûrement estimé qu’il est possible de faire partie du Gouvernement et de dire ce qu’on pense, même si ce n’est pas ce que les gouvernants veulent entendre. Elle se trompe et elle en a fait les frais », juge Massiga Mbaye, opérateur économique. Admirant ce qu’il qualifie de courage chez l’initiatrice du mouvement Caar-leneen, il poursuit : « Elle gagne en crédibilité, puisque rares sont ceux qui disent ce qu’ils pensent quand ils sont au pouvoir. »

En retrait, depuis son limogeage, la désormais ex-ministre compte s’adresser aujourd’hui lundi 8 février aux populations. « Je défends un Etat de droit avec les principes d’équité, de justice, de respect des droits humains, de tolérance, de respect pour autrui, de dialogue… pour la stabilité et une paix durable », martèle-t-elle, comme pour énumérer ses convictions. Mais, ça ne passe pas à tous les coups. « Je pense qu’il faut être conséquent. En tant que conseiller du chef de l’Etat, si elle n’est pas écoutée par ce dernier et qu’elle décide finalement de dire ce qu’elle pense publiquement, elle aurait dû tirer les conséquences, se dire qu’elle ne mérite plus son salaire parce qu’on ne l’écoute plus et partir. Ses conseils doivent être destinés au président et non au public», estime ce politique qui préfère garder l’anonymat. Thierno Bocoum, député et membre du parti Rewmi estime pour sa part que « c’est une dame à encourager sur le plan politique car, on est à l’ère de la parité. Je ne la connais pas bien, mais j’apprécie aussi qu’elle donne son point de vue. Qu’elle dise la vérité en toute circonstance».

Pacifiste, « pas faite pour la politique »

A vrai dire, les qualificatifs qui caractérisent Amsatou Sow Sidibé ne datent pas d’aujourd’hui. Elle s’en explique : « J’ai reçu une éducation très stricte de la part de mes parents qui en outre nous ont inculqué l’idée d’égalité et de justice. Je me souviens qu’à l’âge de 8 ans, habitant à la gare de Dakar, je suis passée devant le dispensaire de la gare où j’ai ramassé un billet de 5000 F. J’étais contente et j’ai couru pour montrer cela à mes parents. Mon père El hadj Caab Sow m’a demandé de retourner au dispensaire et d’y déposer l’argent.

Je n’ai jamais oublié cet ordre que ma mère Ndèye Oulèye Diaw avait confirmé.» Ensuite, elle n’a jamais été partisane des histoires et des problèmes. A la différence de tout enfant, « je ne me suis jamais battue quand j’étais à l’école primaire, à plus forte raison après». La seule fois où elle a dû lever la main sur une camarade, et encore ce n’était pas une bagarre, c’est parce que celle-ci l’avait particulièrement irritée. «Nous sommes devenues par la suite de grandes amies à un moment où nous nous sommes retrouvées toutes les deux dans le campus universitaire de l’UCAD», confie-t-elle.

D’ailleurs, depuis sa tendre jeunesse, déjà avec son signe du zodiaque qui est la balance, signe de la justice, elle raconte qu’il lui arrivait de séparer deux camps qui se bagarrent.  « Je l’ai même fait à la faculté de Droit à l’occasion de l’élection des membres de l’amicale. Je me souviens aussi avoir calmé des étudiants en mouvement d’humeur qui avaient séquestré l’autorité académique. » Aujourd’hui encore, les exemples n’en finissent pas. « Cet instinct pacifiste m’a amenée à éteindre ou à tenter d’éteindre de nombreux foyers de tension. » Toutefois, Mme Sidibé tient à faire cette précision : « Attention, être pacifiste ne signifie pas renier ses principes. Les valeurs importent beaucoup pour moi. J’ai mes idées que je n’hésite pas à défendre. » Voilà ! C’est dit. Toutefois, enseignante de son état, Mme Mbengue estime qu’Amsatou Sow Sidibé n’est pas faite pour la politique. «Elle aurait dû rester professeur, continuer ses bonnes actions de pacification, sans jamais faire de la politique. Elle n’a ni le charisme, ni le dynamisme requis pour en faire. Je me demande encore ce qui lui a pris. Elle va se faire piétiner dans ce milieu», indique-t-elle.

La « Bajen » des étudiants

Pourtant, dans sa profession de professeur d’université, qu’elle exerce depuis qu’elle a bouclé ses 26 ans, la première femme sénégalaise agrégée en Sciences juridiques et politiques et première femme Présidente du Jury d'agrégation en 2005 (Cames) a tous les honneurs. « Au début, on me confondait avec les étudiantes. Certains étudiants que j’encadrais étaient d’ailleurs beaucoup plus âgés que moi», narre-t-elle. Au fil des années à l’Ucad, elle est devenue la « bajen » de ces jeunes gens. « C’est un nom qu’on lui donne, à cause de toute l’affection qu’on a pour elle. Mme Sidibé, c’est comme une maman pour les étudiants. Elle est loin de ces professeurs austères qui se limitent à projeter leurs cours et à plier bagages », témoigne son ancien étudiant, devenu aujourd’hui avocat.

Informant qu’elle l’a eue comme professeur de Droit civil en 1ère puis en 3e année de Droit, il soutient : « Elle est très maternelle. Malgré le nombre pléthorique que peut compter un amphithéâtre, c’est elle que je vois interpeller un étudiant pour lui signaler qu’il devrait trouver une place plus confortable. A l’approche des examens aussi, elle ne tarissait pas de conseils sur la manière de réviser, de penser à bien manger et à se reposer.» La robe noire, qui apprécie certaines qualités importantes chez la femme, de conclure sur un air taquin : « Tout chez elle est grâce. Même les escaliers, elle les montait et les descendait marche par marche. Un beau spectacle ! »

Amsatou Sow Sidibé confirme. L’UCAD lui manque. «J’ai surtout continué à encadrer les étudiants du 3ème cycle, spécialement les doctorants. J’ai participé à des jurys de soutenance de thèse, aussi bien en Droit qu’en Sociologie et au département d’Arabe. J’ai, à certains moments, poursuivi mes enseignements à l’Institut des droits de l’Homme et de la Paix (IDHP). Le grand amphi B dans lequel je faisais face à des milliers d’étudiants venant de toutes les facultés me manquait. »

Poursuivant son propos, elle indique : «J’ai régulièrement rappelé aux assistants avec qui j’ai eu le bonheur de travailler que la correction des copies des étudiants méritaient une attention particulière. Je leur disais que les étudiants sont fatigués. Certains d’entre eux venaient de la lointaine banlieue qu’ils quittaient à 5h du matin pour avoir une place. Que les familles de ces étudiants étaient fatiguées et stressées. » Elle se souvient : « A la fin de l’année, au dernier cours, lorsque je disais au revoir aux étudiants, dès que je franchissais le pas de la porte, ils s’agglutinaient tous sur moi ; qui avec des cahiers, qui avec un livre ou un bout de papier pour avoir mon autographe. Ce spectacle était tellement fort que les autorités décanales demandaient aux vigiles de m’extraire des lieux.»

Aujourd’hui, après 35 années de carrière universitaire et un profil naissant de politique, renvoyée de son poste de ministre-conseiller du président de la République, elle décline son avenir ainsi : «Travailler, c’est récolter. Le terrain nous édifiera.» Point final.

AÏSSATOU THIOYE

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