''Comment Benno Bokk Yaakaar pourra survivre''
Un pied dans la religion, un autre dans la politique. Serigne Mansour Sy ''Djamil'', leader du Mouvement Bés Du Ñakk, en même temps qu'il continue à garder la flamme que son père Moustapha Sy Djamil a allumée à Fass, s'intéresse à la politique. Dans cette interview réalisée à Koweït City, ce ''marabout'' bien atypique, pour avoir flirté avec le Parti de l'indépendance et du travail (Pai), s'exprime sans détour sur les sujets brûlants de l'heure : les audits et l'avenir de Benno Bokk Yaakaar.
Comment appréciez-vous le débat qui s’installe au niveau du pays sur la question de la transparence, certains pensent que ce n’est pas bon pour le pays cela fait fuir les investisseurs, d’autres trouvent que c’est bien et qu’il faut engager une opération mains propres?
Moi, je ne peux pas me positionner parce qu’il y a des structures de l’État qui sont là pour cela. L’audit est un moment d’un processus de la gestion des fonds publics. Même la vendeuse de cacahuètes s’audite à la fin de la journée. On vous confie l’argent de l’État qui appartient à tout le monde et il est tout à fait normal qu’à un moment, on rende compte. Il y a un devoir et une exigence d’audit. On doit se dire voilà l’argent qu’on m’a donné, voilà comment je l’ai dépensé. Vous serez peut-être félicité. On vous dira : vous avez fait du bon travail. S’il y a des choses louches, on vous demande à votre niveau de donner des explications. Si à la suite des explications, les choses se clarifient, on continue. S’il y a des reproches qui sont tout à fait sérieux, ce n’est même pas aux structures d’audit d'agir. C’est à ce moment-là que la justice intervient. Il y a donc trois niveaux. Tout est dans un processus normal. On sent qu’il y a des choses pas normales. On les clarifie et on les oublie. On ne peut pas les clarifier, peut-être alors que ce sont simplement des fautes de gestion qui ne sont pas graves. Là, la sanction est simplement administrative. Mais quand il y a détournement, ce n’est plus l’affaire du gouvernement. C’est l’affaire de la justice. Le problème est qu’il y a eu des audits avec des conclusions extrêmement négatives par rapport à Abdoulaye Wade et à des gens qui lui sont très proches. Abdoulaye Wade, au lieu de laisser l’audit ou les enquêtes franchir la nouvelle étape pour permettre aux enquêteurs de continuer leur travail, n’a pas voulu qu’on continue. Aujourd’hui Macky le fait. La plupart des audits dont on parle ont été faits du temps d’Abdoulaye Wade.
Mais le PDS persiste et signe que ce sont là de simples règlements de compte politiques...
Ce ne sont pas des règlements de comptes. C’est eux qui avaient engagé ces audits-là, sous la pression des bailleurs de fonds. Contrairement à ce que disent les gens, ce sont les bailleurs de fonds qui ont demandé les audits. C’est eux qui ont demandé la clarté dans la gestion des biens publics. Abdoulaye Wade a fait ces audits et après il a tout bloqué. Macky Sall n’a fait que débloquer un travail qui a été engagé par Abdoulaye Wade et qui n’a pas abouti pour des raisons sérieuses. Maintenant, il n’y a plus de mystères. Le président Macky Sall a levé le pied. La justice poursuit son cours pour l’audit jusqu’à son terme. La seule chose que je déplore, c’est que c’est un travail normal et qui pouvait se faire sans être médiatisé jusqu’à aboutissement... La sanction est une manière de combattre l’impunité. Ce qui est important au-delà des audits, c’est créer des conditions pour que ces déviations et dérapages dans la gestion des fonds publics ne se reproduisent plus. Nous avons l’exemple des pays occidentaux. Aujourd’hui, on poursuit Chirac pour des pacotilles. Mais c’est un message qu’on veut donner qu’il n’y a pas d’impunis. Qu’il n’y a pas d’homme au-dessus des lois. Je ne vois pas pourquoi le fils du président est au-dessus des lois. On lui a confié l’argent public, il l’a géré, il faut qu’il y ait une révision de comptes. Ça ne va pas plus loin que ça.
Que devient votre mouvement après la coalition formée pour aller aux législatives ?
Notre mouvement a pu bénéficier d’un très grand capital de sympathie. Nous avons aujourd’hui un élan fort à l’étranger et au Sénégal, dans la banlieue, dans les villes et les villages. Partout il y a un élan de sympathie. En montant dans l’avion, un Sénégalais m’a remis la liste des membres du bureau de la cellule installée au Koweït. Nous avons installé la cellule de ''Bés du Ñakk'' ici. Nous allons installer la cellule de ''Bés du Niak à Dubaï, la semaine prochaine. Il y a deux semaines, nous avons mis en place une très très grande cellule à Bruxelles où il y a des gens qui travaillent, y compris dans les organisations de l’Union européenne. Il y a un engouement des Sénégalais à l’endroit de ''Bés du Ñakk. A travers cela, il se pose la question de savoir quelles sont les formes d’organisation capables de mener les luttes actuelles. Est-ce que sont les partis ? Est-ce les mouvements citoyens ? Ce que je peux vous dire, c’est qu’aujourd’hui nous sommes engagés dans une phase de structuration de notre mouvement. En banlieue, nous ne nous sommes pas encore occupés de ''Bés du Ñakk'' du point de vue organisationnel, mais nous nous en sommes occupés du point de vue électoral. Nous y sommes allés pour les élections. Nous y sommes allés pour le premier tour et pour les législatives et nous avons le résultat que nous avons eu. Nous avons vu un engouement vers ''Bés du Ñak'k'. Nous sommes en train de tirer profit de cet engouement-là en essayant de structurer le mouvement.
Vous n’avez pas peur d’être phagocyté par la mouvance présidentielle ?
Non, on n’a pas peur d’être phagocyté parce que tous les partis politiques sont en crise. Cela leur suffit largement. Parce que l’énergie qu’ils doivent dépenser pour phagocyter ''Bés Du Ñakk'', ils peuvent la dépenser pour mettre de l’ordre dans leurs propres maisons.
Ce désordre qu’on voit un peu partout au niveau des partis politiques est dû à quoi, selon vous ?
C’est dû au fait qu’il y a une absence d’ancrage populaire. Il y a des signes qui ne trompent pas. A chaque fois qu’un parti est au pouvoir et qu’il perd le pouvoir, c’est l’implosion. Alors que nous avons devant nous des démocraties plusieurs fois séculaires telles que la France, la Grande Bretagne et les Etats-Unis où les gens perdent le pouvoir et ça ne les empêche pas de retourner et de voir pourquoi ils ont perdu le pouvoir. De voir les failles qu’ils ont eues, avant de recommencer à se battre pour reconquérir le pouvoir. Sarkozy a perdu le pouvoir et dès le lendemain, l’UMP s’est mise en ordre de bataille et essaie aujourd’hui de reconquérir un pouvoir détenu à tous les niveaux par les socialistes. Pour la première fois dans l’histoire de la France, tous les pouvoirs sont entre les mains du Parti socialiste qui avait reçu une gifle en 2002. Mais ceci ne l’a pas empêché de revenir à la charge et de récupérer tous les pouvoirs. Ils n’ont pas fait la transhumance. Ils ne connaissent pas cela. Ils ont fait une autocritique et ils ont trouvé la faille. Ils se sont rendus compte qu’ils n’étaient pas près des populations et ils sont allés vers elles. C'est cela la solution : avoir le bon pouls. Or, au Sénégal, le PDS perd le pouvoir et ce sont ses plus grands responsables qui quittent ce parti dès le lendemain de la défaite. Aujourd’hui, il (Ndlr, Pape Diop) quitte le pouvoir et il n’a même pas douze députés. Cela est dû à leur manière de faire la politique. Non seulement il n’y a pas d’ancrage populaire mais cette absence d'ancrage populaire veut être pansé par l’achat de consciences. C’est-à-dire qu’on fait de la politique avec de l’argent. On n’a pas de militants mais des clients et des supporters. Ça marche comme les écuries de lutte. Dès que Yékini n’a plus de forme ou que Tyson n’est plus là, les gens qui l’on soutenu hier vont essayer de soutenir le lutteur qui est à la mode. On ne peut pas gérer un parti politique ou un pays de cette manière-là.
Vous semblez critiquer le manque de vision des leaders politiques au Sénégal...
Ecoutez, il y a un spectacle très beau en France aujourd’hui. Je suis depuis très longtemps l’histoire de l'UMP et le positionnement de ses dirigeants. Là je parle de Jean-François Copé. Voilà un homme à qui on propose un poste de ministre dans le gouvernement et qui dit : le parti d'abord. Il refuse de prendre ce poste pendant 4 ans. Parce qu’il sait que s'il quitte ce poste, Fillon allait démissionner en tant que Premier ministre pour occuper ce poste et se positionner pour les élections présidentielles de 2017. Copé a été très futé, il a refusé. Il s’est préparé pour être toujours le chef de l’UMP et là, il a toutes les cartes en mains pour les élections de 2017. C’est ça un parti politique. C’est cela qu’on n’a pas au Sénégal. Certains partis politiques sont des partis présidentiels. Ils ont été conçus pour porter leur leader à la présidence de la République ; étant donné que cet objectif est devenu soit impossible, soit trop lointain, le parti n’a plus sa raison d’être. Il y a des partis institutionnels tels que le Parti socialiste, mais qui sont gangrenés par un problème de leadership et un problème de succession. Il y a une lutte intergénérationnelle qui fait que ce parti ne peut pas avoir toute son efficacité. Il y a des parties tels que l’APR (alliance pour la République, NDLR) qui est très jeune, qui n’a pas pu se tendre la main dans l’opposition tel que le Parti démocratique sénégalais l’avait fait pendant vingt-six ans, qui a été projeté à des responsabilités nationales, sans préparation de ses cadres, sans préparation de ses structures sans même préparation de son leader lui-même. Et il faut qu’ils apprennent avec le temps. Le leader a eu cette chance d’avoir été ministre de l’Intérieur, ministre de l’Energie et des Mines, Premier ministre, Président de l’Assemblée nationale, mais dans un contexte où le leader était Me Abdoulaye Wade. Ce n’était pas lui qui menait la barque, donc cette expérience-là ne peut pas le servir aujourd’hui, en tant que président de la République alors qu'il est sollicité quotidiennement. Il est jeune, je peux lui faire confiance et je demande aux Sénégalais d’être simplement tolérants, patients. On ne peut pas semer une graine d’arachide, l’arroser le même jour, la faire pousser le même jour, la récolter et la manger le même jour. Il faut laisser du temps au temps, comme disait Mitterrand.
Mais est-ce que vous pensez que les jeunes et de façon plus générale, les Sénégalais, sauront rester patients ?
Les Sénégalais ont une expérience. Ils ont obtenu l’alternance, ils se sont battus jusqu’au bout pour la chute du régime socialiste. Quand Wade est arrivé au pouvoir, l’alternance les a déçus. Et vous connaissez sans doute la citation, ''chat échaudé craint l’eau froide''. Ils n’ont pas envie de recommencer la même expérience et c’est tout à fait normal qu’ils aient des attitudes de vigiles et de vigie par rapport au nouveau régime. Mais moi, je dis qu’Abdoulaye Wade a été pire que prévu. Mais nous qui avons participé à la victoire de Macky, nous ne pouvons pas prévoir le pire pour Macky. Nous pouvons prévoir le meilleur pour Macky. Je peux du reste comprendre que le peuple sénégalais puisse anticiper le pire pour le peuple en créant les conditions pour que ce pire n’ait jamais lieu. C’est ma démarche, je vais continuer à accompagner Macky tout en étant vigilant. Chaque fois que je vois qu’il fait des choses qui vont dans le sens des objectifs pour lesquels il a été élu, j’applaudirai. Mais quand il y a des déviances ou des dérapages, je vais tirer la sonnette d’alarme pour lui dire : ce n’est pas pour ça que vous avez été élu.
Pensez-vous que la coalition Benno Bokk Yaakaar survivra aux Locales de 2014 ?
La durée de vie de cette coalition est liée à deux choses : le respect de notre diversité et le respect des décisions majoritaires que nous prenons dans la coalition. Tous les membres de la coalition ont adhéré à un texte qui s'appelle les conclusions des Assises nationales. Donc, c'est ça le ciment sur la base duquel la campagne du deuxième tour s'est effectuée. Personne n'a obligé Macky Sall à aller voir Mbow pour lui dire : j'adhère aux conclusions des assises. Tous les membres de la coalition à l'exception de Idrissa Seck, ont adhéré massivement aux conclusions des Assises. Donc, c'est ça le ciment majoritaire qui nous unit. Il faudra qu'à toutes les étapes, on respecte ce ciment majoritaire. Mais en même temps, il faut qu'on respecte notre diversité. Moi je suis de Bés du Ñakk qui n'est pas l'APR. L'APR n'est pas l'AFP et l'AFP n'est pas le PS. Il y a eu dans le passé des tiraillements qui font qu'aujourd'hui, il faudra ce respect-là. Donc la pédagogie que nous devons utiliser au sein de la coalition Benno Bokk Yaakar, c'est une concertation la plus large. Faire de telle sorte que tout ce que nous faisons, que les autres s'y identifient, se l'approprient. J'ai espoir. Parce que j'observe Macky depuis un certain temps. En tant que personne, il a les mêmes qualités qu'Abdou Diouf. Il est affable, il écoute beaucoup et il a une capacité de synthèse énorme et puis il est serein et au Sénégal, ça fait partie des qualités d'un leader. Etre serein, humble ne pas avoir de prétentions comme certains leaders politiques l'ont eues. Au premier tour de l'élection présidentielle, certains leaders ont reçu une raclée et moi je les invite à se pencher sur les raisons de cet échec au lieu de faire de la récupération et du vernissage. Essayer de se pencher sur les raisons de cet échec et voir comment créer les conditions pour que notre pays réussisse son développement. Et à ce niveau, je réfléchissais sur le rôle des organisations de gauche qui ont joué un rôle important.
Par Mamoudou WANE
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