‘’La crise n’est pas liée à un régime, un gouvernement ou un ministre...’’
Les grèves n’ont pas eu un impact réel sur l’année 2015/2016. L’impression d’une année perturbée a été plutôt le résultat d’un effet de communication. L’affirmation est du ministre de l’Education nationale. A travers cette interview, Serigne Mbaye Thiam explique que le gouvernement avait épuisé les négociations et fait toutes les propositions possibles. Il ne lui restait qu’à sortir l’arsenal répressif pour mettre un terme à la ‘’surenchère’’ de certains syndicats. Le responsable socialiste accuse aussi Khalifa Sall de faire dans l’agitation.
L’année 2015-2016 a été fortement secouée. En tant que ministre de l’Education nationale, comment avez-vous vécu cette crise ?
D’abord, il faut indiquer que c’est une année qui a vu se consolider toutes les politiques que nous sommes en train de mettre dans le secteur de l’éducation. On a un programme sectoriel qui a trois piliers. Le premier, c’est la qualité, c’est-à-dire l’amélioration de la qualité des enseignements et apprentissages. Le deuxième pilier, c’est celui de l’accès équitable à l’éducation et le troisième concerne la gouvernance ouverte, transparente et inclusive. Sur ces trois piliers du programme que nous avons dans le secteur de l’éducation au Sénégal, qui s’appelle le PAQUET, nous avons enregistré des progrès notables. Par exemple, cette année, nous avons eu ce qui concerne la qualité, la sortie de la première promotion des élèves-maîtres, qui ont été recrutés avec le concours réformé après la fraude qu’on a connue, avec une fête qui a été organisée pour ces élèves-maîtres au Grand-Théâtre. C’est une façon de revaloriser la fonction enseignante, la qualité de l’enseignement par l’amélioration de la qualité des enseignants dans leur formation initiale.
Cette année aussi a vu la poursuite de l’équipement de la dotation de manuels scolaires aux élèves. L’année dernière, on a doté les élèves de la première étape : CI, CP. Cette année, en octobre, tous les élèves de la deuxième étape, CE1 et CE2, ont eu des manuels scolaires. Ce que le pays n’a pas eu depuis longtemps. C’est un élément de qualité de l’éducation.
En ce qui concerne l’accès à l’éducation, je cite seulement deux exemples. Concernant l’accès équitable à l’éducation, cette année, nous sommes en train de finaliser la construction des 200 écoles élémentaires complètes qu’on est en train de faire au Sénégal, surtout dans les régions où le taux de scolarisation était faible. Comme Matam, Kaffrine, Diourbel, etc. En même temps, nous construisons des blocs scientifiques et technologiques. En 1981, on a commencé la construction des blocs scientifiques. En 2012, on n’avait que huit blocs scientifiques. En deux ans, on est en train de construire 20 blocs scientifiques et de réhabiliter les autres. A Dakar, nous avons démarré la construction de 17 collèges dans des zones où il y avait des sureffectifs dans des salles de classe. Ceci, c’est dans le domaine de l’accès équitable à l’éducation.
Dans le domaine de la gouvernance du système, tout le monde a vu ce que nous sommes en train de faire pour une meilleure amélioration des ressources, notamment, avec une responsabilisation des acteurs à la base, par des contrats de performance. Le ministère a signé avec les inspecteurs d’académie des contrats de performance et ces inspections en ont signés avec les 8004 écoles élémentaires que compte le pays. Nous avons eu une séance où nous avons évalué l’ensemble de ces contrats de performance qui sont aussi des contrats d’amélioration de la qualité. Sur le plan politique de l’amélioration du système, les choses ont avancé. Maintenant, il y a un défi qui persiste et qui ne date pas de l’année 2015/2016. C’est le défi de la stabilité du système scolaire. On a vu cette année que la stabilité du système a été aussi mise à rude épreuve.
Vous évoquez sans doute là l’actif de votre ‘’bilan’’ si l’on peut s’exprimer ainsi, mais ce que les observateurs retiennent, c’est que cette année a été très perturbée... Avait-on besoin d’en arriver là ?
Ce qu’il faut noter, c’est qu’au-delà des effets de communication, la crise n’a pas été aussi profonde qu’on l’a décriée sinon, le calendrier scolaire aurait été réaménagé, les examens aussi. Mais, il y a eu plus de communication que d’impacts réels sur les enseignements-apprentissages. Et ça, ce n’est pas une appréciation du ministre de l’Education nationale, c’est celle des acteurs à la base. Les inspecteurs d’académie, qui ont en charge le système éducatif à la base, après avoir remonté les informations des Principaux de collèges, et directeurs d’écoles et des proviseurs de lycées, ont estimé qu’il n’y avait pas matière à réaménager le calendrier scolaire, et à repousser les examens (...).
Comme je l’ai indiqué, la stabilité du système éducatif est un défi qui ne date pas de l’année scolaire 2015/2016. Depuis 20 ans, notre pays ne compte pas une seule année où il n’y a pas eu de grève ou de débrayage. En 2012, lorsque le président Macky Sall accédait au pouvoir, la situation était dramatique. C’était cinq mois de grève. L’année dernière, on a été obligé de toucher légèrement le calendrier. Donc, c’est un défi que nous avons au niveau du système éducatif, et je pense que les vacances doivent être mises à profit pour que tous les acteurs soient autour d’une table pour discuter des conditions de stabiliser le système éducatif.
Si le problème n’est pas aussi grave que vous le dites, il n’y avait donc pas de raison d’activer les khalifes généraux, non ?
Il faut indiquer que ce n’est pas le gouvernement qui est parti les voir. Mais, il faut se réjouir de leur intervention, parce que ce sont des régulateurs sociaux, des éléments de la société, qui ont des disciples qui sont dans l’enseignement, qui ont des disciples qui sont des parents d’élèves, qui vont exprimer leurs inquiétudes. C’est normal qu’ils puissent s’intéresser à tout ce qui touche à la vie nationale. Il faut se réjouir du fait que leur intervention ait permis en dernier ressort d’amener certains syndicats d’enseignants à la raison. Parce que, là aussi, il faut préciser que quand nous avons eu une rencontre avec les syndicats d’enseignants le 6 mai, 25 organisations syndicales avaient levé le mot d’ordre, et avaient repris les enseignements. Ce sont trois organisations syndicales dont deux, surtout présentes dans le moyen-secondaire, qui avaient maintenu le mot d’ordre.
Et même en dernier ressort, quand on a parlé de la rétention des notes, là aussi, il faut relativiser les choses. Sur les 28 336 enseignants du moyen-secondaire, lorsqu’on est arrivé au 6 juin, il n’y avait que 4 315 qui continuaient à retenir les notes. Donc, je pense qu’il faut relativiser l’impact de ces mouvements sur le système. Mais, tout jour d’études perdu est un jour important. Notre pays a le défi d’avoir un quantum horaire au niveau de l’enseignement qui permet aux enfants d’apprendre dans de bonnes conditions. Parce que c’est la somme de ces heures perdues qui se répercutent in fine au niveau d’un cycle ; au niveau du cycle élémentaire, ou du cycle moyen ou bien au niveau du cycle secondaire.
Avant d’arriver au niveau des religieux, il y avait des mécanismes étatiques qui avaient fait des propositions mais les autorités étatiques avaient fermé les portes. N’est-ce pas là un signe de mauvaise volonté ?
Non ! Je ne crois pas, parce que les syndicats d’enseignants ont déposé leur préavis de grève au mois de janvier. Le gouvernement du Sénégal a dû confier le dossier au Haut comité du dialogue social dirigé par Innocence Ntap Ndiaye qui a organisé des rencontres préparatoires, entre les organisations syndicales et les hauts fonctionnaires de l’Etat qui représentaient les différents ministères concernés par les revendications. Il y a eu plusieurs rencontres sous l’égide du Haut conseil du dialogue social et le Comité du dialogue social/Secteur éducation faisait aussi partie de ces rencontres.
Ces rencontres ont abouti à une réunion. Une rencontre au sommet, entre les organisations syndicales et les ministres cette fois-ci qui s’est tenue au King Fahd Palace au mois de mars, et qui n’a pas produit les résultats escomptés. Après cette rencontre, le chef de l’Etat, dans son discours à la Nation, le 3 avril, a fait de nouvelles avancées, compte tenu de l’état de la trésorerie de l’Etat et de l’impact de la croissance économique de 2015 sur la trésorerie.
Le 11 avril, nous avons eu une deuxième rencontre avec les organisations syndicales, avec toujours la présence du comité du dialogue social/secteur éducation, et la présence du Haut conseil au dialogue social au ministère des Finances, où on leur a indiqué les modalités pratiques de mise en œuvre des décisions prises par le chef de l’Etat. Mais, ça n’a pas permis de débloquer la situation. Et les concertations ont continué avec des échanges de notes, avec le Haut conseil du dialogue social et le Haut comité du dialogue social, etc.
Nous avons eu une autre rencontre entre le gouvernement et les syndicats avec les ministres concernés, le 6 mai. C’est à cette rencontre que 25 organisations syndicales ont jugé qu’il y avait des avancées satisfaisantes, qui étaient faites pour pouvoir lever le mot d’ordre. Mais d’autres ont cru devoir continuer le mouvement.
Donc, le dialogue n’a jamais été rompu pendant toute cette période de dépôt des préavis, jusqu’au moment où le gouvernement était en train de prendre des mesures que la loi lui permet de prendre.
On a entendu Mamadou Diop Castro dire qu’il a essayé de joindre le Premier ministre, le ministre de l’Education nationale, et le ministre de la Fonction publique, mais toutes ces portes étaient fermées…
Non. Là, je précise ; parce qu’aussi, après le 6 mai, où on a fait des propositions aux organisations syndicales, 25 parmi elles ont levé le mot d’ordre. Le gouvernement n’était plus en mesure de faire de nouvelles propositions aux organisations syndicales qui poursuivaient le mot d’ordre. Parce que si on le fait, on est dans une stratégie de surenchère pour les années qui viennent. Ce n’était pas possible. Il y a des organisations syndicales, vous leur faites des propositions, elles lèvent le mot d’ordre et vous allez à des propositions complémentaires à d’autres. L’année prochaine, vous allez être dans une situation où personne ne voudra lever le mot d’ordre avant l’autre. On sera dans une surenchère. Donc, dès l’instant où des organisations syndicales avaient levé le mot d’ordre, le gouvernement avait dit : il n’est pas nécessaire d’en rencontrer d’autres pour répéter la même chose. Les propositions avaient déjà été faites.
L’Etat est allé assez loin en se servant de l’arme de la contrainte avec notamment les réquisitions. On peut vous soupçonner d’abus de pouvoir.
Non, parce que les réquisitions sont tout à fait conformes à notre Constitution, conformes aux lois et règlements. C’est la Constitution qui reconnaît le droit de grève, mais qui dit que le droit de grève ne peut pas mettre en péril l’entreprise. C’est le sens générique et le droit de grève ne peut pas mettre en péril le droit à l’éducation des enfants. Parce que le droit à l’éducation est un droit aussi reconnu par la Constitution au même titre que le droit grève.
Ce sont deux droits qui se télescopent...
Non. Mais, il y a un droit qui est absolu, c’est le droit à l’éducation. Le droit de grève, il y a une jurisprudence du Conseil constitutionnel qui dit que ce n’est pas un droit de portée absolue. C’est la raison pour laquelle l’Etat encadre ce droit de grève. Le fait d’abord qu’il y ait un préavis, c’est une forme d’encadrement du droit de grève. Le fait d’assujettir, d’aller en grève à des négociations préalables, c’est une forme d’encadrement du droit de grève.
Dans le statut général des fonctionnaires, aussi bien dans le code du travail, il est indiqué que lorsque la continuité des services publics est en jeu, lorsque la satisfaction des besoins essentiels de la nation est en jeu, ici, on peut ajouter, continuité des services publics d’éducation, besoin essentiel de la nation en éducation, le gouvernement peut requérir. Pour des fonctions qui sont citées dans un décret, il y a un décret de 72 qui dit que les fonctions d’enseignement sont des fonctions qu’on peut réquisitionner.
L’autre élément à préciser, c’est que la réquisition ne concerne à la limite que les rétentions de notes. On a réquisitionné les enseignants pour rendre les notes aux élèves, rendre les copies aux élèves, communiquer les notes à l’administration, participer aux conseils de classe. Là aussi, on est dans un système où l’Etat, c’est sa responsabilité d’arbitrer entre des intérêts catégoriels. Il y a les intérêts catégoriels des enseignants, leurs préoccupations catégorielles, il y avait aussi les préoccupations des parents d’élèves, et des élèves. Les élèves avaient besoin de leurs bulletins de notes pour pouvoir postuler à des concours, pour avoir des préinscriptions à l’étranger ou autre chose. Donc, dans tous les cas, l’Etat du Sénégal était pris entre le marteau et l’enclume. Parce que soit les enseignants ne sont pas contents parce qu’on fait des réquisitions, soit les élèves sortent dans la rue pour réclamer leurs bulletins et ils avaient commencé à le faire. C’est de la responsabilité de l’Etat de prendre des mesures qui permettent de garantir l’intérêt général de la population. C’est ce que l’Etat a fait. Les lois et règlements, c’est pour gouverner en préservant l’intérêt général de la population.
L’année dernière, l’école a été beaucoup plus perturbée. Cette année, vous dites que c’est plus un effet de communication qu’un impact réel. Pourquoi donc tout cet arsenal répressif...
(Il coupe). Ce n’est pas un arsenal répressif, c’est un arsenal que la loi donne pour garantir le droit à l’éducation.
Mais pourquoi prendre toutes ces mesures maintenant, alors que l’année qui a précédé a été beaucoup plus perturbée ?
Simplement parce que je pense que l’on ne peut plus accepter qu’il y ait des retentions de notes pour les élèves. Les gens peuvent aller en grève comme ils veulent. Mais on ne peut pas accepter qu’il y ait des retentions des notes pour les élèves. Il appartient à l’Etat de protéger les élèves. C’est comme demander pourquoi on évacue quelqu’un qui vient barrer la route. C’est pour préserver la liberté des autres qui veulent passer.
On peut vous soupçonner de juste vous servir de ce prétexte pour museler les enseignants ?
Non ! Si on avait utilisé les réquisitions dès les premiers mois de grève sans discuter, on aurait dit que le gouvernement essaie de museler les enseignants, mais le gouvernement n’a fait qu’utiliser les armes que la loi et la constitution lui donnent. Et on l’a fait quand il fallait. C'est-à-dire, après avoir épuisé toutes les formes de négociations, de propositions possibles.
Selon vous, l’enseignant pose-t-il problème au sein de la société sénégalaise ?
Je ne crois pas. De façon générale, dire que l’enseignant sénégalais pose problème ne serait pas juste.
Même lorsque vous comparez avec les enseignants des années 60, 70, 80 par exemple ?
Mon analyse, dans le fond, est que la façon dont nous avons recruté et formé les enseignants pendant ces dernières années, sans toutes les normes de qualité ; cette façon a eu un impact y compris sur les relations professionnelles. C’est mon point de vue. Je ne parle même pas de la qualité de l’enseignant. Je parle de la façon dont nous avons recruté les enseignants. Les quotas sécuritaires, la formation insuffisante, les vacataires que nous avons en grand nombre...
Mais cela est l’œuvre du Parti socialiste. C’est vous !
Je ne parle pas actuellement de régime. Je suis en train de faire une analyse objective d’une situation. Encore qu’il faut noter que la première génération des volontaires était une génération de qualité. Quand cela a été lancé par Doudou Ndoye, on a fait l’évaluation de la première génération de volontaires quelques années après. Ils avaient quelquefois de meilleurs résultats que les maîtres contractuels. Le système a commencé à connaître des dérapages quand on a introduit un quota sécuritaire avec un nombre important d’enseignants qui étaient recrutés sans niveau, sans formation initiale solide et qu’on a injectés en grand nombre dans le système ainsi que les vacataires. Ce n’était plus à la marge, c’était le grand nombre. Ce niveau de recrutement et de formation a aussi un impact sur la qualité des relations professionnelles et du dialogue social. C’est donc là mon point de vue.
Vous voulez dire que cela a aussi un impact sur la façon de mener les revendications ?
Je ne parle pas de la façon de mener les revendications, parce que j’ai lu récemment un entretien de Mamadou Diouf, qui était un grand syndicaliste. Quand vous comparez cette trempe de syndicalistes avec les Iba Ndiaye Diadji, les Castro, vous vous rendrez compte qu’ils étaient formés en dialogue social, en conduite de négociations qui faisaient qu’ils savaient jusqu’où il faut aller et à quel moment il faut savoir arrêter une grève.
Vous soutenez donc que les nouveaux syndicalistes ont des méthodes plutôt anarchistes ?
Je ne parle pas d’anarchie. Je dis qu’il faut être formé au dialogue social. Il y a des syndicalistes qui sont formés à ça. Les syndicats leur font faire des cours, ils sont formés pour savoir quand est-ce qu’on déclenche une grève, laquelle des différentes formes de lutte permet d’atteindre les résultats, comment organiser un dialogue, jusqu’à quel moment il faut y aller. Comme je l’ai dit tout à l’heure, depuis 20 ans pratiquement, il n’y a pas eu une année sans grèves ou débrayages. Pourtant, trois chefs d’Etat au moins sont passés. Beaucoup de ministres de l’Education sont passés par là, beaucoup de ministres de la Fonction publique, beaucoup de ministres des Finances. Donc la question de l’instabilité du système ne peut pas être liée à la présence du ministre de l’Education nationale. Quand le dernier ministre de l’Education nationale de Wade partait, il y avait des grèves. Avant lui, il y avait des grèves du temps de Sourang. C’est constant !
Parmi les raisons officieuses avancées pour expliquer la crise, il y a le fait que certaines franges de l’Etat ont sans doute plus facilement accès aux ressources publiques que d’autres. Cela peut créer de la frustration chez les enseignants du point de vue de la valorisation sociale. Vous ne trouvez pas ?
Je pense qu’il y a un travail à faire qui relève de l’Etat. Mais il y a un autre qui relève aussi de l’image que les syndicats renvoient à la société. Ils doivent comprendre que la façon dont les luttes sont menées a un impact négatif sur leur image au niveau de la société. Je le dis sans les attaquer, c’est la réalité. Il y a un travail à faire au niveau du gouvernement. La valorisation ne passe pas seulement par la motivation financière. Elle peut passer par le statut, le fait de passer par un concours sélectif. J’ai vu ces jeunes qui ont fait le concours des élèves maîtres, après la réforme. Ils sont fiers d’être enseignants parce qu’ils savent qu’ils sont passés sous le prisme d’une sélection rigoureuse. C’est dans ce sens que le chef de l’Etat envisage d’inscrire la journée du 05 octobre qui est la journée mondiale de l’enseignant dans le calendrier républicain. Et au ministère de l’Education nationale, nous sommes en train de travailler sur la mise en place d’un grand prix du chef de l’Etat pour l’enseignant. Tout cela participe de la valorisation de l’enseignant.
On insiste sur la question. Est-ce que le déséquilibre des avantages n’est pas la source de frustrations des enseignants surtout si l’on voit la facilité avec laquelle on peut s’enrichir dans certains corps ?
Je leur dis toujours qu’il ne faut pas être dans un corps et se comparer à un autre corps, sinon il faut comparer l’ensemble des avantages et des servitudes d’un corps. On ne peut pas être policier et se comparer aux magistrats. On ne peut être enseignant et se comparer à un magistrat. On a choisi d’être dans un corps, on prend les servitudes liées à ce corps. Au moment où les gens sortaient de l’école, ils avaient la possibilité de choisir d’aller faire la magistrature d’aller à l’école nationale d’Administration pour être Administrateur civil, inspecteur des Impôts ou alors aller à l’école des Douanes. Donc on ne peut comparer sur cette base-là.
Vous avez parlé de la politique de valorisation de l’enseignant, mais quelle est la place de l’élève dans tout cela ? Comment rehausser le niveau qui s’est effondré actuellement ?
C’est tout le sens de la mission de l’Education nationale. Dès que je suis arrivé à la tête de ce ministère, c’est le discours que j’ai tenu à tous les acteurs. Il ne faut pas qu’on oublie que la raison d’être du ministre et des avantages qu’on lui donne, la raison d’être de l’enseignant et des investissements, c’est l’élève. Il ne faut pas qu’on occulte la centralité de l’élève dans le système éducatif. Tout le reste, ce sont des moyens. L’élève a besoin de reconquérir sa centralité.
Mais le budget est un indicateur. Or, il est consommé presque par les dépenses de fonctionnement.
Avant la LFR (loi de finance rectificative), on avait un budget de 386 milliards. Il y a eu les 24 milliards des rappels et autres. Avec la Lfr, le budget sera de 406 milliards, cette année-ci. Sur les 406 milliards de francs Cfa, les 365 milliards sont constitués de salaires et indemnités. Il y a donc très peu de marge pour la qualité, pour l’investissement. Ce qui est certain, c’est que le niveau de notre système éducatif a baissé comparé aux années 80. Le système de façon générale et la qualité des enseignements apprentissages se sont détériorés.
C’est dû à plusieurs facteurs. Pendant la période 2000-2011 où on avait le programme décennal de l’éducation et de la formation (Pdef), l’accent a été plus mis sur l’accès à l’éducation pour atteindre l’objectif de scolarisation universelle. On a eu beaucoup d’abris provisoires, beaucoup de recrutements d’enseignants qui n’avaient pas tellement le niveau. Les moyens n’ont pas suivi en termes de matériels pédagogiques, de manuels. Cela s’est ressenti sur le niveau des enseignements/apprentissages. C’est la raison pour laquelle le premier axe du nouveau programme sectoriel que nous avons, c’est l’amélioration des enseignements/apprentissages. Des actions sont en train d’être conduites telles que la formation des enseignants, le matériel pédagogique, la promotion des sciences, la constitution de blocs pédagogiques… Mais les investissements dans la qualité du système éducatif sont des investissements à rentabilité très lente. Les investissements faits aujourd’hui sur la formation des élèves en C1, leurs résultats ne seront visibles que sur le certificat d’étude, c'est-à-dire 6 ans après.
Est-ce que vous sentez les parents d’élèves concernés, impliqués dans les affaires de l’école ?
Non ! Non ! Les parents d’élèves ne sont pas tellement concernés par les affaires de l’école. Ils ne sont pas présents. Et ce n’est pas simplement parce que les parents ne sont pas alphabétisés. Il y a des parents qui n’ont pas été à l’école, mais qui portent plus d’intérêt à l’éducation de leurs enfants.
Comment est-ce que vous évaluez ce déficit d’engagement ?
On l’évalue par le fait que par exemple, à chaque fois qu’on organise le certificat d’étude ou le Bfem, il y a des élèves sans pièces d’état-civil, et en nombre important. Si les parents s’intéressent à l’étude de leurs enfants, le minimum est de leur trouver des pièces d’état-civil. L’année dernière, on était à plus de 50 000 élèves sans pièces d’état-civil. On a fait bouger le chiffre jusqu’à 2000. Cette année encore, je n’ai pas les derniers rapports, mais ceux que j’ai reçus des inspecteurs d’académie indiquent qu’il y a des enfants qui ont passé le concours d’entrée en sixième sans pièce d’état-civil. L’autre point pour évaluer l’engagement, c’est le rapprochement entre parents et enseignants.
Il faut que les parents aillent voir les enseignants, qu’ils s’intéressent à ce qui se passe à l’école, qu’ils soient des médiateurs de proximité. Nous avons d’ailleurs essayé de trouver des mécanismes pour remédier à cela. Il y a aussi les anciens élèves. En 2013, on avait lancé la journée du retour au royaume d’école qui a connu un grand succès la première année. Mais après, on ne voit plus les anciens autour de leur école. Et pourtant, c’est ça qui fait que dans certains pays, le ministère de l’Education nationale subit même un contrôle citoyen des parents et des anciens élèves. Si les citoyens s’intéressent à ce qui se passe autour de leur école, ce sera une pression supplémentaire sur le gouvernement. Ce qui contribuera à améliorer le système éducatif.
Parmi les recommandations des assises, il était question de faire contribuer financièrement tous ceux qui ont réussi grâce à l’école. Mais jusqu’ici, on ne voit rien.
Il y a des initiatives éparses. A l’heure où je vous parle, il y a des anciens élèves qui sont en train de réhabiliter complètement leur école, mais qui veulent rester discrets. Une société nous a fait des offres dans le cadre du programme de résorption des abris provisoires. Elle est en train de mener des actions dans ce sens. Le ministère de l’Education n’a fait que désigner des écoles. Mais il n’y a pas une action coordonnée.
Il y a aussi un autre élément de réforme dans le financement du système éducatif qui commence à démarrer. C’est la fondation du secteur privé pour l’éducation dirigée par le président Kama (Mansour Kama, Cnp). Elle a mobilisé des milliards et intervient dans l’équipement informatique de certaines écoles. Les entreprises privées agissaient de façon éparse et dispersée dans les écoles. Maintenant, il y a un véhicule qui est la fondation du secteur privé qui permet de coordonner les interventions, pour qu’elles soient plus visibles, pour que demain on puisse dire que la fondation du secteur privé est un partenaire au même titre que la Banque mondiale, l’Agence française de développement.
S’il y avait un comité de suivi, est-ce que tout cela ne serait pas mieux coordonné ?
Le comité de suivi est en train d’être mis en place. Mais, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de comité de suivi que rien n’est fait sur les recommandations des assises de l’Education. Je vous cite un exemple. La décision numéro, une des assises de l’éducation, c’est de promouvoir l’enseignement des sciences, des mathématiques, du numérique et de l’entrepreneuriat. Parlant d’enseignements numériques, les Sénégalais ont pu observer, avant les épreuves anticipées de philo, des ressources numériques qui ont été élaborées par le ministère de l’Education nationale et diffusées par la RTS. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de comité de suivi formellement mis en place qu’il n’y a pas un mécanisme de mise en place des conclusions.
Avant les assises, le paquet était le référentiel. Il le demeure après les assises. N’est-ce pas la preuve que les recommandations ne sont pas prises en compte ?
Le Paquet a existé avant les assises. Il a été conceptualisé en 2013. Mais, à son accession au pouvoir, le président de la République ne pouvait pas attendre les assises pour avoir une bonne politique éducative. C’est pourquoi qu’il a misé d’abord sur le Paquet. Mais il a tout de même ouvert des concertations nationales sur l’éducation. Quand ces concertations ont produit des résultats, l’année dernière, il a demandé une mise a jour du Paquet. Les assises n’ont pas remis en cause le paquet. Il y a une complémentarité entre les trois premiers axes du Paquet et les trois premières recommandations des assises nationales.
Donc il fallait une mise à jour du Paquet, à la lumière des conclusions des assises de l’éducation et de la formation. Actuellement, un comité technique composé du ministère de l’Education nationale, du ministère de la Formation professionnelle, de l’Agence nationale de la case des tout-petits et du ministère de l’Enseignement supérieur est en train de se réunir pour lancer le processus de mise à jour du Paquet. Il le fera en tenant compte des conclusions des assises nationales, des nouvelles dispositions contenues dans l’acte 3 de la décentralisation, des nouvelles orientations de l’UEMOA et de l’Union africaine en matière d’éducation, de l’agenda mondial éducation 2030 adopté en novembre 2015 à l’Unesco. Donc il faut adapter le Paquet à ces quatre éléments nouveaux qui n’existaient pas en 2013.
La mise à jour se fait. Mais à quand le comité ?
Pas plus tard que ce matin, j’ai travaillé sur le draft du projet d’arrêté qui m’a été soumis. C’est en train d’être finalisé.
Vous n’avez pas une date ?
Je pense que ça va se finaliser dans le mois à venir. Mais je dois indiquer encore une fois que le Paquet intègre déjà les conclusions des Assises.
Tournons la page Education ! Karim Wade a bénéficié d’une grâce. Comment appréciez-vous sa libération ?
Il faut se réjouir donc que la procédure judiciaire ait été conduite à son terme. Maintenant, une fois cette procédure épuisée, il y a une prérogative que la Constitution, que les Sénégalais, ont donné au chef de l’Etat et qui n’est assujettie à aucune condition. On ne demande pas l’avis du Conseil supérieur de la magistrature ou d’une telle personne. C’est une prérogative constitutionnelle du président de la République. C’est lui, en fonction de paramètres qui lui sont propres, qui évalue et qui prend la décision. En tant que membre du gouvernement et en tant qu’allié, je fais confiance à la personne avec laquelle je travaille sur la base des paramètres sur lesquels il se fonde pour prendre sa décision.
Du point de vue légal, il n’y a pas de reproche. Mais sur le plan de la morale, beaucoup s’expriment contre la libération d’un homme assimilé à tort ou à raison à un délinquant économique ?
De 2012 à maintenant, si vous faites le décompte des personnes qui ont été graciées, je pense qu’on est à plus de 7000. Parmi ces personnes qui ont été graciées, il y a eu des crimes de sang, des viols. La grâce n’est pas instituée uniquement pour les délits mineurs. S’il était dit dans la Constitution, que la grâce ne peut être accordée que pour des emprisonnements ou des peines inférieures à trois mois, à ce moment, on pourrait faire une appréciation. Ce n’est pas l’affaire d’une personne, même si les délits sont importants. Ça, c’est toujours fait avec tous les Présidents qui sont passés. Celui qui a les paramètres de décider, c’est le chef de l’Etat. Il n’est pas obligé de partager ni avec les membres de son gouvernement ni avec les alliés.
Les tenants du pouvoir disaient que la traque est une demande sociale. Ne fallait-il pas la mener à terme au nom de cette demande sociale ?
Je pense que ça va être poursuivi. Tous ceux qui tombent dans la prévarication, dans le détournement de deniers publics doivent être poursuivis. Les responsabilités doivent être situées. Si les gens sont coupables, ils doivent payer. Cela doit être une constante. Je ne pense pas que ça soit la fin de la traque des biens supposés mal acquis.
Sauf que depuis 2014, on nous annonce la suite, mais jusqu’ici rien...
Il faut poser la question à la justice. Je ne suis pas un Etat. Si on me pose des questions sur l’éducation, je peux vous répondre. Pour des questions qui relèvent de la justice qui doit enclencher des procédures, ou en arrêter d’autres, je ne suis sans doute pas la personne la plus habilitée.
Quelle est la position politique de votre parti ?
La position politique de notre parti est que la grâce ne doit pas entraîner un non-remboursement des sommes qui ont été soustraites. On ne doit pas aller à l’amnistie et ça ne veut pas dire la fin de la reddition des comptes.
Le Parti socialiste a porté plainte contre X à propos des évènements qui ont eu lieu à la maison du parti. Puisque c’est un problème politique, pourquoi ne pas privilégier une solution politique ?
Non, (il se répète). Je pense que les choses sont très simples. Le 5 février (2016) il y a une instance du parti qui se réunissait, en l’occurrence le bureau politique. Dans la salle, il y avait des divergences politiques et ça se réglait politiquement. Ce qui s’est passé, ce n’est pas un contentieux politique, c’est de l’agression, de la violence gratuite sur des personnes et sur des biens. Les différences politiques étaient dans la salle au même moment que les violences ont éclaté. Il y avait 23 personnes qui s’étaient inscrites sur la liste. Deux parmi ces personnes avaient demandé que le parti vote Non au référendum. Personne ne les a convoqués à la police pour cela. Personne n’a porté plainte contre eux pour cela. Donc il ne faut pas qu’on dise que c’est un problème politique. La personne X contre laquelle on a porté plainte, c’est la personne instigatrice, l’auteur ou les complices des actes de violences pour lesquels les membres du parti ont indiqué qu’il pouvait y avoir mort d’homme.
Mais est-ce que vous n’exagérez pas la situation ?
On n’exagère pas la situation. Khalifa Sall lui-même, dans son interview sur la Sen Tv, dit qu’il pouvait y avoir mort d’homme. Nous qui étions dans la salle, on savait qu’il pouvait y avoir mort d’homme. Ceux qui ont fait ça étaient pas dans une dynamique de blesser des gens et d’attenter à leur vie. Donc ce n’est pas un contentieux politique. Jusqu’à présent est-ce que vous avez vu un camarade qui a été convoqué parce qu’il a émis un avis contraire à un autre avis ? Le Parti socialiste n’a pas porté plainte contre une personne, il a porté plainte contre X pour que la police qui a les moyens d’investigation que la loi lui donne puisse situer les responsabilités. Beaucoup de membres du Parti, y compris moi, ont été auditionnés sans bruit. Alors pourquoi s’affoler ?
Vous faites allusion à Khalifa Sall qui a fait une déclaration ?
Ce qu’on constate, avant cette dernière semaine, beaucoup de camarades ont été convoqués. J’ai été entendu par la DIC (Division des investigations criminelles). Des jeunes du parti ont été entendus par la DIC. Mais ces gens ont eu la décence et la dignité de ne pas s’agiter. On demande à tout le monde d’aller répondre et les responsabilités seront situées.
Est-ce qu’il est envisageable que le parti puisse retirer sa plainte ?
La plainte a été décidée par la réunion du Bureau politique. Ce n’est pas une plainte de Ousmane Tanor Dieng. Ousmane Tanor Dieng, par la déclaration qui a été lue à l’issue de la réunion du Bureau politique le 06 (juin), a reçu mandat de porter plainte, de donner une suite judiciaire. Des camarades dans le parti ont indiqué que, même si le parti retire la plainte, eux, à titre personnel, vont maintenir leur plainte.
Donc, est-ce à dire que le point du non-retour est atteint au Ps, avec le camp de Khalifa et celui de Ousmane Tanor Dieng qui vont continuer à s’affronter ?
Si on utilise les mécanismes démocratiques, notre parti peut sortir renforcé, avec une meilleure image auprès de l’opinion. Quand on est dans un parti politique ou dans toute association, il y a une seule règle pour prendre les décisions. C’est la règle de la majorité. Pour toute question posée, on entend toutes les parties, on interroge les organes habilités du parti et on interroge la base et après, tout le monde doit se conformer à la décision majoritaire.
Comment se porte le compagnonnage avec le Président ?
Je pense qu’on est dans une relation de confiance, de fidélité, de loyauté. Aussi bien au niveau du chef de l’Etat qu’au niveau de notre parti, nous faisons ce que nous avons à faire pour rester dans cette relation. Soit vous êtes dedans, soit vous êtes dehors. Ce n’est pas un comportement d’hommes ou de femmes d’honneur d’être dans le gouvernement, dans la majorité présidentielle et en même temps de poser des actes qui sont des actes de déloyauté. On ne peut pas, nous, agir de cette façon. On est dans le gouvernement, on travaille comme si c’était un socialiste qui était le président de la République du Sénégal. On le fait pour lui mais aussi pour notre pays. Dans le gouvernement et à l’Assemblée nationale. Il n’y a pas de crise dans la coalition.
PAR MAHMOUDOU WANE ET BABACAR WILLANE