La sage attitude !
‘’La mission du juge constitutionnel consiste à garantir le respect de la Constitution, à veiller à l’équilibre des pouvoirs et à leur dévolution démocratique. Notre unique boussole est et sera la Constitution et les lois applicables aux litiges qui sont soumis à notre jugement’’. Telle est l’affirmation qui accueille tout visiteur du site officiel du Conseil constitutionnel du Sénégal. Elle est signée par son célèbre président Mamadou Badio Camara, 73 ans, plus de 46 ans au service de la justice et de la magistrature.
En 2012, leur verdict avait provoqué un tsunami de contestations, avec à la clef des manifestations violentes, beaucoup de blessés et même des morts d’hommes. En 2024, c’est un calme glacial à la suite de la décision rendue par le Conseil constitutionnel. Souvent accusés d’être à la solde des régimes en place, les sages ont cette fois sabré non seulement les tenants du régime, mais aussi l’Administration elle-même.
Dans l’affaire Ousmane Sonko, alors que cette dernière avait mobilisé tous les moyens pour empêcher l’opposant d’être candidat, le conseil a démoli leurs arguments. De manière claire et non équivoque, le Conseil constitutionnel affirme : ‘’L'absence de l'attestation de versement de la caution et des fiches de parrainage est le résultat du refus des autorités administratives compétentes.’’ Ainsi, Ousmane Sonko a été écarté non parce qu’il n’a pas eu ses fiches de parrainage, mais parce qu’il a été condamné de manière définitive dans l’affaire Mame Mbaye Niang, à une peine le privant de ses droits pour cinq ans.
Même si, du côté du Pastef, on conteste cette décision en regrettant l’exclusion d’un des candidats les plus sérieux sur la base d’un simple ‘’lapsus’’, il faut rappeler que le conseil n’a fait qu’appliquer l’article L30 de la loi électorale. Du moins l’interprétation que les sages font de ce texte a déjà été partagée par d’éminents avocats d’Ousmane Sonko.
Par ailleurs, il convient de souligner que s’il a écarté Ousmane Sonko pour un motif difficilement contestable, il a aussi donné raison à ses poulains attaqués par le candidat de la majorité présidentielle. En validant les candidatures de Bassirou Diomaye Faye et du Dr Cheikh Tidiane Dièye, le Conseil constitutionnel coupe la poire en deux.
Mais si, du côté de l’ex-Pastef, on conteste, du côté d’Amadou Ba, on se la joue fair-play. "Je me félicite de cette décision qui constitue un tournant décisif dans la conduite du processus électoral de notre pays. Ceci marque encore une fois la vitalité de la démocratie sénégalaise, sous le contrôle d'institutions républicaines fortes et impartiales".
Une décision saluée par la société civile
Au niveau de la société civile, ils ont été nombreux à saluer la ‘’sage’’ décision du Conseil constitutionnel. Sur son compte X, Alioune Tine déclare : ‘’Il faut prendre acte du fait que la décision du Conseil constitutionnel est bien conforme au droit et que le CC a fait l’effort de relever le défi de l’État de droit. En dénonçant l’attitude de la DGE (Direction générale des Élections) et de la CDC (Caisse des dépôts et consignations) qui ont délibérément fait de l’obstruction contre la candidature de Sonko, il donne raison aux préoccupations de tous ceux qui se sont inquiétés de ces actes de l’Administration perçus comme une prise de position partisane.’’
Toutefois, le président d’Afrikajom Center, qui estime que les abus de l’Administration doivent davantage être contrôlés par les juridictions, a un goût d’inachevé. ‘’Si le conseil nous a réconciliés avec l’État de droit, commente-t-il, il n’a pas créé du droit ni contribué de façon substantielle à renforcer l'État de la démocratie sénégalaise, dans le sens de renforcer les fonctions démocratiques essentielles de la représentation de la légitimité’’.
Ceux qui considèrent que le Conseil constitutionnel est une juridiction politique et démocratique sont restés un peu sur leur faim, selon lui. C’est le cas dans les affaires Karim Wade et Ousmane Sonko. À son avis, ‘’il est important et primordial que tous les citoyens soient dignes d’être représentés. Alors, les partisans de Karim Wade ne doivent pas être en reste’’, soutient M. Tine. Il ajoute : ‘’Cela confère plus de légitimité à la Présidentielle. À partir de ce moment, la question de la date de publication du décret reconnaissant la renonciation à la nationalité française de Karim Wade devient secondaire. Car au moment où se fait la délibération, il n’est plus français. À partir de ce moment, il faut privilégier la question de la représentation de tous les segments de la société sénégalaise et de la légitimation de la Présidentielle’’. Pour lui, l’exclusion d’Ousmane Sonko sur la base d’une condamnation pour diffamation est encore plus ‘’absurde’’. Le responsable de la société civile admet tout de même que du point de vue de la conformité par rapport à la règle de droit, on ne saurait reprocher grand-chose aux sages.
Chez les partisans de Karim Wade, le discours est tout autre. À les entendre parler, la décision rendue est tout sauf sage. Ils accusent directement deux parmi les juges du Conseil constitutionnel de conflit d’intérêts et d’autres manquements.
Qui sont les sept sages actuels ?
À la faveur des dernières nominations, le Conseil constitutionnel est exclusivement composé de magistrats. Une seule avocate a réussi à les infiltrer. Les universitaires y sont les grands absents.
Mamadou Badio Camara : l’inébranlable procureur
À tout seigneur, tout honneur. Son nom est sans doute connu de la plupart des Sénégalais. Même s’il parle très peu. Au-delà de la caricature et des critiques faciles, Mamadou Badio Camara est un haut magistrat qui a marqué les juridictions sénégalaises. Né il y a plus de 71 ans, M. Camara est issu de la promotion 1977 de l’École nationale d’administration et de la magistrature. Ancien premier président de la Cour suprême, il a été nommé comme juge au Conseil constitutionnel le 26 juillet 2021, avant d’être porté à la tête de l’institution en septembre 2022, en remplacement de Papa Oumar Sakho. Réputé comme étant un grand parquetier, il aura fait toutes les classes au sein du ministère public, jusqu’au prestigieux poste de procureur général près la Cour suprême (2013-2015), avant de devenir le premier président de la haute juridiction en 2015. Poste qu’il va occuper jusqu’à la retraite, avant d’être nommé juge au Conseil constitutionnel. Ce qui lui vaut d’ailleurs toutes les contestations, car il a été au cœur de tous les procès politiques le long du régime du président Sall.
Aminata Ly Ndiaye : la juge accomplie
Ancienne présidente de la Cour d’appel de Thiès, Aminata Ly Ndiaye est issue de la promotion de 1986 de l’École nationale d’administration et de magistrature. Chevalier de l’Ordre national du mérite depuis 2011, la magistrate a rejoint le Conseil constitutionnel comme juge en 2021, avant d’être portée à la vice-présidence. Après plus de 30 ans d’expérience, l’ancienne présidente du tribunal du travail hors classe de Dakar est très respectée dans la magistrature.
Mouhamadou Diawara : le dernier des Mohicans
Il est l’un des membres les plus anciens du Conseil constitutionnel. Nommé en 2018, M. Diawara, qui est en fin de mandat (de six ans non renouvelables) a eu une carrière bien remplie. Ancien président de la Chambre administrative de la Cour suprême, président de la Chambre civile et commerciale de la Cour suprême, de 2010 à 2015. Il est l’une des valeurs sûres de la magistrature. Il est le seul à avoir fait deux Présidentielles.
Youssoupha Diaw Mbodj
Nommé membre par décret n°2021-982 du 26 juillet 2021 du président de la République, Youssoupha Diaw Mbodj est également un magistrat très respecté, sorti de l’École nationale d’administration et de magistrature. Parquetier hors pair, il a occupé plusieurs postes dont celui de procureur près le tribunal régional de Kaolack, procureur de la République près le tribunal régional de Thiès, etc. Il a également été patron du parquet au niveau de la Cour d’appel de Kaolack, mais aussi dans la prestigieuse Cour d’appel de Dakar.
Cheikh Tidiane Coulibaly et Cheikh Ndiaye : les derniers venus
La cohorte des magistrats au niveau du Conseil constitutionnel a été complétée par les éminents magistrats Cheikh Tidiane Coulibaly et Cheikh Ndiaye. Ancien premier président de la Cour suprême, M. Coulibaly a été nommé comme membre de la haute juridiction au mois de novembre 2023, quelques mois seulement après son collègue Cheikh Ndiaye. Le hasard aura voulu que ce soit les deux magistrats que le Parti démocratique sénégalais accuse directement d’être responsables de tous les noms d’oiseaux dans le contrôle ayant mené à l’invalidation de la candidature de leur leader Karim Wade.
Maître Awa Dièye : la seule intruse
Dans cette équipe essentiellement composée de magistrats, il y a une seule intruse, en la personne de l’avocate Awa Dièye. En fonction depuis le 12 septembre 2022, Me Dièye représente dignement le barreau au sein de la haute juridiction. Avec plus de 40 ans de barre, l’ancienne stagiaire au cabinet de Valdiodio Ndiaye fait partie des grands sages de l’Ordre national des avocats du Sénégal. Ancienne membre de l’Office national contre la fraude et la corruption, elle est aujourd’hui l’une des gardiennes de la charte fondamentale.
Pourquoi les sept sages ?
Conformément aux prescriptions de la charte fondamentale, la loi organique 2016-23 du 14 juillet 2023 relative au Conseil constitutionnel fixe le nombre de membres de la haute juridiction à sept. Ils sont choisis parmi les magistrats, les professeurs titulaires de droit, les inspecteurs généraux d’État et les avocats. Ce n’est pas tout.
En plus d’être issu de ces corps, il faut ‘’avoir au moins vingt ans d’ancienneté dans la fonction publique ou vingt ans d’exercice de leur profession’’.
À la question de savoir pourquoi on les appelle des ‘’sages’’, ce magistrat explique : ‘’C'est une appellation empruntée à la France. Elle tient au fait que ceux qui sont nommés à cette fonction, ce sont des personnalités qui ont traversé sans tâche une longue carrière à des fonctions de responsabilité très importantes.’’
En France, poursuit notre interlocuteur, tous les anciens présidents de la République sont membres de droit du Conseil constitutionnel, sauf s'ils y renoncent. ‘’Les autres membres sont d'anciens hauts magistrats, Premiers ministres ou professeurs d'université et avocats. Au Sénégal, ce sont des magistrats ayant effectivement assumé les plus hautes fonctions judiciaires, des avocats, des professeurs titulaires d'université, des inspecteurs généraux d'État’’.
Leur mission, souligne le spécialiste du droit, ‘’consiste essentiellement à protéger la charte fondamentale à travers des décisions qui s'imposent à toutes les autorités politiques, administratives et judiciaires. On a donc intérêt qu'ils soient des sages’’.
Mor AMAR