Publié le 11 Nov 2023 - 00:04
ENTREPRENEURIAT

Destins croisés de femmes

 

Du biogaz et du biocharbon pour lutter contre les changements climatiques et promouvoir l’autosuffisance en engrais organique ; une carte digitale santé pour faciliter l’accès aux soins à tous les Sénégalais, qu’ils soient riches ou pauvres.  Voilà quelques-uns des projets primés à la suite d’une compétition de pitchs tenue dans le cadre du programme African Woman of the Feature (AWF) organisé pour la première fois au Sénégal par Sephis, en partenariat avec GIZ/Invest.

 

Elles ont des trajectoires différentes, mais partagent toutes un goût irrésistible pour l’entrepreneuriat durable. Réunies pendant plusieurs semaines à Dakar dans le cadre du programme African Women of the Future Fellowship (AWF) organisé pour la première fois au Sénégal par Sephis, en collaboration avec GIZ/Invest, les jeunes Sénégalaises ont étalé tout leur talent en matière entrepreneuriale. À l’arrivée, trois d’entre elles ont été primées et seront accompagnées par le programme dans leur entreprise. Parmi elles, Nafissatou Sall, ingénieure en bioénergie, entrepreneure dans le domaine de la biotechnologie, cofondatrice de l'unité de production Univers Casa Bio basée à Ziguinchor ; Habsatou Mariam Ndiaye, diplômée en marketing, entrepreneure dans le domaine de la fabrication de biodigesteurs et des cuisines, ainsi que Yacine Sarr, ingénieure informaticienne, fondatrice de l’entreprise informatique FidiTech… Leur point commun, c’est surtout d’avoir présenté des projets non seulement innovants, mais aussi qui ont un impact indéniable sur leurs communautés respectives.

À tout seigneur, tout honneur. Sur les 30 projets qui ont été célébrés, Yacine est arrivée première. Ingénieure informaticienne, Yacine aurait pu faire carrière dans de grandes boites comme Orange, l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) où elle avait commencé à travailler. Mais très vite, la jeune dame se rend compte que l’emploi salarié n’était pas son dada. ‘’J'avais l’impression d’être dans une boite d'allumettes ; j'en avais assez de répéter tout le temps les mêmes choses ; cela ne me convenait pas. J'avais envie de créer, de booster, de transformer des choses qui peuvent aider à développer le Sénégal et l’Afrique... faire des choses qui aient de l'impact. Voilà qui m’a menée vers l’entrepreneuriat’’, témoigne la native de Diourbel.

Tournant le dos au confort du salaire, l’ingénieure en informatique crée ainsi son entreprise FidiTech. Depuis, elle est dans la création de sites, d’applications, dans le marketing digital. Aujourd’hui, le temps est venu pour Yacine de franchir un nouveau cap. Elle jette son dévolu sur le secteur de la santé. ‘’J’ai voulu créer quelque chose qui va révolutionner le domaine de la santé. J’ai alors mis en place cette carte digitale santé, qui permet une gestion plus efficiente du dossier des patients, parce qu’il y a dans la carte toutes les données dont on a besoin. Mais surtout la carte permet à chacun de pouvoir se soigner même sans argent et de payer à crédit après…’’, explique la jeune crack.

L’entrepreneuriat au service de la communauté

Autrement dit, le détenteur peut à tout moment mettre du crédit dans sa carte. En cas de maladie, s’il va à l’hôpital, il sera automatiquement pris en charge. Tant mieux si les crédits suffisent pour la prise en charge. Sinon, il va payer plus tard. Et c’était la principale motivation pour cette jeune créatrice. Elle revient sur ses desseins : ‘’Comme vous le savez, il y a beaucoup de personnes qui ne vont pas à l'hôpital, même quand elles sont malades, à cause de la cherté des soins. Les chiffres font état de 20 % de Sénégalais qui vont à l'hôpital automatiquement quand ils sont malades ; plus de 40 % n’ont pas accès aux soins ; il y a des gens qui meurent chez eux. C'est catastrophique, ce n'est pas normal. Et c'est pourquoi nous avons mis en place cette initiative pour donner les mêmes chances à tout le monde.’’ 

Très soucieux de la préservation de la planète et du développement durable, le programme a aussi réservé une attention toute particulière aux projets liés à l’entrepreneuriat vert. Dans ce domaine, il y a le projet de Habsatou Mariam Ndiaye qui en a marqué plus d’un.

Deuxième au concours, la bonne dame a présenté un magnifique pitch sur son entreprise qui s’active dans la fabrication de biodigesteurs et des cuisines. Ses clientes sont en même temps ses fournisseuses. Elle explique : ‘’En fait, les bio-digesteurs leur permettent d’avoir du biogaz et de l’engrais. L’engrais, ils nous le revendent pour des projets agricoles. Nous œuvrons ainsi dans la valorisation des déchets agricoles et agro-industriels.’’

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le business marche comme sur des roulettes. Aujourd’hui, Habsatou a pu faire 350 biodigesteurs, à la grande satisfaction de ses clientes, en particulier des femmes du monde rural qui, autrefois, parcouraient des dizaines de kilomètres à la recherche de bois de chauffe ; 150 autres sont en fabrication. Revenant sur le process, elle informe : ‘’Nous revalorisons les déchets en utilisant par exemple les bouses de vaches. Pour plus d’efficience, nous formons les utilisateurs à utiliser ces bouses pour produire du gaz à partir de nos installations. Lesquelles sont formées de biodigesteurs et des cuisines reliés par un tuyau qui permet de récupérer le gaz pour la cuisson. L’engrais qui en ressort nous est vendu par les utilisatrices et cela fait de l’engrais organique que nous commercialisons auprès des producteurs.’’
L’ambition de Habsatou, c’est d’augmenter le nombre de biodigesteurs, en vue de multiplier les capacités de production d’engrais du Sénégal. Dans un contexte marqué par les tensions mondiales sur le marché de l’engrais, la jeune entrepreneure estime qu’il est bien possible pour le Sénégal d’atteindre l’autosuffisance en engrais organique. ‘’Nous en avons les ressources, nous avons les compétences et nous avons la détermination. Nous sommes d’autant plus motivés que c’est la voie pour aller vers l'autosuffisance alimentaire dont on parle’’, soutient-elle avec beaucoup d’assurance.

Avec les 350 biodigesteurs, elle arrive à faire 5 000 t d’engrais. Ce qui est loin de satisfaire toute la demande. Pour atteindre un tel objectif, elle est à la recherche de financements pour mettre sur le marché 250 biodigesteurs supplémentaires et porter le stock à 750. ‘’Cela nous permettra de faire 2 000 t d'engrais le mois, soit 24 000 t l'année. Tout le monde y gagne. Parce que l’engrais organique a cet avantage de ne pas appauvrir les sols, contrairement à l’engrais chimique que nous importons’’, commente-t-elle, reconnaissante à l’endroit de son beau-frère sans qui, estime-t-elle, le projet ne verrait peut-être pas le jour. ‘’Je vous prie de bien noter cela. Il m’a vraiment beaucoup aidée…’’, lance-t-elle.

À l’instar de Habsatou, la benjamine, Nafissatou Sall, 26 ans, est elle aussi dans l’entrepreneuriat vert. Son quotidien, c’est de valoriser les déchets pour en faire non des biodigesteurs, mais du ‘’charbon écologique’’. ‘’Depuis 2019, souligne-t-elle, nous sommes dans le biocharbon, en mettant en place un produit que nous avons d'abord testé avant la commercialisation en 2020. Par la suite, on a mis en place la grillade plus un charbon destiné aux restaurateurs, aux hôteliers et aux ménages. Nous avons un charbon à la fois écologique et économe fait à base de résidus agricoles tels que les coques d’acajous, les tiges de mil, les pailles...’’

Née à Ziguinchor où elle a fait tout son cursus, de l’école primaire jusqu’à l’université Assane Seck où elle a fait son Master 2 en informatique, Nafi ne cesse d’innover et de mettre sur le marché des produits qui transforment la vie des femmes rurales. Son objectif, conquérir la sous-région avec son charbon et son fertilisant écologique. Son plus grand bonheur, rapporte-t-elle de sa voix fluette, c’est de rencontrer toutes ces bonnes dames qui lui font des témoignages sur la qualité de ses produits. Elle raconte : ‘’Quand je rencontre des femmes sur la route, elles me disent : ‘Nafi jerejef ; vous m’avez épargné de me lever tôt le matin pour aller dans la forêt pour chercher du bois. Merci de m’avoir facilité la vie...’’

À propos de l’accessibilité du produit, elle dit : ‘’Ce produit est non seulement écologique, donc pas néfaste sur la santé, mais c’est aussi plus économique que le charbon. Par exemple, avec un kilo seulement, soit 300 F, on peut faire 3 kg de riz. C’est bien plus économique que le charbon et il n’y a pas de fumée visible.’’

Grâce à l’accompagnement du programme Sephis et de GIZ, elle envisage de franchir de nouvelles étapes dans son développement, à l’instar des autres lauréates.

MOR AMAR

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