Karim Wade soulagé ?
Comme en 2019, le Pds ne verra pas son candidat concourir le 25 février prochain. Au-delà du rejet de la candidature de Karim Wade par le Conseil constitutionnel, les interrogations fusent au sujet du timing de la publication d’un décret actant la perte de sa nationalité française et la véracité des ambitions politiques de l’héritier du président Abdoulaye Wade. Entre absence, communication virtuelle et boycott, comment pouvait-il espérer tirer son épingle du jeu ?
Le Parti démocratique sénégalais a annoncé une plainte « dans les prochains jours » et ses députés ont exigé la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire pour enquêter sur « les conditions d’élimination des candidats à l’élection présidentielle du 25 février prochain et en particulier celle de Karim Wade, candidat de la coalition K24 », lit-on dans une déclaration des parlementaires de la formation libérale publiée hier. Ils indexent les juges Cheikh Tidiane Coulibaly et Cheikh Ndiaye qui, selon eux, « auraient dû se récuser en raison de leurs connexions douteuses et de leur conflit d’intérêt ». D’emblée, on s’étonne que ces « connexions douteuses » -si elles sont avérées- ne soient relevées que seulement après la publication de la liste des candidats.
L’annonce de l’exclusion du candidat du Pds de la liste de postulants la magistrature suprême, pour bruyante qu’elle soit, n’aura étonné que peu de monde, en raison de deux choix opérés par l’ancien ministre d’Etat et qui, au finish, se sont révélés désastreux : son absence du Sénégal depuis juin 2016 et la gestion du dossier relatif à sa nationalité. La Constitution est sans équivoque sur le dernier point. Les candidats à la présidentielle doivent être de nationalité sénégalaise exclusive. Hier, un sentiment largement partagé à Dakar était que l’exilé de Doha a livré à ses « bourreaux » les justifications du rejet de sa candidature. Il est établi qu’il bénéficiait toujours de la nationalité française à la date du 26 décembre, jour de clôture des dossiers de candidature.
Certes, il avait annoncé en 2018, avoir renoncé à sa bi-nationalité. Mais, par un décret en date du 16 janvier 2024, communiqué par ses soins, le gouvernement français actait « la libération de Karim Wade des liens d’allégeance à la France », en clair, qu’il n’est plus français. Seulement, le candidat avait juré sur l’honneur dans sa déclaration de candidature être « de nationalité exclusivement sénégalaise » quelques semaines plus tôt. Suffisant pour construire l’argumentaire des sept sages. Mieux, ou pire, le timing de la publication de ce décret « déchargeant » Karim Wade de sa nationalité française a été perçu dans certains milieux comme la preuve de « l’implication de la France officielle », accoudoir bien commode dans les prises de position quand il est question d’élection présidentielle au Sénégal…
AUTO-FLAGELLATION
Selon l’expert électoral Ndiaga Sylla, « le Conseil constitutionnel a dit le droit en faisant respecter le droit fondamental de suffrage qui ne saurait être anéanti que par une décision fondée, légale et justifiée » Et d’ajouter : « c'est Karim Wade qui s'est tiré une balle en fournissant la preuve de sa double nationalité au moment du dépôt de sa déclaration de candidature alors qu'il aurait dû se limiter à publier un communiqué de presse », a indiqué M. Sylla. « Karim n’a jamais voté en France et a refusé volontairement, lorsqu’il était en prison, de se placer sous l’ombrelle diplomatique de la France. Si sa candidature est retoquée, ce sera un coup dur pour lui, car il aura tout de même renoncé à la nationalité de sa mère », s’est désolé un proche de Karim Wade, interrogé par le quotidien français du soir, « Le Monde ». Avant le débat sur sa nationalité, l’état du Droit au sujet de l’amende de 138 milliards de FCfa que lui avait infligée la Cour de répression de l’enrichissement illicite en mars 2015 pour enrichissement illicite n’avait pas prospéré dans le sens d’une contrainte pour ce scrutin, mais un autre fait, immatériel celui-là, aurait pesé dans les chances du leader du Pds d’accéder au fauteuil occupé par son père pendant douze ans : son absence.
Choix délibéré ? Menaces de la contrainte par corps ? Dispositions secrètes du « Protocole » Qatari, comme on pourrait nommer les termes de l’arrangement lui ayant permis d’être gracié ? Depuis que le procureur général de cet émirat est venu le chercher à Dakar, dans la nuit du 24 juin 2016, soit sept ans et huit mois, Karim Wade n’a pas posé les pieds au Sénégal, se contentant des réseaux sociaux pour communiquer. Quand le Président Macky Sall a lancé en octobre 2022 un appel au dialogue, il a fait boycotter les travaux par Pds et exigé au contraire une révision de son procès. Erreur ? On le dit en tout cas bien établi au Qatar, fort de sa proximité avec l’émir, dit-on, et très actif dans sa compétence, l’ingénierie financières. Au plan politique, ni l’aura de son père, ni l’appareil du Pds, pourtant doté d’un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, encore moins les perceptions positives que l’électorat sénégalais déploie souvent avec les « bannis », ne lui ont permis de faire avec justesse le lien avec l’élection présidentielle et les engagements « physiques et émotionnels » qu’elle implique.