Les calculs de Macky Sall
Plutôt qu’une rupture radicale, le président de la République a opté pour un changement dans la continuité, compte tenu de plusieurs facteurs, dont celui du temps.
L’attente a été très longue. Les espérances très grandes. Mais à l’arrivée, les résultats sont moindres, ‘’décevants’’, commentent certains observateurs. Le chamboulement tant espéré n’a pas eu lieu. À la place, le président de la République, Macky Sall, a opté pour le statu quo. Ou presque. Globalement, on note quelques jeux de chaises musicales, des entrées sans surprise et des départs plus ou moins attendus. Plutôt que la rupture, le chef de l’État semble miser sur la continuité dans le choix des hommes, à moins de cinq mois de la Présidentielle. Car il aurait été hasardeux de tout chambouler dans cette dernière ligne droite où le facteur temps est déterminant ; ainsi qu’est importante la dynamique unitaire de la coalition.
Parmi les décisions qui ont le plus marqué les esprits, il y a le retour de Mouhamadou Makhtar Cissé. Peu d’observateurs avaient vu venir. Inspecteur général d’État, l’ancien ministre du Pétrole et des Énergies avait été limogé du gouvernement en novembre 2020, après une brillante victoire aux élections. À l’époque, on l’accusait surtout d’avoir des ambitions présidentielles. Depuis, il est retourné à l’Inspection générale d’État, où il menait tranquillement sa vie en tant que fonctionnaire.
Son retour aux affaires marque donc la fin d’une époque. Il intervient à la suite de celui d’Amadou Ba, qui est passé de paria à n°2 du régime. Macky Sall est-il en train de réparer des torts ? On pourrait être tenté de le croire, à entendre le journaliste Madiambal Diagne qui lui est par ailleurs très proche.
À la question de savoir si les informations faisant état de rapports heurtés entre le président de la République et son actuel PM étaient avérées, il rétorque : ‘’Sincèrement, on ne saurait le nier. C’était surtout à cause des délations des adversaires d’Amadou Ba. Ce qui a le plus sauvé ce dernier, ce sont les téléphones d’Ousmane Sonko. Ceux qui l’accusaient de tous les noms d’oiseaux, d’être un proche de Sonko, c’est eux qui parlaient à Ousmane Sonko. Cette découverte a causé une grande déception au président de la République. Il n’aurait jamais imaginé que certains de ses collaborateurs s’adonneraient à de telles bassesses.’’
Après Amadou Ba, le retour de Makhtar Cissé marque la fin d’une époque
Aujourd’hui, c’est au tour de Mouhamadou Makhtar Cissé qui a fait l’objet des mêmes accusations de la part des faucons, d’effectuer son grand come-back dans l’entourage du chef de l’État. Ancien ministre du Budget, ancien directeur général de la Senelec, ancien ministre du Pétrole et des Énergies, M. Cissé ne sera pas en terrain inconnu, puisqu’il a déjà eu à occuper le très stratégique poste de directeur de cabinet du président Sall.
À côté de ce grand retour de Mouhamadou Makhtar Cissé, l’autre fait saillant du nouveau gouvernement concerne le jeu de chaises musicales au niveau des ministères de souveraineté. Ici, l’on notera le mouvement de l’inamovible Sidiki Kaba qui n’a plus quitté le gouvernement depuis qu’il y est entré en septembre 2013, à la suite de la nomination d’Aminata Touré au poste de Première ministre. Avec sa nomination, hier, à la tête du ministère de l’Intérieur, Sidiki aura fait la plupart des départements de souveraineté. Tour à tour, il a été ministre de la Justice, ministre des Affaires étrangères, ministre des Forces armées et maintenant ministre de l’Intérieur. Il a cédé son poste des Forces armées à Maitre Oumar Youm qui, lui aussi, fait son grand retour dans le gouvernement, après son départ en 2019.
À la place Washington, Sidiki va remplacer Antoine Félix Abdoulaye Diome, qui ne va sans doute pas se plaindre de quitter ce département très stratégique, mais aussi politiquement très exposé, avec ses nombreux problèmes. Il atterrit au non moins stratégique ministère du Pétrole et des Énergies, avec notamment pour mission de faire sortir les firsts oil et gas en début d’année 2024.
Dans la même veine, le président Sall enlève Ismaila Madior Fall de la Justice et lui confie les Affaires étrangères. À l’instar de M. Diome, le Rufisquois, non plus, peut s’estimer heureux de s’éloigner des querelles politiciennes relatives aux nombreuses affaires judiciaires encore pendantes.
Jeu de chaises musicales dans les ministères de souveraineté : Macky Sall met à l’abri Antoine et Madior, et file les patates chaudes à Sidiki et à Aissata
Le nouveau gouvernement a par ailleurs été l’occasion pour le président Macky Sall de gérer certaines contingences politiques, avec la grande entrée de ses poulains, ses militants de la première heure qui soutenaient en grande partie la candidature d’Abdoulaye Daouda Diallo. Parmi ces militants dits authentiques de l’Alliance pour la République, on peut citer Thérèse Faye Diouf nommée ministre du Développement communautaire, de la Solidarité nationale et de l’Équité sociale et territoriale ; Birame Faye qui passe de ministre auprès de… à ministre plein chargé de l’Artisanat et de la Transformation du secteur informel ; Pape Malick Ndour qui reste au département de la Jeunesse, de l’Entrepreneuriat et de l’Emploi, ainsi que de Mame Mbaye Niang (Tourisme et Loisirs) ; Abdou Karim Fofana (Commerce, Consommation et PME).
Les ténors de l’APR n’ont pas été en reste, avec le maintien de Moustapha Diop (Développement industriel…) ; Mansour Faye (Infrastructures, Transports terrestres et Désenclavement) ; Cheikh Oumar Hann (Éducation nationale) ; Mariama Sarr (Formation professionnelle, Entrepreneuriat et Insertion), en sus de l’arrivée de Maitre Oumar Youm promu à la tête du ministère des Forces armées.
Pendant ce temps, de Doudou Ka qui a pris la place d’Oulimata Sarr à la tête du ministère de l’Économie et du Plan, et de Samba Ndiobène Ka qui remplace poste pour poste Aly Ngouille Ndiaye.
À noter que le maintien du maire de Louga, Moustapha Diop, peut paraitre surprenant, si l’on sait qu’il est le seul, parmi ceux qui avaient bravé le choix de Sall en ce qui concerne la candidature, à conserver son poste. Un maintien qui conforte s’il en était encore besoin ceux qui ont toujours estimé que cette candidature n’est qu’un bluff et que le maire de Louga finira par rentrer dans les rangs.
Entrée en force de l’APR et consolidation de BBY
Dans la même logique politique, il faudrait inscrire le statu quo en ce qui concerne les postes réservés aux alliés de Benno Bokk Yaakaar. À moins de cinq mois de l’élection présidentielle, on peut imaginer aisément que le chef de l’État n’a pas été insensible aux préoccupations de ses alliés, en particulier du Parti socialiste et de l’Alliance des forces de progrès. Aucun changement n’a été noté à ce niveau. Alors que le PS conserve ses ministères (Environnement et Développement durable pour Alioune Ndoye ; Eau et Assainissement pour Serigne Mbaye Thiam), l’AFP est reconduite au département de la Pêche avec Pape Sagna Mbaye. Pendant ce temps, Samba Sy du PIT reste à la tête du ministère du Travail…
Le seul changement chez les alliés, c’est l’entrée d’El Hadj Momar Samb dans le gouvernement, une récompense pour ce fidèle qui a été de tous les combats de BBY depuis 2012.
L’exception Moustapha Diop
Outre M. Samb et Thérèse Faye Diouf, le nouveau gouvernement enregistre au moins trois nouveaux entrants. Il s’agit de l’ancien DG de la Lonase Lat Diop, l’ancien questeur de l’Assemblée nationale Daouda Dia, qui fait partie du quota d’Arona Dia, mais aussi Maitre Antoine Mbengue, qui est aussi un militant de l’APR à Joal, membre du Secrétariat exécutif national. Il remplace dans le gouvernement Sophie Gladima Siby (maire de Joal) qui occupait jusque-là le ministère du Pétrole et des Énergies. Pourquoi Antoine et non Sophie ? C’est l’une des questions que soulève ce nouveau gouvernement. Madame Siby va quitter le gouvernement en même temps que Mamadou Talla, emporté par la longue grève dans les collectivités territoriales.
Pour ce qui est des technocrates, il faut surtout noter le départ d’Oulimata Sarr, victime, en partie, de son manque de bagage politique, mais aussi les maintiens de Mamadou Moustapha Ba à la tête du ministère des Finances et du Budget, et de Marie Khémesse Ngom Ndiaye comme ministre de la Santé. Ils ont la particularité d’être des hommes du sérail et d’occuper des postes très sensibles.
Un gouvernement de ‘’missions et de combats’’
Ainsi, Amadou Ba dit tenir son gouvernement de ‘’missions et de combats’’. Son mandat sera articulé autour de quatre priorités. Le nouveau gouvernement est invité à répondre "au défi de la souveraineté et d’assurer une bonne organisation de l’élection présidentielle du 25 février 2024".
Le premier ministre engage aussi ses troupes à ‘’la prise en charge des urgences économiques et sociales, notamment la consolidation de la croissance, l’amélioration du pouvoir d’achat des populations, la lutte contre la vie chère, l’insertion et l’emploi des jeunes, ainsi que l’organisation dans des meilleures conditions de la campagne de commercialisation agricole’’.
Le troisième axe d’intervention du nouveau gouvernement sera de “veiller au fonctionnement adéquat des services publics et à la stabilité sociale de l’ensemble des secteurs de la vie de la nation’’, en faisant référence à la santé, l’éducation, l’enseignement supérieur et les collectivités territoriales.
Egalement, le chef du gouvernement tient à ‘’finaliser les projets prioritaires du chef de l’Etat et amorcer le déploiement à partir du dernier trimestre 2023 du plan d’actions prioritaires du Plan Sénégal émergent(PAP3) ». Cela devrait permettre de préparer l’entrée du Sénégal dans l’ère de l’exploitation du pétrole et du gaz. Et de mieux engager la période électorale.
MOR AMAR