''Seul un cabinet sur 10 respecte moyennement certaines normes''
Le Professeur Arame Boye Faye revient ici sur les risques qu'encourt les populations face au manque de respect des normes en ce qui concerne l'imagerie médicale.
Lors d’une récente sortie médiatique, vous mettiez justement en garde contre des rayonnements ionisants propagés par des cabinets d’imagerie médicale. Qu'en est-il exactement ?
En fait, il y a lieu de souligner que les rayonnements ionisants sont utilisés dans trois domaines que sont l’industrie, le milieu de la recherche et le secteur médical. C’est ce qu’on appelle, en d’autres termes, nucléaire de proximité. Pour l’une des phases de notre enquête, il était question d’inspecter le secteur médical. Nos inspecteurs assermentés par l’État ont effectué des contrôles avec la collaboration de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui leur a fourni des outils de mesure. L’objectif de cette mission était de vérifier si les travailleurs étaient bien protégés, de mesurer tout dépassement de dose ; il y a une dose à prendre chaque année. Il fallait aussi voir si le suivi dosimétrique des travailleurs est assuré. En guise d’exemple, le radiologue doit obligatoirement porter un tablier plombé. Le lieu aussi est important. Le rayonnement ne doit pas passer par le mur, il y a une épaisseur en plomb qu’il faut respecter. Quand les inspecteurs ont effectué des contrôles, ils ont constaté que les baies vitrées n’étaient pas plombées, avec une faible protection des travailleurs, des patients contre les rayonnements ionisants.
On a l’impression que vous avez décidé de jouer les gendarmes contre les cabinets d’imagerie médicale installés un peu partout à Dakar…
Je pense que notre objectif n’est pas de jouer les policiers mais de dialoguer, de sensibiliser. L’Autorité de radioprotection et de sécurité nucléaire, que je dirige depuis 2011, est une structure administrative indépendante placée sous la tutelle de la Primature. Nous avons pour mission de contrôler, au nom de l’État, toute la chaîne relative à l’utilisation des rayonnements ionisants pour l’imagerie ou pour traiter les patients. Au niveau de la législation, il existe deux lois, les lois 2004-17 et 2009-14 relatives à la sécurité nucléaire, qui ne sont pas toujours appliquées. Nous sommes en train de rédiger des décrets pour réglementer davantage le secteur. Dans le cadre de cette réglementation, l’État donne autorisation à notre structure, notamment à ses agents assermentés, de procéder à des contrôles. C’est dans ce cadre que nous avons visité beaucoup de structures médicales qui ne sont pas en conformité avec la législation en cours.
Que disent les rapports qui vous ont été soumis par vos inspecteurs ?
Nous n’avons pas encore à notre disposition toutes les statistiques. Mais si je me fie aux rapports que j’ai eu à étudier, seul un cabinet sur 10 respecte moyennement certaines normes, je dis bien certaines… La majorité de ces structures installées à Dakar et dans la banlieue ont des problèmes aussi bien au niveau de la radioprotection qu’au niveau de leur localisation, du suivi des travailleurs que des patients qui fréquentent les lieux exposés à des fuites de rayonnement. On voit, dans certains cas, des salles d’attente contiguës à la salle de radiologie. Les rapports ont révélé plusieurs manquements dont une absence de détecteurs de rayons X, d’équipements de protection (gants, lunettes plombées…), de panneaux de signalisation, de voyants lumineux fonctionnels, de personnes compétentes en radioprotection. Dans certaines structures, il n'y a qu’un tablier plombé pour tout le personnel ou encore elles ne recrutent pas un personnel qualifié. Or il faut au moins un qui soit formé en radioprotection.
Mais la plupart des médecins interrogés par EnQuête battent en brèche vos propos, surtout qu’ils avancent que, en plusieurs années de pratique, ils n’ont jamais été mis au fait de tels risques. Que répondez-vous ?
Mais ce ne sont pas des choses que j’ai inventées ; les rapports sont bien là et portent la signature d’agents assermentés de l’État. Le problème avec les Sénégalais, c’est qu’ils se croient dans la légalité tant qu’ils sont habitués à pratiquer dans l’anarchie. Quand on est, par exemple, radiologue, on doit être en principe formé en radioprotection. Les médecins en sont conscients. Mais en matière de réglementation, les Sénégalais n’admettent jamais qu’ils en font fi. L’autre problème, c’est qu’il y a un décalage entre la formation et la pratique. Celle-ci a un surcoût et exige un investissement financier que la plupart ne sont pas prêts à faire. Mais à notre niveau, nous ne voulons pas sévir même si nous avons les moyens juridiques de fermer des cabinets. Nous ne cherchons pas à jouer la police mais à résoudre un problème lancinant. Si nous prenons l’exemple du milieu industriel, les gens manipulent des sources radioactives à leur insu. Ces industries doivent, au moins, recruter une personne formée dans ce domaine, mais à cause du coût supplémentaire, elles rechignent à le faire.
A quel type de mesure faut-il s’attendre de votre part ?
Pour l’heure, nous avons formulé des recommandations. Nous conseillons la mise en place de paravent plombé, la réfection des salles de sorte qu’elles soient fermées hermétiquement, l’équipement du personnel en détecteur X, le contrôle périodique des équipes. Des accidents de surdosage surviennent même dans les pays occidentaux mais nous nous devons de protéger les populations, d’être à cheval sur les réglementations, c’est dans l’intérêt collectif.
Matel Bocoum
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