Publié le 31 Aug 2023 - 15:22
RÉGIS HOUNKPÉ, ANALYSTE GÉOPOLITIQUE

“Les pays sahéliens viennent de lancer une nouvelle mode de conquête du pouvoir”

 

Directeur exécutif du cabinet InterGlobe Conseils, le Béninois Régis Hounkpé, enseignant-chercheur à l’université de Reims Champagne-Ardenne, apporte des éclairages sur cette épidémie des coups d’État militaires.

 

Après le Mali, la Guinée, le Burkina et le Niger qui sont tous en Afrique de l’Ouest, on se demandait déjà à qui le tour. Mais vous attendiez-vous à ce que le prochain sur la liste soit en Afrique centrale, le Gabon plus exactement ?

On ne saurait dire que c’était prévisible, mais c’est l’aboutissement d’un long processus. Comme vous le savez, il y a eu beaucoup de tensions politiques pendant la campagne électorale. Et juste après l'organisation des élections présidentielles, le camp du candidat Ondo Ossa dénonçait la fraude et la confiscation du vote des Gabonais. Le pouvoir d'Ali Bongo, reconnu pour être corrompu et prédateur des ressources financières du pays, avait suspendu Internet et certains médias internationaux. Autant d’éléments qui ont mené vers cet épilogue que nous connaissons. On peut dire que l'exaspération qui a atteint son maximum, après la proclamation en catimini à 4 h du matin, de la victoire d'Ali Bongo dont on sait qu'il n'a jamais gagné ces élections.

Les militaires ont donc mis fin à ce hold-up électoral en faisant un coup d'État et en destituant le président Ali Bongo dont la famille gère le pays depuis plus de 55 ans.

Si en Afrique de l’Ouest, on brandit souvent des raisons économiques et sécuritaires, ici on parle surtout de lassitude contre la dynastie Bongo. Êtes-vous d’avis ?

Il y a justement de part et d'autre une lassitude des pouvoirs incapables d'assurer l'intégrité territoriale, la souveraineté nationale, la prospérité économique, la stabilité sociopolitique. Ces pouvoirs politiques africains sont globalement incompétents et se révèlent être des dictatures sanglantes. Cela est valable dans la plupart des cas et donne des arguments à des militaires qui veulent mettre fin à des processus politiques.

Malheureusement, dans certains cas, ces coups de force stoppent des pouvoirs élus démocratiquement. Ce qui démontre que le respect de l'État de droit et de la gouvernance démocratique n’est pas la principale préoccupation des instigateurs de ces coups d’État. Sans la confrontation avec le péril terroriste présent dans les pays africains et du Sahel et du Golfe de Guinée, les pays d'Afrique centrale complètent le tableau avec la lassitude des dévolutions dynastiques.

Ceci dit, l'Afrique de l'Ouest n'est pas non plus épargnée par la transmission du pouvoir de père en fils.

Pensez-vous vous qu’on va dormir ce soir à Brazzaville et à Yaoundé ? Ce coup d’État ne pourrait-il pas faire des émules ?

Le sommeil se fera agité ou rare dans certains palais ce soir, puisque désormais, aucun pays n'est à l’abri. Pays côtiers du Golfe de Guinée, pays d'Afrique centrale comme le Gabon, tout concourt à montrer que les pays sahéliens viennent de lancer une mode de conquête du pouvoir. Cette épidémie de coups d'État militaires nuit évidemment à la stabilité sociopolitique du continent, mais il faut être très lucide sur les coups de force perpétrés également par des pouvoirs civils. Ces derniers instrumentalisent les constitutions de leur pays pour s'éterniser. C’est également à déplorer. Le putschiste africain est aujourd'hui autant en uniforme militaire qu'en costume-cravate ou boubou élégant !

Comme vous le dites, dans certains cas, il s’est agi de renverser des régimes démocratiquement élus. Mais dans d’autres comme au Gabon, il s’est agi d’agir contre un président qui veut se maintenir par la force, ce qui fait qu’il y a moins de contestations. Peut-on en déduire qu’il y a de bons et de mauvais coups d’État ?

Il n'existe pas de bons coups d'État militaires. La seule alternance largement admise est celle des urnes, sauf si des pays s'autorisent désormais de procéder par coups de force pour les alternances. Ce serait le monde à l'envers !

Jean Ping, qui avait boycotté cette élection, n’est-il pas finalement le grand gagnant ?

Je ne situe pas Jean Ping en tant que grand gagnant. Il a été, certes, un opposant d'Ali Bongo et revendiquait toujours la victoire aux élections présidentielles précédentes. J'espère, dans tous les cas, que le Gabon et les autres peuples seront les bénéficiaires exclusifs de ces ruptures, sinon le risque est celui d'un éternel recommencement avec des militaires qui s'imposent par la force, oublient leur promesse de changement et basculent dans la terreur. Ces changements se veulent également des ruptures avec l'ancienne puissance coloniale française. Si cela pousse à plus de souveraineté et plus de dignité, nous pouvons nous en réjouir symboliquement.

Les coups d’État en Afrique francophone sont souvent suivis d’un débat sur les relations avec la France. Le coup de force au Gabon est-il favorable ou défavorable à Paris ?

Je veux surtout croire que ce coup d'État, et je me répète, sera salutaire pour le peuple gabonais. Plus d'un demi-siècle avec la même famille aura été un supplice innommable, avec une corruption industrialisée et une prédation des ressources par le seul clan Bongo, c'est incroyable ! Pour le moment, les puissances internationales, dont la France, vont revoir leur agenda stratégique dans le pays et la région. Les temps qui s'annoncent sont incertains et surtout pour les peuples africains. Donc, cela reste la seule priorité des années et décennies à venir.

M. AMAR

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