Publié le 27 Jul 2023 - 20:59
PUTSCH AU NIGER

Le coup d’État de trop !

 

Après la Guinée, le Mali et le Burkina Faso, le Niger est en passe de devenir le quatrième pays sur les 15 que compte la CEDEAO à acter la dévolution du pouvoir par les armes et non plus par les élections, le troisième sur les cinq que compte le G5 Sahel. Une aubaine pour la Russie, une menace pour la stabilité de la sous-région.

 

Cette fois, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) n’a pas perdu du temps. Comme sonné par les nouvelles qui ont tôt, le matin d’hier, échappé de la capitale nigérienne, Niamey, l’organisation sous-régionale, sous la houlette du Nigérian Bola Ahmed Tinubu, Président de la Conférence des chefs d’État, a réagi. ‘’C’est avec stupeur que la CEDEAO a pris connaissance de la tentative de coup d’État au Niger. Elle condamne de la manière la plus vigoureuse cette tentative de prise du pouvoir par la force et appelle les auteurs de cet acte à libérer immédiatement le président de la République démocratiquement élu’’, dénonce l’organisation, avant d’affirmer ‘’tenir ceux qui sont impliqués dans cet acte pour responsables de la sécurité du président’’.

La CEDEAO ne s’est pas arrêtée là. Quelques instants plus tard, dans un deuxième communiqué signé par le président Bola Ahmed Tinubu lui-même, elle donne une idée de son exaspération dès le titre : ‘’Développements désagréables en République du Niger’’. Dans cette nouvelle missive, le président nigérian crie toute sa désolation. ‘’Des informations provenant de la République du Niger indiquent des développements désagréables autour des plus hautes sphères politiques du pays. Il devrait être clair pour tous les acteurs que les dirigeants de la région de la CEDEAO et tous les amoureux de la démocratie ne toléreront aucune situation qui neutraliserait le gouvernement démocratiquement élu. La direction de la CEDEAO n’acceptera aucune action qui entrave le bon fonctionnement de l’autorité légitime au Niger ou dans toute autre partie de l’Afrique de l’Ouest’’, fulmine le président Tinubu, qui s’engage personnellement à faire tout ce qui est en son pouvoir ‘’pour que la démocratie soit fermement implantée, nourrie, bien enracinée et prospère dans la sous-région’’.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le ton tranche d’avec les habitudes de l’organisation sous-régionale, qui s’est souvent limitée à des condamnations de principe très molles. Le chef de l’État nigérian se répète et insiste sur ce ton presque menaçant : ‘’Je suis en étroite consultation avec d’autres dirigeants de notre région et nous protégerons notre démocratie durement gagnée, conformément au principe universellement acceptable du constitutionnalisme. En tant que président de l’Autorité des chefs d’État et de gouvernement, je déclare sans équivoque que le Nigeria se tient fermement aux côtés du gouvernement élu du Niger et exprime également la détermination absolue des dirigeants de notre sous-région.’’

Vers une ‘’CEDEAO’’ des juntes militaires

En fait, au rythme où vont les choses, c’est la survie même de la communauté qui est en jeu. Aujourd’hui, trois des 15 pays que compte l’organisation sont sous régime militaire. Il s’agit de la Guinée, du Mali et du Burkina Faso. Dans tous ces pays, les renversements des régimes démocratiquement élus se sont opérés sans grande difficulté et sous le regard impuissant de la CEDEAO.

Si cette nième tentative passe, la voix des militaires deviendrait encore plus importante au sein de l’organisation et pourrait donner des idées à d’autres candidats. Analyste géopolitique béninois, Régis Hounkpé estime que la CEDEAO a une belle occasion de montrer qu’elle est une organisation utile dans la défense des principes démocratiques. ‘’C’est une occasion pour la CEDEAO de démontrer sa fermeté. Au-delà des protocoles additionnels et des autres textes, il faut être ferme contre les coups d’État militaires et je pense que l’organisation est dans cette dynamique. Les présidents nigérian et béninois se sont rapidement mobilisés et ils sont en route pour Niamey pour contrer ce coup d’État. C’est ce qu’on attend d’une organisation comme la CEDEAO : sauvegarder la démocratie, sauvegarder la paix politique’’.

 À la question de savoir si l’organisation pourrait franchir le cap de la condamnation et envisager la solution militaire, comme cela a été le cas avec la Gambie de Yaya Jammeh, il rétorque : ‘’Je pense que le Nigeria doit être capable de faire ce que le Sénégal avait fait pour la Gambie. C’est-à-dire être à la tête d’une coalition militaire pour aller faire le ménage à Niamey. Ce n’est pas tout à fait inenvisageable.’’

Cela dit, sans les peuples, il sera difficile pour la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest de réussir grand-chose. Au Mali comme au Burkina Faso, l’action des militaires a beaucoup été facilitée par une adhésion des principales forces vives. Dans le cas du Niger, cela ne semble pas encore être le cas. Hier, de manière spontanée, des populations se sont levées et ont manifesté pour fustiger cette tentative de renverser un président démocratiquement élu. Régis Hounkpé s’en félicite : ‘’Je crois à la responsabilité citoyenne.

Chacun de nous doit s’offusquer de ce qui se passe. Et je me réjouis de voir qu’il y a des manifestations pro-Bazoum. Moi, je dirais plutôt des manifestations pro-démocratie, des gens qui veulent en finir avec ces histoires de coups d’État. Les manifestations ont demandé la libération de Bazoum. Moi, je dirais plutôt de libérer la démocratie, de libérer le peuple.’’ Selon lui, il faut en finir avec les coups d’État militaires : ‘’Je pense qu’il faut en finir avec ces ruptures anticonstitutionnelles. Les militaires ne peuvent pas, sous n’importe quel prétexte, prendre les armes et aller arracher le pouvoir. On ne peut plus continuer comme ça ; il faut que ça cesse.’’

Régis Hounkpé, analyste géopolitique : ‘’Le Nigeria doit être capable de faire au Niger ce que le Sénégal avait fait pour la Gambie.’’

Après la Guinée, le Mali et le Burkina, c’est donc un autre coup dur pour la sous-région, mais surtout pour ce pays qui a subi pas moins de quatre coups de force depuis les indépendances, compte non tenu des nombreuses tentatives. ‘’C’est non seulement un coup dur pour le Niger, mais aussi pour toute la sous-région. Dans ce contexte difficile avec ce qui se passe au Mali et au Burkina Faso, on ne peut pas se permettre que le Niger bascule sous un régime militaire. Ce serait un vrai coup dur pour le processus de démocratisation. Bazoum, qu’on n’aime ou pas sa gouvernance, avec certaines de ses décisions, il était quand même dans une voie de renforcement du processus de démocratisation. Et je pense que nous devons travailler à renforcer ces processus, quoique pas toujours parfaits’’, regrette l’analyste géopolitique qui estime que l’Afrique subsaharienne devrait davantage s’occuper de ses priorités. 

Depuis hier, en tout cas, c’était la grande inquiétude dans les différentes chancelleries. Sur les cinq pays du G5 Sahel en proie à de graves menaces sécuritaires, les deux sont dirigés par des régimes très fragilisés (Burkina et Mali). Des trois pays où la menace terroriste est des plus fréquentes, seul le Niger se prévalait jusque-là d’une certaine stabilité. Et son président, qui a accueilli récemment des militaires français bannis du Mali, s’était montré comme un des plus farouches adversaires des juntes au pouvoir.  ‘’L’impact de ce coup d’État serait très négatif, si elle se concrétise. Cela n’aiderait qu’à la propagation du pouvoir des terroristes. Déjà, le Niger n’était pas épargné par la menace. S’il y a chaos, la situation va s’empirer ; les groupes terroristes n’attendent que ça. C’est une situation extrêmement préoccupante et je pense que tout doit être fait pour rétablir l’ordre’’, plaide Hounkpé.

Il faut noter que la tentative de putsch a été unanimement condamnée sur la scène internationale. Outre la CEDEAO, l’Union africaine, l’Union européenne, l’ONU et les États-Unis ont exigé la libération du président Bazoum. 

La France, l’un des grands perdants

Si le coup d’État arrivait à être consommé, l’un des principaux perdants risque d’être la France. En effet, compte tenu de la situation qui prévaut dans la sous-région, il y a de fortes chances que le nouveau régime militaire s’aligne sur les politiques de leurs homologues du Burkina Faso et du Mali, pour surfer sur la vague anti-politique française.

Hier, les comptes des officiels français ont été très avares en commentaires. Régis Hounkpé analyse : ‘’Je pense que la France a pris conscience de sa perte d’influence et essaie de se ménager en mesurant sa parole. Là, j’ai vu que bien qu’elle condamne, elle s’aligne sur les positions de la CEDEAO et de l’Union africaine. Je pense que c’est une prudence pour ne pas se mettre en première position et risquer d’en subir les contrecoups.’’ Chassés du Mali et du Burkina Faso, les Français avaient trouvé avec le président Bazoum un accord qui leur permettait de se replier dans le pays pour continuer à avoir un œil sur le Sahel, de plus en plus sous contrôle de gouvernements défavorables à la France accusés d’être plus proches de la Russie.

Le départ de Bazoum pourrait donc constituer un nouveau coup dur, d’autant plus que le pays est l’un des principaux fournisseurs de la France en produits métallurgiques et métalliques composés exclusivement d’uranium. En 2022, la valeur des achats français a été estimée à plus de 142 millions d’euros, malgré un net repli. Une chute de Bazoum pourrait alors être synonyme d’une perte d’influence politique, stratégique et économique.

Le coup d’État des seconds couteaux !

Toute la journée d’hier, la situation était des plus confuses dans la capitale nigérienne. Dans cette confusion, il y avait une seule certitude. Le président Bazoum n’était pas libre de ses mouvements, qu’il était entre les mains des putschistes composés essentiellement d’hommes de la garde présidentielle. Certains avaient aussi signalé que l’armée et la garde nationale n’avaient pas adhéré à ce qui n’était qu’une tentative de putsch. Au journal de 20 h 30, il a même été diffusé un reportage qui parle de l’échec de la tentative de coup d’État, avant que les choses ne bougent dans la nuit, un peu après 23 h.

Dans une déclaration à la télévision, un groupe de militaires informe : ‘’Les forces de défense et de sécurité, réunies au sein du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), avons décidé de mettre fin au régime que vous connaissez. Cela fait suite à la dégradation continue de la situation sécuritaire, la mauvaise gouvernance économique et sociale ; réaffirmons notre attachement au respect de tous les engagements souscrits par le Niger ; rassurons la communauté internationale par rapport à l’intégrité physique et morale des autorités déchues conformément aux principes des droits humains.’’

La déclaration a été lue par le directeur des Relations publiques et des Sports au niveau de l’État-major général, encadré principalement par de seconds couteaux, en l’occurrence les commandants en second de la garde présidentielle, de la garde nationale et des sapeurs-pompiers. Il y avait aussi le commandant des forces spéciales qui est un général, tout comme le chef d’État-major de l’Armée de terre.

MOR AMAR

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