‘’On ne peut pas laisser faire et accepter les dérives autoritaires de Macky Sall’’
Arnaud Le Gall, député de la France insoumise, s'est confié sans langue de bois à notre quotidien ‘’EnQuête’’. À travers ses prises de position audacieuses et ses appels à la justice, il ne cherche pas seulement à attirer l'attention sur les abus de pouvoir, mais aspire également à éveiller une conscience collective autour des valeurs démocratiques et de l'état de droit en Afrique. Entretien.
Le 3 février 2024, le président de la République a reporté l’élection présidentielle sine die. Il a appelé au dialogue, malgré les injonctions du Conseil constitutionnel d’organiser un scrutin dans les meilleurs délais. En tant que membre de la Commission des affaires étrangères du Parlement français, pensez-vous, si la crise persiste, que des sanctions puissent être prises contre le régime de Macky Sall ?
Je ne me prononcerai pas, à ce stade, sur ces questions. Il faut qu’il y ait une pression sur Macky Sall et elle doit être exercée en premier lieu par le peuple sénégalais. Notre position est très simple. Nous n’avons pas à décider qui devra être le prochain président de la République et à choisir les programmes politiques.
Toutefois, nous devons soutenir le peuple sénégalais et s’assurer qu’il choisisse dans les bonnes conditions son futur chef d’État.
A ce stade, les plus grandes garanties sur l’avenir de la démocratie sénégalaise sont venues des Sénégalais. Le peuple sénégalais s’est mobilisé en force avec le soutien venu de l’étranger, ils ont pu alerter Macky Sall qu’il va dans l’impasse. Nous prenons acte du fait qu’il a reporté l’élection présidentielle jusqu’en décembre 2024. Il faut rester extrêmement vigilant pour que les élections se tiennent le plus rapidement possible. Mais on note que jusqu’à présent, il n’a pas annoncé de date.
Le Parlement français peut-il exercer des moyens de pression sur le gouvernement sénégalais ?
(Longue pause). On peut très bien imaginer remettre en question les coopérations sécuritaires ou d’autres formes de partenariat. Le message doit être très clair. On ne peut pas persister dans l’indignation sélective, comme le cas au Tchad où on adoube le fils d’Idriss Deby et au Mali on dénonce un coup d’État. C’est un message désastreux de l’ancienne puissance coloniale qui est perçue comme hypocrite.
Dans le cas du Sénégal, il est évident qu’on ne peut pas laisser faire et accepter les dérives autoritaires de Macky Sall, parce que le Sénégal est la plus ancienne démocratie de la sous-région. C’est un pilier essentiel pour la stabilité de cette zone.
Nous n’avons pas de réflexe sanction, car c’est un mécanisme complexe. Mais au Parlement, nous avons soulevé le débat. Il y a un an, la France a proposé une nouvelle convention d’extradition, à la demande de Macky Sall. Elle traitait d’une question très vague de terrorisme. Au même moment, Macky Sall accusait son opposition politique de terrorisme. Nous avons imposé un débat à l’Assemblée nationale en séance plénière. Malheureusement, le texte est passé, car les députés ‘’macroniste’’ (droite) ont voté la loi sans débat. C’est le message que nous pouvons passer pour que les Français sachent ce qui se passe au Sénégal. Je me rappelle avoir entendu Sonko dire que toute la France ne soutient pas le pouvoir autoritaire. Mais on ne peut pas exclure un nombre de sanctions si les dérives autoritaires persistent.
Toutefois, je reconnais que ce n’est pas ma priorité ni ma vision.
Quel regard portez-vous sur l'attitude du Quai d'Orsay face au report de la Présidentielle de la part de Macky Sall ?
Le Quai d’Orsay a envoyé un message très diplomatique et assez modéré. Il n’est pas resté silencieux dans cette affaire. Il a dit très clairement qu’il voulait que les élections se tiennent le plus rapidement possible. Je suppose qu’il y a eu beaucoup de discussions en coulisse alertant Macky Sall sur les dangers auxquels il s’expose. Mais nous, on va plus loin, on exige que le scrutin soit organisé plus vite, mais avec les candidats validés par le Conseil constitutionnel. Ce qui se joue dans cette période, c’est l’intégration de certains candidats comme Karim Wade et empêcher le Pastef de gagner. Mais on ne rentre pas dans ces manœuvres politiques sénégalaises. Ce qui nous intéresse, c’est que les candidats qui représentent une large partie de l’opinion sénégalaise puissent s’assurer de participer au scrutin comme Bassirou Diomaye Faye, le secrétaire général du Pastef. Il est inadmissible qu’il ne participe pas aux élections. Même s’il est toujours en prison, il est toujours légitime. La manœuvre du pouvoir, c’est attendre qu’il soit condamné pour qu’il soit inéligible. On pourrait même demander qu’Ousmane Sonko soit rétabli dans la course.
Nous sommes plus exigeants que le Quai d’Orsay. Mais notons que ce dernier n’est pas resté silencieux, il n’a pas applaudi Macky Sall des deux mains. C’est faire un mauvais procès en passant que la France soutient Macky Sall dans sa démarche autoritaire. C’est beaucoup plus complexe que cela.
Beaucoup de Sénégalais pensent que le gouvernement français est complice des dérives autoritaires au Sénégal. Cette situation a créé un sentiment anti-français, des manifestants ont attaqué des magasins Auchan et des stations Total. Est-ce un échec de la politique française en Afrique ?
Il faudrait analyser pays par pays, parce qu’on parle beaucoup de la présence française en Afrique, mais les réalités sont différentes. Par exemple, en RDC, il y a moins de colère contre la France qu’au Sahel. J’y étais, il y a quelques mois. Mais il faut reconnaître que la politique de Macron et celle de son prédécesseur, François Hollande, a été catastrophique.
Nous voulons une révision globale de la politique étrangère de la France sur le continent. Je ne parlerai pas de politique africaine de la France, mais de politique étrangère de la France. Au Sahel, c’est un désastre, on s’est enfermé dans une vision purement militaire. On n’avait aucune chance de résoudre quoi que ce soit, parce qu’on ne pouvait pas résoudre les crises sociales, politiques économiques, sécuritaires et écologiques uniquement par une réponse militaire, surtout qu’on était l’ancienne puissance coloniale.
Depuis 2013, la France insoumise avait alerté que cette opération Barkhane était une lourde erreur. Au début, on était vu comme des libérateurs et au bout d’un moment, comme il n’y avait que des solutions militaires, c’était l’enlisement et l’opinion s’est retournée contre nous, accusant la France d’armer ou de payer les djihadistes. Ce qui est faux et injuste.
La France a été vue, à tort, comme le libérateur face aux groupes armés. C’était une absurdité. Elle n’aurait pas dû le faire, elle ne pouvait pas le faire.
Dans le cas du Sénégal, la France a tardé à réagir. Ce qui donnait l’impression qu’on soutenait Macky Sall. Les réactions de la France face à la répression féroce inédite au Sénégal sont trop timides et faibles.
On ne peut pas dire qu’elle (France) a soutenu le régime de Macky Sall de manière inconditionnelle et directe. Même Sonko n’avait pas un discours farouchement opposé à la France, mais un discours contre une certaine politique de la France. C’est pour cela que les magasins Auchan étaient visés.
C’est très important de faire la différence entre la France et une certaine politique de l’Hexagone. La politique étrangère est très peu débattue. Tout est défini par le président de la République. L’immense majorité des Français ne sont pas responsables des politiques menées par leur pays. Ousmane Sonko a très bien compris cela. Il a un discours nuancé qui a permis de protéger les ressortissants français, même s’ils n’étaient pas menacés. Il n’y a jamais eu la moindre agression. Cela pouvait laisser craindre qu’à terme des personnes physiques soient impactées.
Après le report de l’élection présidentielle, vous avez twitté, je vous cite : ‘’Les atermoiements diplomatiques de Macron montrent que France n’a toujours pas tiré les conséquences de son égarement au Sahel.’’ Que vouliez-vous dire ?
Je voulais pointer les deux poids deux mesures dans la manière de s’exprimer et d’agir. Dans le cadre du Sahel, on a eu des coups d’État qui ont entraîné des ruptures diplomatiques immédiates, des sanctions, la suppression de l’aide publique au développement. Cela a été une erreur. Il fallait maintenir des canaux de discussions. Dans le cadre du Sénégal, on avait affaire à une tentative de coup d’État constitutionnel de la part de Macky Sall et la France a réagi de manière très subtile.
Comment appréciez-vous ce discours souverainiste en vogue en Afrique subsaharienne ? Pensez-vous que cela puisse sonner la fin de la Françafrique ?
Sans vouloir rentrer dans les détails techniques et historiques, la Françafrique telle qu’elle a été pensée après la colonisation comme un système intégré parfaitement cohérent avec ce dispositif de coopération civile et militaire, n’existe plus. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de volonté de domination ou des logiques néocoloniales. On se rend compte qu’il y a des intérêts purement privés, une vision erratique sans stratégie claire. Je ne suis pas nostalgique de la Françafrique, mais il y avait une forme de cohérence et une vision stratégique.
Dans l’absolu, c’est une bonne nouvelle, ces discours sur la souveraineté en Afrique. C’est l’ère des peuples. C’est à encourager. Les peuples veulent assurer leur souveraineté et accéder aux droits universels : l’accès à l’eau et au travail. C’est une demande qu’on trouve partout dans le monde.
Mais il y a une confusion entre une vision souverainiste et une vision identitaire agitée par des hommes comme Kemi Seba très présent sur la toile. De mon point de vue, il (Kémi Séba) ne s’ancre pas profondément dans les aspirations profondes des Africains. Il promeut un discours identitaire qui oppose les Blancs et les Noirs ou les nations. Alors que le discours sur la souveraineté, c’est vraiment le peuple en action qui devient acteur de sa propre vie. Nous ne pouvons qu’encourager cela. Nous avons une diplomatie non alignée et altermondialiste. Nous pensons qu’il faudrait que les agriculteurs africains puissent développer beaucoup plus des productions locales sur des marchés locaux avec une plus forte valeur ajoutée plutôt que de se voir submerger par des importations qui viennent les empêcher d’écouler leurs produits.
Je suis d’accord sur les discours sur la souveraineté, mais pas les discours identitaires qui cherchent des boucs émissaires partout. N’est pas Sankara qui veut. Il y a en a beaucoup qui se réclament de lui, mais ils font le contraire.
Il est fondamental que les Français comprennent une chose : l’avenir du monde se joue en partie en Afrique et l’avenir de la France et de plusieurs pays africains est entremêlé. On ne peut pas séparer des gens qui ont vécu des dizaines d’années. Nos sociétés ont un avenir commun. C’est pourquoi on ne doit pas se désintéresser de ce qui se passe en Afrique.
Pourtant, Ousmane Sonko se réclame de Sankara…
Encore une fois, ce n’est pas à nous de choisir pour le peuple sénégalais. On a échangé avec lui (Ousmane Sonko). C’est quelqu’un qui a une vision de l’avenir de son pays et des enjeux économiques, de la place de l’Afrique dans la mondialisation et du système de production internationale. Il a une vision très précise et très informée, c’est un vrai intellectuel. Mais cela ne veut pas dire qu’on est d’accord avec lui sur toutes les questions.
Il y a quelques jours, Jean-Luc Mélenchon a défilé à côté du député de la diaspora, membre du Pastef, Aliou Sall. Quelles sont les relations entre la France insoumise et le Pastef ?
Nous avons des relations de partis qui échangent sur les réalités dans leurs pays respectifs, dans le respect strict des programmes de chacun et de la souveraineté de chacun. Mais nous avons des relations de solidarité face à la dérive autoritaire de Macky Sall.
Nous n’avons aucune relation autre. Nous n’avions pas de programmes communs ou similaires, encore moins de relations matérielles. Nous avons une relation de stricte indépendance et de respect, et cela remonte au début de la répression au Sénégal où on s’est exprimé, il y a trois ans. Je rappelle qu’il a eu une rencontre visioconférence entre Mélenchon et Ousmane Sonko.
La guerre israélo-palestinienne a profondément divisé la société française, y compris la classe politique. Pensez-vous que la diplomatie française a perdu sa crédibilité sur cette crise régionale ?
Malheureusement, la diplomatie française a perdu beaucoup de crédit vis-à-vis des pays qu’on appelle le Sud global, parce qu’elle a donné l’impression d’une indignation sélective pensant que les morts ne valent pas tous. Alors qu’elle fait partie des pays du chantre du droit international qui exigerait un cessez-le-feu. La France a attendu un mois avant d’exiger cela d’une part et d’autre part, elle ne prend de mesure concrète avec d’autres pays pour que ce cessez-le-feu devienne une réalité.
Nous avons essayé d’être une autre voix de la France dans cette guerre. Nous avons été ciblés très injustement et traités d’antisémites. On ne peut répondre un massacre par un massacre. Nous avons affaire à une guerre qui présente des risques génocidaires, selon la Cour internationale de justice. On ne peut pas rester silencieux. C’est un conflit d’une ampleur rarement vue. Il y a plus de morts en quatre mois et demi à Gaza qu’en quatre ans durant le siège de Sarajevo et Bosnie. C’était l’un des pires souvenirs après la Seconde Guerre mondiale.
(…) La France avait une volonté de non-alignement, une parole indépendante des États-Unis qui était entendue. Là, il y a un réalignement sur une vision occidentale qu’on ne peut pas qualifier. En vérité, cette vision est devenue un symbole au choc des civilisations. On se range un peu vers Israël parce qu’il incarne la civilisation occidentale au Proche-Orient.
Il faut que ces États sachent que le droit international est fait pour tout le monde. Nous sommes les premiers à dénoncer l’invasion russe en Ukraine, mais ici le problème, c’est que la vision occidentale, c’est puisque Israël est une démocratie contrairement à la Russie, il peut faire tout ce qu’il veut.
C’est pourquoi notre boussole en la matière, c’est le droit international qui doit être appliqué de manière indifférenciée quels que soient les acteurs en question et que les coupables soient jugés pour qu’il ait une possibilité de réconciliation.
AMADOU CAMARA GUEYE