Publié le 26 Sep 2022 - 17:21
77e ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L’ONU

Le Premier ministre malien fait à leçon aux dirigeants du monde

 

Présent samedi dernier à la tribune des Nations Unies, le colonel Abdoulaye Maïga, Premier ministre par intérim du gouvernement de transition du Mali, a réaffirmé les positions de son pays, fait la leçon aux dirigeants de la CEDEAO et qualifié le gouvernement français de ‘’junte au service de l’obscurantisme’’.

 

La mission de haut niveau de la CEDEAO au Mali, ce mardi, menée par le président Macky Sall, au sujet des 46 soldats ivoiriens détenus par Bamako, est-elle vouée à l’échec ? Le jeudi 22 septembre 2022, lors d’un sommet extraordinaire de l’organisation sous-régionale tenu à New York, en marge de la 77e Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU), le président de la Commission de la CEDEAO, Omar Alieu Touray, a annoncé la mission composée du président sénégalais et de ses homologues du Togo (Faure Gnassingbé) et du Ghana (Nana Akufo-Addo) pour négocier la libération des 46 soldats ivoiriens avec les autorités de la transition malienne.

Mais le passage, deux jours après, du Premier ministre malien à la tribune des Nations Unies, laisse comprendre que les trois chefs d’État ouest-africains ne se rendent pas en terre conquise. Dans un discours offensif et courtois, le colonel Abdoulaye Maïga a réaffirmé la position du Mali dans cette affaire ‘’bilatérale et judiciaire’’. Le président de la CEDEAO, le président ivoirien, l’ONU, tous ont reçu les remontrances du chef de gouvernement malien avec un accent particulier accordé à la France.

Dans ce discours qui fera date, le colonel Maïga a d’abord souligné son ‘’profond désaccord’’ avec les propos tenus par le secrétaire général des Nations Unies. Dans une interview accordée à des médias internationaux, Antonio Guterres a appelé les autorités de la transition malienne à trouver une solution à cette crise, affirmant que ‘’les soldats ivoiriens arrêtés à Bamako ne sont pas des mercenaires et c’est évident’’. Rappelant que la qualification judiciaire des infractions liées à cette affaire ne relève pas des attributions du secrétaire général des Nations Unies, le chef du gouvernement malien a déploré les récentes synchronisations des actions et l’harmonisation des éléments de langage consistant à faire passer le Mali de statut de victime à celui de coupable dans cette affaire des mercenaires.

Le Mali passé de victime à coupable

Cela, avant de poser cette question : ‘’Devant Dieu et en leur âme et conscience, nous demandons à ceux qui réfutent notre version, d’indiquer s’ils accepteront que des militaires ayant dissimulé leurs identités, en mettant sur leurs passeports qu’ils sont peintres, maçons etc., avec des armes, débarquent dans leur aéroport, sans que le pays de destination n’ait été au préalable informé et dans le dessein funeste de déstabiliser ce pays. S’ils ne l’acceptent pas en tant qu’Etat, si cela n’est pas possible à Lisbonne ou ailleurs, le Mali non plus ne l’acceptera pas en tant qu’Etat et ce ne sera pas non plus possible à Bamako ou dans une autre localité malienne’’.

Le 10 juillet 2022, 49 soldats ivoiriens ont été arrêtés par les autorités maliennes à l’aéroport de Bamako. Jugeant leur présence sur son sol illégale (éléments des forces spéciales, lourdement armés et sans ordre de mission), le gouvernement de transition malien accuse ces militaires d’être de mercenaires alors qu’Abidjan exige la libération d’éléments de son armée régulière. Après leur interpellation, l’ONU avait déclaré que ‘’les 49 militaires ivoiriens arrêtés à Bamako ne sont pas des éléments nationaux de soutien aux contingents de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma)’’.

A la fin de leur réunion à New York, les chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO ont fait savoir, à travers un communiqué, leur regret du maintien en incarcération des 46 soldats restant, ‘’malgré tous les efforts de médiation entrepris par la région.’’ Condamnant avec fermeté, l’incarcération continue des soldats ivoiriens, ils dénoncent ‘’le chantage exercé par les autorités maliennes dans cette affaire’’ et demandent ‘’la libération sans condition des 46 soldats détenus au Mali’’. La possibilité de nouvelles sanctions ayant même été brandies contre les militaires au pouvoir à Bamako.

Un principe de ‘’subsidiarité’’ et non de ‘’mimétisme’’ entre l’ONU et la CEDEAO  

Au président en exercice de la CEDEAO Umaro Sissoco Embalo, qui s’est basé sur les propos d’Antonio Guterres pour affirmer : ‘’Moi, à la place des Maliens, j’aurais relâché ces 49 soldats’’, le colonel Maïga rétorque ‘’qu’il existe un principe de subsidiarité, d’ailleurs aux contours flous, entre la CEDEAO et les Nations Unies et non un principe de mimétisme. Il est également important de lui préciser que le secrétaire général des Nations Unies n’est pas un chef d’Etat et le président en exercice de la CEDEAO n’est pas un fonctionnaire. Par conséquent, il serait indiqué qu’il ne banalise pas la CEDEAO.’’ Et sur le sort de 46 soldats ivoiriens, le Premier ministre assure ‘’qu’au Mali, les autorités n’interfèrent pas dans les dossiers judiciaires et respectent l’indépendance de la justice. Donc, nous n’avons pas vocation à interpeller ou relâcher. Ceci relève de la fonction judiciaire’’.

Sur la présence onusienne au Mali,  le colonel Maïga a réitéré la demande ‘’maintes fois exprimée’’ de son gouvernement d’un ‘’changement de paradigme’’ et d’une ‘’adaptation de la Minusma à l’environnement dans lequel elle est déployée et d’une meilleure articulation de cette mission avec les autorités maliennes’’. Reconnaissant des efforts et des sacrifices consentis par la Minusma, depuis sa création en juillet 2013, l’’envoyé de Bamako appelle à reconnaître que près de 10 ans après son établissement, les objectifs pour lesquels la Minusma a été déployée au Mali ne sont pas atteints. Et que l’insécurité au Mali est la conséquence de 4 types faits simultanés : ‘’le terrorisme, les conflits communautaires manipulés par les terroristes et leurs sponsors étatiques étrangers, la criminalité transnationale organisée et les actions violentes d’individus isolés.’’

Le Mali tient à présenter à l’ONU ses preuves contre la France

En profonde crise diplomatique avec la France, le Premier ministre malien a réitéré la demande de son pays de la tenue d’urgence du Conseil de sécurité des Nations Unies, faite le 15 août 2022. ‘’Cette réunion a pour objet de permettre au Mali de présenter les éléments de preuve en sa possession, démontrant que l’armée française a agressé en de maintes reprises mon pays, en violant, de manière répétitive et fréquente l’espace aérien malien, sans autorisation des autorités maliennes et parfois en falsifiant des documents de vol. Plus grave Monsieur le Président, le Mali sera en mesure de prouver que la junte française a fourni des renseignements et des armes à des groupes terroristes’’, assure le Premier ministre du Mali.

Comme pour agir en réciprocité, le gouvernement de transition qualifie désormais le gouvernement français d’une ‘’junte au service de l’obscurantisme’’. L’envoyé de Bamako l’explique à travers des ‘’pratiques néocoloniales, condescendantes, paternalistes et revanchardes’’ d’un pays qui a ‘’commandité’’ et ‘’prémédité’’ des sanctions ‘’inédites, illégales, illégitimes et inhumaines de la CEDEAO et de l’UEMOA contre le Mali’’. Mais également ‘’coupable d’instrumentalisation des différends ethniques, en oubliant si vite sa responsabilité dans le génocide contre les Tutsis au Rwanda’’ ou encore ‘’en apportant des renseignements, des armes et munitions aux groupes terroristes’’ au Mali.

Alors que la France assure la présidence du Conseil de sécurité de l’ONU, ‘’le gouvernement du Mali entend mettre cet important organe, chargé à titre principal du maintien de la paix et de la sécurité́ internationales, face à ses responsabilités et dénoncer les agissements de la junte française contre mon pays’’, assure le colonel Maïga.

Annoncé au Mali, Macky Sall, Président en exercice de l'Union africaine, ‘’va continuer de jouer le rôle de médiation auprès du colonel  Assimi Goïta, mais également auprès du président  Emmanuel Macron, pour qu'une solution qui convienne à l’ensemble des parties soit trouvée et que cette affaire ne soit pas exposée au Conseil de sécurité’’, assurait la ministre sénégalaise des Affaires étrangères.

Troisième mandat, la leçon à Ouattara, en attendant d’autres…

Lors de son passage à l’ONU, le mercredi 21 septembre, le président ivoirien Alassane Ouattara a encouragé les autorités maliennes à concentrer leurs efforts sur la lutte contre le terrorisme et à mettre en œuvre, de façon résolue, les différentes étapes du chronogramme de la transition, ainsi que les réformes politiques et institutionnelles en vue des élections présidentielles prévues en février 2024, pour le bien-être du peuple malien. La réponse ne s’est pas fait attendre par le Premier ministre malien qui a assuré que son pays est en train de mettre en place des réformes ‘’politiques et institutionnelles’’ qui ne permettront pas de faire un troisième mandat, ‘’en vue de conserver le pouvoir pour lui seul et son clan’’.

Le tout en précisant à Alassane Ouattara : ‘’Excellence Monsieur le Président, vos conseils nous rappellent la triste histoire du chameau qui se moque de la bosse du dromadaire’’, après avoir fait une référence à une métaphore footballistique : ‘’Le 3e mandat est une magie, c’est l’art de se dribbler soi-même tout en gardant le ballon.’’

Avant de conclure son allocution, le colonel Maïga a prodigué quelques conseils au ‘’aux nostalgiques de la domination’’ : ‘’Revoyez vos copies, revoyez vos modèles, revoyez vos logiciels pour intégrer le changement de mentalité et l’évolution du monde dans vos grilles de lecture et d’analyse. Sortez du passé colonial et entendez la colère, la frustration, le rejet qui remontent des villes et campagnes africaines, des populations africaines, et comprenez que ce mouvement est inexorable.’’

Lamine Diouf

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