Le phénomène perd du terrain à Dakar
Le phénomène de la mendicité des enfants est l’une des identités remarquables du Sénégal. Il frappe tout visiteur étranger qui foule Dakar, pour la première fois. En dépit de l’interdiction de la loi, les enfants talibés étaient nombreux à prendre d’assaut les différentes artères de la capitale en quête d’aumône, dès les premières heures de la matinée. Depuis le début de l’opération de leur retrait de la rue, ils se font de plus en plus rares.
Chaque matin, ils sont des centaines, voir des milliers de personnes, de tous âges et sexes confondus, à rallier le centre urbain de Dakar. Eux, ce sont des commerçants, des fonctionnaires, des ouvriers… mais aussi des enfants âgés de moins de 15 ans. A la différence des premiers, les enfants, eux, regagnent la capitale, non pas pour travailler, mais plutôt pour tendre la main. A chaque coin de la rue, au niveau des feux rouges ou dans les gares routières, on les retrouve par petits groupes en train de demander l’aumône aux passants. A cause de la campagne de retrait des enfants de la rue, initiée depuis le début de mois de juillet par l’Etat, les enfants, dont la plupart des talibés, deviennent de moins en moins nombreux à arpenter les artères de la capitale.
Gare Lat Dior. Comme d’habitude, les lieux sont très animés. Surtout en cette après-midi de fin du mois de ramadan. Sous un soleil de plomb, marchands ambulants, piétons, mécaniciens et automobilistes se disputent les lieux. Sans se préoccuper des dangers, deux gamins habillés en haillons et gamelles en main se faufilent entre les rangs des minibus Tata pour tendre leur sébile aux passagers assis confortablement à bord. De temps en temps, les deux talibés montent et redescendent des différents véhicules de transport en commun garés par ordre d’arrivée. La technique d’approche des jeunes est quasi-identique : ‘’Fissabi LiLah’’, ‘’Sarax’’ (Pour l’amour de Dieu, de l’aumône s’il vous plaît’’.
‘’Notre maître coranique nous force à mendier’’
Agés respectivement de 7 et 8 ans environ, Moussa Sall et Samba Touré sont originaires de Kolda. Depuis bientôt deux ans, les deux bambins quittent presque tous les jours la banlieue aux heures naissantes de la matinée pour venir mendier en ville. L’un porte des sandales de marque différente. Tandis que l’autre marche sans chaussure, en dépit de la chaleur brûlante du bitume. ‘’Notre Daara (école coranique) se trouve à Keur Massar. Nous versons chaque jour 200 F CFA à notre maître coranique. C’est lui qui nous oblige à aller dans la rue pour mendier’’, confie le plus jeune, en échange d’une pièce de monnaie.
Dans sa sébile, se trouvent des morceaux de sucre, de pain et des biscuits donnés en aumône. ‘’Nous payons chacun 350 francs CFA pour l’aller et retour du voyage. Si nous n’avons pas suffisamment d’argent, on paye une place pour deux’’, complète son compagnon Samba Touré. En dehors de ces jeunes, aucun enfant n’est en vue dans la gare. Pourtant, ils étaient nombreux à prendre d’assaut les lieux, arpentant les environs à longueur de journée. Il suffisait juste de défiler quelques minutes à l’intérieur de la gare pour les apercevoir en train de tendre leur gamelle à des passants. Mais, depuis deux jours, leur présence dans la gare routière se fait de plus en plus rare. Comme si la campagne de retrait commençait à porter ses fruits.
‘’Nous passons des fois la nuit dans la rue’’
Le constat est le même à la gare de Petersen. Après plusieurs dizaines de minutes de recherche, nous tombons sur un autre enfant. Sans sébile et pieds nus, le gamin âgé d’environ 8 ans erre tous seul dans la très populeuse gare routière. Un peu partout, le regard du visiteur est frappé par de nombreuses files indiennes formées par des passagers, en attente d’un bus. Faisant du bruit à l’aide des pièces de monnaie empilées dans la paume de sa main, l’enfant fait des va-et-vient entre les différents rangs, tout en récitant des versées du Coran. Histoire d’attirer l’attention. ‘’J’habite à la cité Dioungkhoub, à Guédiawaye. Je suis venu seul ici (gare) depuis ce matin pour mendier. Mais d’habitude, je viens avec mes camarades talibés. Parfois, nous passons la nuit dans la rue, si nous ne gagnons pas notre versement quotidien (400 francs CFA)’’, raconte Ablaye Dia, originaire de Ziguinchor. Malgré son jeune âge, l’enfant connaît tous les coins et recoins de la ville, à force de fréquenter tous les jours la capitale.
‘’Je suis venue du Mali pour mendier’’
Comme lui, d’autres enfants de la même catégorie d’âge sont aussi astreints à la participation de la dépense quotidienne. Couloir de la mort. Cette célère rue de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar est aussi, outre les étudiants, très fréquentée par les jeunes mendiants, parfois accompagnés de leurs parents ou tuteurs. ‘’Je suis malienne. J’habite avec ma mère à la Cité des Eaux, depuis deux ans. Caque jour, je lui donne 500 F CFA. Puis, je garde le reste pour moi’’, lance timidement Batouma Coulibally dans un wolof fortement teinté de l’accent bambara,. L’adolescente voilée ainsi que sa jeune sœur occupent les lieux, depuis 7 heures du matin. Refusant de dire leur quête journalière, les deux gamines comptent y rester jusqu’à la rupture du jeûne, avant de rentrer à la maison.
MAMADOU DIALLO