Sonko étale son programme

Le projet de Ousmane Sonko est dévoilé. Le chef du parti dissous Pastef y présente une vision audacieuse : réduire le pouvoir du président de la République, mettant ainsi un terme aux abus constitutionnels perpétrés par des dirigeants convaincus d'être intouchables. Son objectif principal est de rompre avec le "système colonial" qui persiste, d'après lui.
Malgré sa détention, le compagnon de Bassirou Diomaye Faye se bat ardemment pour participer à l'élection présidentielle de 2024. Alors que sa réintégration sur les listes électorales n'est pas encore certaine, Ousmane Sonko a soumis sa candidature. En tant que principal opposant de Macky, il croit fermement en son projet. Ce dernier vise à mettre en lumière des faits essentiels et, surtout, à susciter un débat populaire authentique sur les nombreux problèmes structurels du Sénégal. Son objectif est de ‘’proposer des solutions qui permettent de réinventer ensemble un Sénégal porteur d'espoir et de prospérité pour tous les Sénégalais, sans exception’’.
En ce qui concerne les institutions, Ousmane Sonko propose une diminution du pouvoir du président de la République. ‘’Le Président de la République au Sénégal a un pouvoir absolu. Il règne en monarque et prend de force tous les pouvoirs. Sa mainmise sur tous les leviers du pays développe la corruption, le clientélisme et surtout l’appropriation du Sénégal. Trop de pouvoir rend fou, égoïste ou développe chez certains le syndrome de la longévité au pouvoir. Malgré notre pléthore de services de contrôle de l’Etat, la mal-gouvernance n’a jamais atteint des proportions aussi graves’’, déplore le leader du parti dissous Pastef.
Ainsi, il propose des solutions. A ses yeux, il faut mettre les moyens pour avoir une assemblée nationale indépendante, mais aussi une justice libre détachée du ministère de la justice pour que les 3 pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) puissent fonctionner en toute autonomie.
D'après M. Sonko, une justice libre constitue le premier rempart de la démocratie si elle s’affranchit des tutelles politiques et du jeu des lobbies. ‘’Nous voulons un pouvoir exécutif responsable et contenu ; le rôle du Président de la République n'est pas remis en cause, ce sont les abus et dépassements préjudiciables à la bonne marche de l'Etat que nous voulons mettre fin. Des réformes constitutionnelles seront faites pour mettre fin aux abus constitutionnels de nos dirigeants convaincus d'être intouchables. Le président de la république ne sera plus membre du conseil supérieur de la magistrature, l’organe de la gestion des carrières des magistrats. Le parquet ne sera plus sous la tutelle du ministère de la justice. Le président de la république doit obligatoirement démissionner de la direction de son parti politique pour se consacrer totalement à sa fonction et sortir des contingences partisanes. Il faut aussi arrêter cette gestion familiale et clanique des affaires de l'État qui n'est rien d'autre que du népotisme’’, lit-on dans le document.
M. Sonko et Cie promettent de renforcer, une fois au pouvoir, les services de contrôle de l'Etat tels que l'IGE (inspection générale de l'Etat), l'OFNAC (office national de lutte contre la fraude), la Cour des Comptes...pour qu'aucun président de la République ne puisse imposer ses hommes pour avoir la mainmise sur ces institutions de contrôle, entre autres.
Appel à candidature permettant une présélection pour les DG et autres emplois supérieurs
L'autre proposition porte sur un développement de la culture de l'excellence. Le constat est que le président de la république nomme à tous les hauts emplois civils et certains militaires. Ce qui est une source de dérives, selon Ousmane Sonko. ‘’Le pouvoir politique s’en sert pour tenir d’une main de fer l’administration et l’orienter plus vers la soumission et les désirs politiciens que vers le service républicain. Ainsi, ce sont souvent les plus corrompus, les plus incompétents qui occupent les hautes fonctions de l’Etat pour uniquement servir les ambitions personnelles. Les directeurs généraux sont en fait des hommes de main, la famille ou proches du président de la république et la compétence est souvent mise en second plan. Le clientélisme politique permet aussi de créer un nombre pléthorique d’amuseurs du prince flanqués de titres de ministres délégués ; ministres d’Etat ; ministres conseillers, d’organismes inutiles tels que HCCT ou CESE. Ces placements de personnels politiques coûtent très cher au Sénégal, car les dépenses liées aux salaires, au mobilier (matériel informatique, bureaux aménagés, véhicules, frais de voyage…) sont parfois trop importantes’’, souligne Ousmane Sonko.
Comme solutions, le leader emprisonné estime qu’il faut faire un appel à candidature permettant une présélection pour les DG et autres emplois supérieurs soumis au choix du Président de la République, car, dit-il, parmi les Sénégalais de l'intérieur et de la diaspora énormément de personnes ont un savoir et un savoir-faire dans beaucoup de domaines. ‘’Leurs talents sont ignorés ou méconnus à cause du clientélisme politique. Le recours aux concours permet l’égalité des chances aux citoyens et la qualité de recrutement à l’Etat’’, soutient-il, demandant de mettre de l’ordre sur les salaires exagérés. ‘’En ce qui concerne notre gouvernement, le nombre ne dépassera pas 30 membres’’, promet Ousmane Sonko, qui, par la même occasion, fait savoir de son désaccord du montant destiné aux caisses noires du Président de la République (10 milliards de FCFA/an).
‘’Le premier vecteur de la mal-gouvernance, du détournement de fonds publics et de la corruption au Sénégal est le Président de la République lui-même, chantre de l’impunité et du népotisme. L’exemple en est, en 2019, l’achat d’un avion présidentiel à 60 milliards de FCFA l’un des plus chers de l’Afrique de l’ouest ; il porte une montre de 28 millions de FCFA ; il a une voiture Maybach de 1 milliard de FCFA ; en 2012 , il a déclaré un patrimoine comprenant plus de 8 villas et immeubles, des terrains un peu partout au Sénégal, plus de 35 voitures (tout cela avec l’argent des Sénégalais)...’’, peste l’opposant farouche.
Pour y mettre fin, il préconise : ‘’Ces fonds, bien que obligatoires pour la diplomatie et pour beaucoup d'autres domaines, sont excessifs ; ils peuvent être appelés fonds secrets et doivent être discutés et votés à l'Assemblée nationale pour être soumis à un contrôle à postériori d’une sous-commission à instituer. En ce qui concerne les détournements de fonds, une bonne gouvernance, des institutions autonomes mettront fin à tout cela’’.
Un nouveau modèle économique
Par ailleurs, Ousmane Sonko, qui souhaite une rupture d’avec le système colonial, propose un nouveau modèle économique basé sur une substitution aux importations et une promotion des exportations de produits manufacturés. L’objectif étant de mettre fin à l'exportation de produits bruts non manufacturés et à faible valeur ajoutée et réduire drastiquement les importations de biens de consommation courante (riz, lait, sucre, huile...) qui, souligne-t-il, crève la balance commerciale du Sénégal et constitue une énorme facture de nos dépenses.
Il en serait de même des produits pétroliers, d'habillement, de textiles, de produits pharmaceutiques et cosmétiques, d'artisanat, de produits chimiques et parachimiques. Ousmane Sonko propose d’inverser graduellement la tendance aux exportations massives de produits frais non transformés dont les plus importants sont l'arachide, l'huile brute, le phosphate, l'or, les produits halieutiques, le coton, les produits horticoles, le pétrole. L’objectif étant de passer du statut de consommateur uniquement depuis plus de 60 ans au statut de producteur-consommateur.
Des solutions sont aussi proposées pour contrecarrer le système colonial et les Accord de partenariat économique (APE) avec l'Union Européenne. C’est par exemple l’installation de multinationales de distribution telles qu’Auchan et consorts qui ‘’phagocytent inexorablement nos petites et moyennes entreprises du secteur agroalimentaire’’.
Ousmane Sonko écrit : ‘’Contrairement à ce que les protecteurs des APE prétendent, comme par exemple, ils vont accroître la compétitivité des entreprises Sénégalaises et renforcer leur intégration, c’est faux…’’. Selon l’opposant, ils cachent surtout le pouvoir d'ingérence qu'il va donner à l’Union européenne, à travers le programme APE pour le développement.
‘’Les pays européens auront un levier puissant pour dicter leurs exigences, demander l'infléchissement de tel dispositif fiscal ou telle autre législation du travail. Prématuré, par rapport à la fragilité de notre système économique actuel, nos relations ne seront plus gagnant-gagnant mais gagnant-perdant. Nous avons de l’expérience, nous pouvons créer nos propres ‘’Auchan’’’’, ajoute Ousmane Sonko. Qui propose également un abandon progressif du franc CFA à moyen terme pour avoir notre propre monnaie, une monnaie commune panafricaine de préférence.
Des idées importantes sont aussi évoquées dans le domaine de l'industrialisation, mais aussi de l’éducation au patriotisme, à la culture et au culte du travail, à l’éthique et au civisme.
BABACAR SY SEYE