Publié le 8 Feb 2024 - 11:50
REGARD DE LA PRESSE FRANCOPHONE ET INTERNATIONALE SUR LA CRISE AU SÉNÉGAL

 Le mythe écorné de la démocratie sénégalaise

 

Plusieurs titres incitatifs, parfois même à charge ou caricaturaux ont fleuri dans la presse francophone et internationale, à la suite du report de la Présidentielle. Ce traitement parfois alarmiste semble dénoter une certaine crainte de basculement du Sénégal dans le chaos.

 

Le Sénégal est à nouveau au cœur de l’actualité internationale. L’information dicte sa loi, malgré la loi du mort-kilomètre. Le report de la Présidentielle a déclenché un tsunami médiatique dans les médias français. Une série de plateaux spéciaux a été dédiée à ce pays de l’Afrique de l’Ouest considéré comme une vitrine de la démocratie.

Dans la presse audiovisuelle française, des heures d’émission en lien avec la crise politique au Sénégal ont été visionnées par des millions de téléspectateurs. Rien que la radio RFI et la chaîne de télévision France 24 ont produit 25 contenus, du 3 au 6 février, à travers des articles, des chroniques, des reportages, des invités et des émissions.

Cet intérêt particulier de la presse française sur le Sénégal s’explique par diverses raisons : les relations historiques et économiques qui lient les deux pays ainsi que les mutations politiques et économiques qui s’opèrent dans le continent, en particulier en Afrique francophone.

Beaucoup d’opposants ou observateurs estiment, à tort ou à raison, que les médias de l’Hexagone sont politiquement corrects envers les différents gouvernements qui se sont succédé au pouvoir.  

En effet, pour ces premiers, le traitement de l'information est défini non pas par les journalistes, mais par les pouvoirs en place en fonction de priorités qui n’ont en général rien à voir avec le droit ou l'intérêt des peuples africains.

Cependant, en juillet 2023, le ministre de la Communication du Sénégal, Moussa Bocar Thiam, avait accusé la chaîne française France24 d’un traitement tendancieux de l’actualité politique au Sénégal, surtout après les émeutes de juin 2023. Mais le gouvernement n’a pas pris le risque de se brouiller entièrement avec la presse française. Aucun signal n’a été coupé et l’État sénégalais n’hésite pas à envoyer le porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofana, faire entendre la position du gouvernement sur les plateaux télé français.

Un fait pas anodin qui méritait plus de réflexion sur les liens entre la presse française et les pouvoirs sénégalais.

‘’Le Monde’’ : Le jeu dangereux de Macky Sall

Pourtant, ces derniers jours, ou même durant la crise de juin 2023, les angles de traitement respectifs des médias de la gauche ou de la droite sont perçus foncièrement critiques envers le régime de Macky Sall.  En voici quelques titres dans l’audiovisuel : ‘’Sénégal : la fin de la stabilité ?’’ ‘’La démocratie en suspens ?’’ ‘’Le Sénégal s’enlise dans la crise.’’

Une posture plus radicale et un ton ferme qui suscitent moult interrogations. Ce qui est indéniable, c’est que les médias français sont très durs avec Macky Sall.

Un constat qui fait réagir Ngagne Demba Fall, enseignant-chercheur en sciences de l'information et de la communication à l’université Grenoble Alpes dans les colonnes du journal. ‘’Le traitement de ces événements relatifs à cette crise politico-sociale est assez présent au niveau des médias français : à la radio comme à la télé. L’information est en boucle. Ce qui n'était pas le cas par rapport aux autres actualités. Ce qui est particulier, c’est que plusieurs médias ont nettement pris position contre Macky Sall’’.

Dans l’émission ‘’Le Temps de l’Info’’, les chroniqueurs de LCI, 2e chaîne d’info de France, s’interrogent avec un titre provocateur sur la nouvelle posture du chef de l’État : ‘’Macky Sall apprenti dictateur.’’

D’autres télévisions et radios comme Europe 1, TV5 Monde ou Arte ont également décrypté ces événements sous un angle dénonciateur. Dans leur ensemble, elles condamnent ce report électoral sans équivoque.

Quant à la presse écrite qui a plus de recul critique sur les événements, elle a été beaucoup plus ferme, notamment les journaux de la gauche réputés pour leur caractère progressiste et satirique.

‘’Sénégal : le jeu dangereux de Macky Sall’’

On peut citer ‘’Le canard enchaîné’’, ‘’L’Humanité’’ ou ‘’la Tribune’’. L’hebdomadaire français qui a titré ‘’Le report de l’angoisse’’ met en garde l’Élysée et les ressortissants français qui risquent de subir les effets de ce climat politique.  

Le même ton est noté chez les autres périodiques de la droite : ‘’La Croix’’, ‘’L’Opinion’’ ou ‘’Le Monde’’, jadis très critiqué par l’opposant Ousmane Sonko. Le journal a publié un éditorial pour manifester son désaccord profond avec Macky Sall. ‘’Sénégal : le jeu dangereux de Macky Sall’’, un titre assez évocateur de prise de distance.

‘’C’est très rare de voir un éditorial accordé à l’actualité africaine, voire sénégalaise. Ce qui revient à dire que les journalistes et les responsables de ce journal ont pris une position assez affirmée et assez claire pour dénoncer, effectivement, le report de l'élection présidentielle’’, renchérit Ngagne Demba Fall.

Dans le continent africain, le factuel a pris le dessus sur les genres commentés. ‘’Le Faso’’ et le quotidien algérien ‘’El Watan’’ se sont contentés des comptes rendus des dernières évolutions de ce report électoral.

Pour sa part, le premier hebdomadaire francophone en Afrique, ‘’Jeune Afrique’’, à travers un édito signé par son directeur de publication Marwane Ben Yahmed, a sévèrement blâmé les personnages politiques qu’il qualifie d’apprentis-sorciers.

Si les médias ont depuis leur origine joué un rôle clef dans le processus démocratique, il demeure qu'ils sont parfois taxés de favoritisme et de manipulations aux services des États ou des multinationales.

AMADOU CAMARA GUÈYE
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