Dr conte, mister verbe
Sa verve et son verbe, remarquables aussi bien dans la langue de Kocc Barma (le wolof) qu'en français, font de Massamba Guèye une des personnalités qui compte dans le monde culturel sénégalais. Auteur de sept ouvrages, il s'est fait cependant un nom grâce à ses talents de conteur hors pair. Et ce n'est là qu'une des multiples facettes du prof de la langue de Molière... Récit d'une trajectoire.
Massamba Guèye excelle dans la narration de fables et d'histoires fabuleuses. EnQuête vous conte la trajectoire de cet ''acteur'' à l'aise tant sur un plateau de Tv, un studio radiophonique que sur les planches. Dramaturge, conteur, professeur de français, communicant, enseignant, maître de cérémonie et ''taasukat'' (faire des chants rythmés et rimés), Dr Guèye a plus d'une corde à son arc culturel.
Lignée de griot
Mass, comme l'appellent ses proches, en matière de ''taasu'', n'a rien à envier à Salam Diallo ou Pape Thiopet. ''Je connaissais les taasu des femmes et, pendant 15 ans, je commençais mes spectacles avec du taasu'', confie-t-il découvrant une de ses facettes peu connue du grand public. Il a de qui tenir. Issu d'une famille griotte, l'habitué de la matinale Kinkeliba de la RTS est le petit-fils de Leyti Guissé, brillant historien de la famille royale du Djolof dont la photo trône en bonne place à l'Institut fondamental d'Afrique noire (Ifan). Mais Mass est également apparenté au génial chanteur traditionaliste et maître du xalam, Samba Diabaré Samb. Celui-ci est le cousin du père de Massamba Guèye et l'oncle de sa mère.
L'orateur béni
Très tôt, à onze ans déjà, ce natif de Coky évoluait dans l'Asc de Thiamène. Avec un grand frère metteur en scène et un père qui a la culture dans le sang, Mass embrasse facilement le théâtre. De comédien, il passe maître de cérémonie : ''Le jumelage des villages de Guéoul, Darou Mousty et Coky a fait de moi un maître de cérémonie. J'avais l'habitude de parler en diverses occasions et, à un moment, il a été décidé que c'est moi qui parlerais maintenant''. Le début d'une brillante carrière pour ce fils de toubib qui était chef de poste médical à Coky. ''Un fois à Darou Mousty, après avoir parlé, Serigne Bassirou Mbacké a dit qu'il voulait bénir la parole qu'il venait d'entendre, car même si elle était une parole de jeune, elle n'en est pas moins une parole de sagesse'', raconte l'ancien professeur au lycée des Parcelles Assainies de Dakar. L'orateur est béni. Massamba Guèye enchante son auditoire à chaque prise du micro. Il décide d'en faire un métier. ''Je ne prends jamais un travail le jour même d'un spectacle ou 24h avant. Il faut que je me prépare et identifie certains facteurs sociologiques'', explique-t-il. Aussi, se réfère-t-il a certains hommes pour se parfaire. Sur sa liste figure un certain Mory Mbaye. Cet anonyme, pour la plupart des Sénégalais, est le frère d'El hadji Mor Mbaye de la RTS. ''La sagesse dans la parole, je l'ai prise de Mory Mbaye et de ma famille. On nous disait qu'il ne faut dire que l'essentiel et ne pas dire une parole qui blesse'', indique M. Guèye. Sa diction, il dit l'avoir copiée du marabout tidiane Ibrahima Sakho dit Ibou Sakho et du chanteur religieux Abdoulaye Niang. Le narrateur achetait leurs cassettes de conférences religieuses qu'il réécoutait plusieurs fois pour parfaire sa technique de parole. De son grand père Samba Diabaré Samb, il a souhaité hériter de l'élégance dans la parole.
C'est donc naturellement que Massamba Guèye devient le professeur de français devant qui les élèves sont tout ouïe. Le bon pédagogue le doit en grande partie au conteur captivant. Arrivé dans la narration à la faveur de différentes rencontres, notamment avec Babacar Mbaye Ndack, Mass a signé son idylle avec le conte à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Après des études secondaires à Louga et le baccalauréat en poche, il est orienté au département Lettres modernes de la faculté des Lettres et Sciences humaines de la première université publique du Sénégal. Il a comme professeur Bassirou Dieng qui le fascine par sa manière d'inculquer le savoir à ses étudiants. Au programme figurait le conte. ''Il n'était pas francisé et je voulais être comme lui'', confesse Massamba Guèye. M. Dieng ne lui filera pas cependant le virus de l'enseignement.
Entre le docteur ès lettres Guèye et l'enseignement, c'est une longue histoire. A l'école, déjà, il donnait des cours à ses petits frères. Arrivé à la fac, il organise des cours de vacances. En deuxième année de lettres modernes, il allait au Collège de Golf suivre les cours d'un prof de français, un nommé Niane. Très passionné par la transmission du savoir, Mass tente le Certificat d'aptitude à l'enseignement supérieur (CAES) : ''C'est le seul concours que j'ai passé. J'ai toujours voulu enseigner''. Le sésame en poche, il est affecté à Kounghueul qu'il considère comme le poste le plus ''essentiel'' de sa carrière. Arrivé pour la première fois dans cette ville du Saloum pour donner des cours dans un dispensaire mué en école, ses jeunes collègues et lui s’attellent à animer une vie extrascolaire en montant différents clubs, équipes de sports et troupes de théâtre. Une expérience enrichissante qui en ouvrit d'autres de plus en plus exaltantes.
''La bouche de l'Afrique''
Aujourd'hui coordonnateur de la Caravane du conte démarrée à Dakar depuis le 5 octobre dernier, Massamba Guèye écrit aujourd'hui ses lettres de noblesse en la matière. Il représente le Sénégal dans différentes rencontres mondiales. Et son rêve est d'amener le conte à un niveau académique. Surnommé la ''bouche de l'Afrique'' par le conteur québécois Martin Gauthier, Mass rapporte avec délectation cette anecdote. Lors d'une représentation en Guinée Conakry, il avait sauvé une représentation dans une mauvaise passe en assurant seul trois spectacles alors qu'il devait en faire juste un. Deux conteurs étaient tout simplement absents.
En fait, le répertoire de contes de Mass va au-delà du Sénégal. Le chef du service communication au Ministère de l'Éducation maîtrise plusieurs récits d'origines différentes grâce à l'émission ''Contes et légendes'' qu'il anime depuis douze ans sur Radio Sénégal. Son exercice assez particulier : raconter simultanément une histoire en français et en wolof. Mass est très à l'aise dans ces deux langues. Il cultive l'art du maniement de la langue de Kocc depuis tout petit, s'interdisant de parler le français quand il n'y était pas obligé. Arrivé à la fac, il prit conscience de l'importance de la sauvegarde de la culture wolof et commence à intensifier ses recherches linguistiques. Le résultats est bout de l'effort.
Le sacrifice du grand frère
De même, Massamba Guèye aime s'amuser des subtilités de la langue de Molière qu'il a apprise avec brio. ''Même si je refusais de parler français chez moi, je lisais beaucoup'', à l'en croire. Il adorait lire et apprendre alors qu'il a grandi dans un environnement pastoral. ''Massamba aimait étudier. Je me rappelle qu'une fois, il s'est tellement consacré à ses cahiers qu'il a été admis à l'hôpital de Louga pendant deux mois'', témoigne son grand frère Abdoulaye Guèye, transitaire de son état, et l’aîné de la nombreuse famille Guèye. Ayant décelé des potentialités chez son jeune frère, Abdoulaye décide d'écourter ses études pour une formation professionnelle afin de financer les études de Massamba Guèye. ''Je me suis sacrifié pour lui parce qu'il en valait la peine et il ne m'a pas déçu. On le connaît mieux que moi à Coky. Mass est la star locale de ce village'', selon le grand frère.
De l'avis de Mbéry Kassé, douce moitié de Massamba Guèye, il arrive à celui-ci de '' répéter des choses dans son sommeil. Cela démontre qu'il aime ce qu'il fait''. C'est que le conteur est persévérant, comme le relève un de ses collaborateurs et collègue narrateur Makhtar Diouf. ''Il se donne à fond dans tout ce qu'il fait et ne lésine pas sur les moyens pour la réussite de ses entreprises'', d'après M. Diouf. La quarantaine bien sonnée, Mass est dépeint par ses proches comme quelqu'un de ''généreux'', ''nerveux'', ''rigoureux'' dans le travail et ''égocentrique'' des fois. Père de trois filles et d'un garçon, le fan de mafé (riz à la sauce de pâte d'arachide torréfiée), issu d'un ménage polygame, ne rechigne pas à chercher une deuxième épouse. Un autre conte à narrer peut-être.
BIGUÉ BOB