Publié le 13 Jun 2022 - 19:27
PROCÈS DE LA TRAGÉDIE DE BOFFA BAYOTTES

La ‘’bonne décision’’ attendue, ce matin 

 

Le verdict sur le massacre de Boffa Bayottes va tomber, ce matin.  Le maitre des poursuites avait requis la réclusion criminelle à perpétuité contre les inculpés. Un réquisitoire jugé ‘’très sévère’’ par la défense qui, après avoir relevé, entre autres, ‘’le mensonge’’ qui entoure ce dossier, a demandé l’acquittement pur et simple du journaliste René Capain Bassène et de ses codétenus. Retour sur un procès qui a ravi, trois semaines durant, la vedette à Ziguinchor.

 

Ouverte le 17 mars dernier, la chambre criminelle de Ziguinchor a connu, à partir du 21 mars 2022, de l’affaire sur la tragédie de Boffa Bayottes qui a fait quatorze morts, sept blessés et trois autres sortis indemnes parmi des coupeurs de bois, le 6 janvier 2018.  Ce procès, inédit, a vu défiler à la barre de la Chambre criminelle du tribunal de grande instance de Ziguinchor (TGI) logée, pour l’occasion, à la Cour d’appel de la capitale méridionale du pays, 29 avocats dont quatre de la partie civile. Ils étaient, par ailleurs, au nombre de 17 à se constituer partie civile et 37 autres comme témoins.

Au décompte final, seize accusés se sont présentés à l’ouverture du procès.  En effet, sur les vingt-cinq détenus, dix ont bénéficié d’un non-lieu, deux autres d’une liberté provisoire et treize avaient été maintenus dans les liens de la détention pour association de malfaiteurs, participation à un mouvement insurrectionnel, assassinat, tentative d’assassinat, séquestration ayant entrainé la mort, vol en réunion avec usage d’armes et violences.  Ils sont aussi poursuivis pour détention illégale d’armes de la 1re catégorie, complicité d’assassinat, complicité de tentative d’assassinat et complicité de séquestration ayant entrainé la mort, complicité de vol en réunion avec usage d’arme.

Cité dans cette affaire, les mêmes charges pèsent sur le chef de guerre César Atoute Badiate, le commandant du Front Sud du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) contre qui un mandat d’arrêt international a été lancé. Absent à la barre de la chambre, il a été jugé par contumace. 

Parmi les prévenus, figure aussi le journaliste René Capain Bassène, chargé, à l’époque, du volet communication à l’Agence nationale pour la relance des activités socioéconomiques en Casamance (Anrac), considéré comme le ‘’cerveau’’ de ce massacre. Le journaliste est aussi accusé de ‘’sortie irrégulière de correspondances’’. L’agent de La Poste Omar Ampoy Bodian, par ailleurs chargé de mission au sein du MFDC, fait partie de cette liste des 15 accusés qui se sont présentés, le 21 mars dernier, à la barre de la Chambre criminelle du TGI de Ziguinchor.

Tout au long de ce procès qui a été rendu possible grâce à une ‘’logistique extraordinaire’’ et qui a enregistré une forte présence des forces de défense et de sécurité (FDS), la gendarmerie notamment, tous les accusés ont choisi la dénégation comme ligne de défense. À la question de savoir s’ils reconnaissent les faits pour lesquels ils sont poursuivis, ils ont répondu tous et individuellement par la négative. Ils ont, outre les procès-verbaux de l’enquête préliminaire et les déclarations devant le juge d’instruction, balayé d’un revers de main l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction. Ordonnance dans laquelle le journaliste René Capain Bassène est ‘’mouillé jusqu’au cou’’.

Débats houleux à propos de la géolocalisation des accusés

Cette ordonnance de mise en accusation se fonde sur les mails, courriels, appels téléphoniques, communiqués, réunions à Toubacouta, rencontre avec César Atoute Badiate relative à cette affaire et témoignage des coaccusés. Elle s’adosse également sur les informations fournies par la Sonatel, dans le cadre de la géolocalisation des inculpés, la veille et le jour du massacre. Cette géolocalisation a été la ‘’préoccupation’’ centrale de la défense, comme de la partie civile. Elle a fait l’objet d’un débat nourri et houleux à l’ouverture du procès.

La défense en a, par la suite, même fait ‘’une exigence’’, dans la recherche de la manifestation de la vérité et pour ‘’un procès juste et équitable’’. Elle voulait que la Sonatel détermine avec précision l’aire de couverture de ses bornes dans ce village qui n’a pas accès à l’électricité.

Les conseils des accusés ont, par ailleurs, demandé une expertise en informatique, à travers la convocation d’un sachant en la matière, pour les édifier sur l’authenticité de mails, courriels et communiqués qu’on prête au journaliste René Capain Bassène.

C’est, d’ailleurs, sur ces documents, tous contenus dans son ordinateur, que  le maitre des poursuites s’est, entre autres, appuyé pour soutenir que le massacre de Boffa Bayottes a été planifié et dirigé par le journaliste René Capain Bassène et coordonné par son coaccusé Abdou Karim Sagna qui, dans la nuit du 5 janvier, vers 3 h du matin, a procédé à la distribution des armes à feu qui ont servi au massacre des bucherons à la recherche de bois mort, le 6 janvier, dans la forêt de Boffa Bayottes.

Le juge Idrissa Diallo fonde, aussi, sa religion sur plusieurs éléments présentés tout au long de la procédure. Il s’agit, entre autres, des relevés des appels téléphoniques, notamment le jour des faits, l’existence de plusieurs mails, tous ‘’compromettants’’, de René Capain Bassène. Mails dans lesquels le journaliste demande au ‘’donneur d’ordre’’ César Atoute Badiane, le commandant du Front Sud, de ‘’prendre en otage les coupeurs de bois’’, de ‘’riposter rapidement’’, de ‘’sévir dans la plus grande sévérité’’, ‘’de réagir pour forcer le Sénégal à la table de négociation’’ ou encore certains communiqués et déclarations où il parle de ‘’l’imminence de la tuerie’’ et ‘’du sang qui va couler’’.

Le représentant du ministère public s’est également appuyé sur les différentes récriminations du journaliste contre le projet Puma, la coupe de bois, l’exploitation du zircon, les différentes réunions préparatoires au massacre, l’accoutrement des auteurs, les armes qu’ils portaient, les contradictions relevées lors des passages de certains témoins à décharge qui, pourtant, ont ‘’chargé’’ leurs proches. S’y ajoutent les aveux circonstanciels de leur codétenu Jean-Christophe Diatta et de la lettre d’adieu de feu Bourama Toumboul Sané, Président du Comité intervillageois de surveillance de la forêt des Bayottes Et qui s’est suicidé, après sa première interpellation par les gendarmes. Dans ce document, il écrit, en substance, que ‘’sa vie n’est plus nécessaire’’, qu’il n’est ni de près ni de loin responsable de ce massacre’’ et que le comité qu’il dirige est infiltré par des membres qui ‘’préfèrent verser du sang’’.

Le maitre des poursuites a, en outre, fondé sa conviction sur le bornage des téléphones sur le théâtre des faits, la géolocalisation des accusés, leurs agendas la veille et le jour de la tuerie, les démarches de René Capain Bassène et d’Omar Ampoy Bodian en Guinée-Bissau auprès du chef de guerre César Atoute Badiate. Selon lui, les résultats produits par la Sonatel ne peuvent souffrir d’aucune contestation. ‘’Ils ont pour la plupart été bornés sur le théâtre des faits’’, a-t-il indiqué.  

À l’en croire, tous ces éléments matériels et les données techniques permettent d’asseoir la culpabilité des accusés dans cet ‘’acte de guerre posé par les auteurs des faits’’ et qui a ‘’basculé la région de Ziguinchor dans l’horreur’’.

Pour toutes ces raisons, il a demandé à la chambre criminelle de reconnaitre le journaliste René Capain Bassène, l’agent de La Poste et chargé de mission du MFDC Omar Ampoy Bodian, le commandant en chef du Front Sud d’’Atika’’, la branche armée du mouvement, César Atoute Badiate, et les autres détenus coupables des chefs d’inculpation pour lesquels ils ont comparu, avant de requérir la réclusion criminelle à perpétuité.

Il a aussi requis deux ans ferme contre les deux autres accusés ayant, entretemps, bénéficié d’une liberté provisoire.

Les avocats de la partie civile ont, quant à eux, demandé vingt millions de francs CFA pour chaque mort, blessé et rescapé.

La défense relève des contrevérités, des incohérences, des mensonges…

Ce réquisitoire du procureur a été très mal apprécié par la défense qui, d’ailleurs, l’a qualifié de ‘’très sévère’’. Dans l’ensemble, les avocats de la défense, qui ont défilé à la barre, ont demandé l’acquittement pur et simple de leurs clients.

Selon eux, le procureur ne peut nullement asseoir les infractions sur la base de certaines déclarations faites à la gendarmerie par des détenus ou de simples témoins. À en croire Me Ousseynou Ngom, le dossier contient plusieurs failles. Son homologue Me Bobbine Touré estime, quant à lui, que le procès-verbal de l’enquête préliminaire établi par la gendarmerie est ‘’truffé de contrevérités et d’incohérences’’. ‘’Il faut chercher les meurtriers ailleurs’’, a-t-il clamé.

Pour la défense, les relevés téléphoniques fournis par la Sonatel ne peuvent pas asseoir la responsabilité criminelle des accusés. Tout comme la géolocalisation contestée par Me Ndoubé Wane, parce que certains parmi les accusés n’ont pas fait l’objet de bornage. ‘’J’aurais préféré qu’on me dise que vous avez été bornés sur le lieu du crime. Mais pas à Bourofaye 1, 2 ou 3. On ne peut pas asseoir la culpabilité sur la base de ce bornage’’, regrette Me Théophile Kouassi.

Les réunions dites ‘’préparatoires au massacre’’, notamment celles des 23 décembre 2017, des 3 et 5 janvier 2018, brandies par le procureur pour, par ailleurs, fonder sa conviction relativement aux chefs d’inculpation portés contre les accusés et l’agenda de ces derniers, la veille et le jour de la tuerie, ont aussi fait l’objet de rejet par la défense.

Selon Me Kouassi, qui a évoqué l’affaire du ‘’Pullover rouge’’, la seule justice qui vaille est l’acquittement pur et simple des détenus. ‘’Lorsque quelqu’un dispose de votre adresse mail, de votre mot de passe, de vos codes d’accès, il peut manipuler votre ordinateur comme il le veut et même à distance’’, a lancé Me Henri Gomis.

‘’Nous voulons tous un procès équitable. Il se pose des questions techniques. Pour la manifestation de la vérité, nous demandons la convocation d’un sachant en matière informatique’’, avait renchéri Me Ciré Clédor Ly qui, dans sa longue plaidoirie, a relevé une ‘’cascade de violations des droits des détenus à un procès équitable’’. Il a qualifié les procès-verbaux de première comparution, l’ordonnance de mise en accusation, ainsi que le réquisitoire du maitre des poursuites de nuls et de nullité absolue.  Selon lui, ce dossier est truffé de ‘’contrevérités’’, de ‘’mensonges’’, de ‘’manipulations’’ et de ‘’manœuvres de façon aveugles pour prendre des innocents’’.

Il a aussi dénoncé les ‘’conditions avilissantes’’ dans lesquelles le journaliste René Capain Bassène s’est retrouvé, après son arrestation musclée.  À l’en croire, il y a eu des ‘’manquements graves à la loi’’ dans ce dossier qui pèche fondamentalement d’éléments essentiels. Ceux, dit-il, qui sont chargés de l’enquête, avaient l’obligation de descendre sur les lieux du crime. Ils ne l’ont pas fait, malgré la demande.  ‘’La loi, dans le cadre de la garde à vue, a été piétinée. Aucun d’entre eux (accusés) n’a eu le droit à l’information’’, a encore dénoncé Me Ly.

À son avis, il s’agit d’un procès de la ‘’géolocalisation’’, des ‘’intrusions du système informatique’’, des ‘’alibis’’ et du ‘’MFDC’’. Balayant un à un tous les chefs d’inculpation portés contre les accusés, il a, lui aussi, demandé, purement et simplement, l’acquittement de tous. Avant lui, Me Boubacar Badji a invité la chambre à s’inscrire dans la voie de l’apaisement.

La chambre va-t-elle, pleinement, jouer la carte de l’apaisement, en prenant la ‘’bonne décision’’ qui sied ? Où va-t-elle suivre le maitre des poursuites ou encore la défense qui a requis l’acquittement ? La réponse, ce matin.

HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)

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