Publié le 8 Mar 2024 - 13:43
REPORT DE LA PRÉSIDENTIELLE, CRISE PRÉÉLECTORALE

Le Conseil constitutionnel, un retour à la crédibilité et à la légitimité

 

Le report de la Présidentielle, initialement prévue le 25 février 2024, a plongé notre pays dans une profonde crise politique au Sénégal. Cette crise a révélé le Conseil constitutionnel qui, en tant que garant du processus électoral, a pris un certain nombre de décisions allant dans le sens du respect de la Constitution, ceci contre la volonté de Macky Sall d'aller au-delà de la fin de son mandat, le 2 avril. 

 

C’est dans les crises que s’affirment les hommes et les institutions. Le Conseil constitutionnel, en sortant avant-hier ses décisions relatives à la tenue de l’élection présidentielle avant le 2 avril et la fin du mandat de Macky Sall, a marqué au fer rouge son rôle de superviseur et régulateur de la bonne tenue du processus électoral dans notre pays. Cette crise préélectorale aura permis, d’une certaine manière, à la plus haute juridiction du pays de regagner ses lettres de noblesse.

Cette volonté d’indépendance et d’émancipation face au pouvoir Exécutif s’est matérialisée depuis la date du report le 3 février dernier par une série de mesures visant à réaffirmer la primauté de la Constitution sur les aspirations d’un pouvoir politique toujours désireux de promouvoir son propre agenda politique.

À travers ces décisions, les sept sages ont établi de nombreuses jurisprudences en matière électorale qui, sur le long terme, pourraient renforcer sa capacité à légiférer en matière électorale dans le futur. ‘’Le Conseil constitutionnel réaffirme sa prééminence sur l’Exécutif et se présente comme le vrai gardien de la Constitution. Macky Sall a voulu outrepasser ses prérogatives en fixant une date au-delà de son mandat et a même tenté de le prolonger.  Il s’est fait rappeler à l’ordre, car le Conseil ne veut pas d’une jurisprudence qui affaiblirait le processus électoral dans l'avenir’’, indique un avocat qui a requis l’anonymat.

Ce réveil du CC en a surpris plus d’un au sein de cette classe politique. Beaucoup d’acteurs politiques voyaient en cette institution une chambre d’enregistrement du pouvoir qui s’alignait souvent sur les désirs d’un pouvoir Exécutif toujours prééminent dans notre pays. De ce fait, les sept sages n’hésitaient pas à repousser les différentes requêtes qui lui étaient soumises en se disant souvent incompétents. Les grands débats politiques durant le règne du président Abdoulaye Wade, en l’occurrence lors de l’adoption de la loi constitutionnelle instaurant un vice-président de la République au Sénégal ou de la loi constitutionnelle instituant le Sénat, ou encore de la loi constitutionnelle sur l’intérim du président de la République par le président du Sénat n’avaient pas essuyé le veto du Conseil constitutionnel qui, à l’époque, s’était considéré comme incompétent pour juger ces modifications dans l’architecture constitutionnelle de notre pays.

Une inertie qui avait fait dire à Serigne Diop, ancien ministre de la Justice sous Wade : ‘’Cent fois le Conseil constitutionnel sera saisi pour examiner une loi constitutionnelle, cent fois il se déclarera incompétent.’’

Établissement d’une Cour constitutionnelle pour renforcer l'indépendance de l’institution 

Une attitude qui a forcément nui au prestige de cette institution portée sur des fonts baptismaux après l’adoption de la loi organique n°92-23 du 30 mai 1992 pour s’assurer le contrôle de la constitutionnalité des lois et des engagements internationaux. L’institution est aussi héritière du Code consensuel de 1992. Elle rentre difficilement dans l’histoire politique du Sénégal à travers deux bouleversements :   démission de son premier président Kéba Mbaye, le 2 mars 1993, avant la proclamation des résultats de la Présidentielle, et l’assassinat de son vice-président Me Babacar Sèye la même année.

Le président de la Cour de cassation, Youssoupha Ndiaye, sera désigné par le président Abdou Diouf pour occuper la tête du Conseil constitutionnel qui proclamera les résultats consacrant la victoire d’Abdou Diouf au premier tour avec 58,4 % des voix contre 32,03 % pour Abdoulaye Wade.

Pour l’analyste politique Mamadou Sy Albert, le Conseil constitutionnel, à travers ses différentes décisions sur le mandat et la date de l’élection, a sauvé la crédibilité de la justice. ‘’Dans le passé, le Conseil s’alignait sur les décisions du pouvoir ou se déclarer simplement incompétent. Je pense désormais que cette époque est révolue. À travers cette crise, on doit travailler à renforcer l'indépendance de la justice garante d’un État de droit’’, déclare-t-il, avant de militer pour la Constitution d’une Cour constitutionnelle qui permettrait de stabiliser la justice et résoudre les contestations électorales qui fleurissent après chaque élection. 

Cette réforme pourrait positionner l’institution comme l’un des acteurs incontournables de la vie politique sénégalaise. Un moyen pour l’institution dans le futur de se présenter en arbitre équidistant et garant de la légitimité constitutionnelle des lois et règlements au Sénégal.

Dans cette perspective, l’installation définitive du Conseil constitutionnel dans l’organigramme institutionnel du pays pourrait conduire à l'établissement d’une cour indépendante capable de trancher les grandes questions liées à la constitutionnalité des lois votées par le Parlement.

Ainsi, en annulant la loi adoptée par l’Assemblée nationale à la majorité des 3/5e repoussant la date de l'élection jusqu’au 15 décembre 2024, elle s’ouvre un nouveau champ de possibilités et de compétences pour statuer sur les différents sujets relatifs à la vie politique sénégalaise. Un risque souvent dénoncé par les pourfendeurs du Conseil constitutionnel qui craignent une République des juges capables de contourner la volonté populaire incarnée par le pouvoir Exécutif et le pouvoir Législatif.

Mamadou Makhfouse NGOM 

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