Au procès Sankara, l’étau se resserre autour des commanditaires présumés de l’assassinat
Un mois après l’ouverture du procès des commanditaires présumés de l’ancien président « révolutionnaire » du Burkina Faso, Thomas Sankara, il y a 34 ans, la salle a retenu son souffle mardi 9 novembre. Au tribunal militaire de Ouagadougou débutait l’audition de Gilbert Diendéré, l’un des principaux chefs de l’armée à l’époque et considéré comme la « boîte noire » du régime de Blaise Compaoré, qui a pris le pouvoir après le coup d’Etat de 1987.
L’accusé, qui purge déjà une peine de vingt ans de prison pour une tentative de putsch en 2015, est poursuivi pour « attentat à la sûreté de l’Etat », « complicité d’assassinat », « recels de cadavres » et « subornation de témoins ». « Je plaide non coupable », a déclaré d’entrée M. Diendéré, 63 ans, vêtu d’un treillis kaki et coiffé d’un képi rouge.
Alors où était-il ce « jeudi noir » du 15 octobre 1987, lorsque le capitaine Thomas Sankara et douze de ses compagnons ont été tués par un commando militaire ? Debout face aux jurés, Gilbert Diendéré, chef de corps adjoint du Centre national d’entraînement commando de Pô et responsable de la sécurité du Conseil de l’entente (le siège du pouvoir révolutionnaire à l’époque), a livré sa version des faits.
Après être allé « au terrain de sport » vers « 15 h 30 », près du Conseil national de la révolution (CNR, au pouvoir), il a « entendu des coups de feu à l’intérieur ». Il décide alors de faire « demi-tour » pour se rendre à la permanence du Conseil.
« Déclarations incohérentes »
Devant le bâtiment, il voit des « corps » allongés au sol. « J’ai reconnu Sankara dans sa tenue de sport », a raconté l’accusé, qui dit avoir identifié deux des membres du commando, les officiers « Ouédraogo Azouma dit Otis » et « Nabié N’Soni » [décédés]. « Qu’est-ce que vous avez fait ? », aurait-il demandé à ce dernier. « Il m’a dit que Sankara voulait arrêter leur chef Blaise Compaoré, donc ils ont pris les devants », a rapporté Gilbert Diendéré.
Pourquoi n’a-t-il pas riposté ou arrêté les assaillants, qui étaient sous ses ordres ? « J’étais seul, désarmé. (…) Je ne savais pas qui était avec qui. Le moindre faux pas et je serais devenu la quatorzième victime », s’est-il défendu, assurant avoir été « surpris » par le coup d’Etat et préféré plutôt rendre compte de ce qu’il a « vu et entendu » au commandant en chef Jean-Baptiste Lingani, l’un des pères de la révolution.
La partie civile a pointé des « déclarations incohérentes ». « Pourquoi se serait-il hasardé vers les coups de feu, les mains nues, sans prendre aucune précaution ? Il est plus probable qu’il savait qui tirait », a rétorqué l’avocat Prosper Farama, pour qui Diendéré était « le superviseur direct des opérations ».
Le 26 octobre, l’audition de l’ancien chauffeur de Blaise Compaoré, Yamba Elysée Ilboudo, le seul accusé à avoir reconnu sa participation au coup d’Etat, est venu entacher un peu plus la défense de Gilbert Diendéré et de son ancien patron, Blaise Compaoré, qui vit aujourd’hui en exil en Côte d’Ivoire et est le grand absent de ce procès.
Rumeurs de complots
M. Ilboudo, qui conduisait l’un des deux véhicules transportant les hommes du commando et des « armes lourdes » dans le coffre, a affirmé être parti du « domicile de Blaise Compaoré » et avoir aperçu Gilbert Diendéré sur les lieux du crime.
Selon des pièces du dossier d’instruction, révélées par le journal d’investigation burkinabé Courrier confidentiel, « l’action du commando était préparée des jours à l’avance ». Plusieurs témoins confirment, dans des extraits d’auditions, que « la mort de Thomas Sankara était programmée » et que certaines personnes ont même tenté de le prévenir, mais que celui-ci « refusait d’admettre et de prendre des sanctions contre son ami », Blaise Compaoré.
A l’époque, les rumeurs de complots entre les clans Sankara et Compaoré étaient nombreuses. Dans une note confidentielle datée du 5 novembre 1987, déclassifiée par le ministère de la défense français et publiée par Courrier confidentiel, Blaise Compaoré reconnaît que, face à la menace, ses hommes ont « décidé d’agir », avec à leur tête l’un de ses « principaux adjoints, un lieutenant ».
« Ils ont investi le Conseil de l’entente vers 16 heures avec l’intention d’arrêter Sankara. Ses gardes du corps ont ouvert le feu et mes hommes ont répliqué. Il a été tué à 16 h 20. C’est à mon domicile que les hommes m’ont avisé que “l’affaire est réglée” », écrit-il, précisant qu’il n’a pas « voulu sa mort », seulement « sa démission ».
Qu’a dit Gilbert Diendéré, lieutenant au moment des faits, à ses hommes lors de la réunion organisée quelques heures avant l’assassinat du leader de la révolution ? « De ne pas écouter les rumeurs et de se méfier des tracts orduriers qui circulaient dehors », répond l’accusé. « C’est une belle leçon de coup d’Etat que vous nous donnez ! », a raillé le procureur militaire.
L’étau se resserre autour des quatorze accusés. De source proche du dossier, « de nombreux éléments et témoignages à charge » doivent être dévoilés lors de ce procès historique. Si les premières déclarations n’ont pas surpris grand monde au Burkina Faso, où le déroulé de l’assassinat du « Che africain » a déjà été dévoilé depuis par certains témoins, elles viennent néanmoins accabler un peu plus les « cerveaux » présumés du putsch de 1987.
Au total, une soixantaine de personnes doivent être encore entendues, certaines par visioconférence, parmi lesquelles des figures de la politique française, tels que l’ancien ministre des affaires étrangères Roland Dumas ou Jack Lang, alors à la culture.
Lemonde.fr