Sonko, le discours de politique étrangère
Le Premier ministre Ousmane Sonko a largement abordé sa vision concernant les relations entre l’Afrique et l’Europe, notamment celles entre la France et le Sénégal. Souverainiste, il veut notamment que le pays se débarrasse des bases militaires étrangères. Le leader du parti Pastef/Les patriotes coanimait une conférence, hier, à Dakar, avec Jean-Luc Mélenchon de La France Insoumise.
Le Sénégal va-t-il se défaire des bases militaires étrangères, notamment celle de la France ? C’est l’un des vœux les plus chers au parti Pastef/Les patriotes. Dans le cadre du premier contact entre la délégation de La France insoumise, conduite par Jean-Luc Mélenchon accompagné de parlementaires et membres de son parti, et celle d’Ousmane Sonko, ce dernier a évoqué, hier, cette question. La rencontre portait sur l’avenir des relations Afrique-Europe.
Ainsi, sur la question sécuritaire, le Premier ministre sénégalais note que la présence de bases militaires étrangères au Sénégal suscite des interrogations légitimes. "Plus de 60 ans après les indépendances, nous devons nous interroger sur les raisons pour lesquelles l’armée française, par exemple, bénéficie toujours de plusieurs bases militaires dans nos pays et sur l'impact de cette présence sur notre souveraineté nationale et notre autonomie stratégique", a déclaré Ousmane Sonko.
Il réitère la volonté du Sénégal de disposer de lui-même, une volonté qu’il estime incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères au Sénégal. Et il souligne que ceci ne remet pas en question les accords de défense.
En effet, le Sénégal entretient des accords de défense avec de nombreux pays tels que les États-Unis et la Grande-Bretagne. "On peut avoir des accords de défense sans que cela justifie que le tiers de la région de Dakar soit occupé aujourd'hui par des garnisons étrangères", a-t-il soutenu.
D’ailleurs, soulignant qu’il est contre les coups d’État, Ousmane Sonko soutient que les Occidentaux ne doivent pas s'immiscer dans les affaires internes des pays. Ainsi, il compte apporter son soutien aux dirigeants du Mali, du Niger et du Burkina Faso. "Nous ne laisserons pas nos frères du Sahel. Et nous ferons tout ce qu'il faut pour renforcer les liens et leur apporter notre solidarité", a-t-il fait savoir. "Ceux qui condamnent des régimes considérés comme des régimes militaires ou dictatoriaux sont pourtant enclins à soutenir d’autres régimes non démocratiques, lorsque cela sert leurs intérêts, comme dans les négociations pétrolières ou commerciales", a-t-il dénoncé.
Il a également pointé la manière dont la CEDEAO a sanctionné les pays dont les nouveaux dirigeants sont arrivés au pouvoir par le biais de coups d’État. "Il est inadmissible que des Africains fassent l'objet d'ostracisme et d'exclusion en terre africaine. Il est également inacceptable que des problèmes politiques africains soient réglés par des Africains sur ordre extérieur", a dénoncé le patriote en chef.
Soutien aux nouveaux dirigeants africains dits putschistes
Le sentiment anti-français ou anti-occidental exprimé par une large frange de l’opinion publique africaine. "Cet état de fait, souvent imputé, à tort ou à raison, par la majorité des élites dirigeantes occidentales à l'activisme d’une nouvelle élite populiste combiné aux manipulations d’une nouvelle puissance conquérante, n’est pas nouveau. C’est un raccourci simpliste", estime Ousmane Sonko. Qui ajoute : "Le raccourci qui a été trouvé pour expliquer ce sentiment, c’est que les Africains seraient manipulés par de nouvelles puissances : la Russie, la Chine, etc. Que de nouvelles élites politiques populistes manipulent les masses, notamment la jeunesse. Ce raisonnement infantilisant ne correspond pas à la réalité. Nous avons dépassé l'époque où des Africains pouvaient se laisser manipuler par quelque peuple que ce soit."
Ousmane Sonko se rappelle qu’avec la France, lui et ses alliés aujourd'hui au pouvoir avaient été dépeints sous les traits d’un mouvement terroriste, islamiste, violent, populiste, antioccidental, pro-russe. "La vérité est que beaucoup de gouvernants européens et singulièrement français s'accommodaient mal de notre discours politique souverainiste et se fixaient comme objectif de l’entraver", assure Sonko. "Les postures que nous avons défendues jusqu’à présent en tant qu'opposant seront exactement les mêmes, aujourd'hui que nous sommes au pouvoir", prévient-il.
Refondation des relations entre l’Afrique et l’Europe
Ainsi, le président de Pastef appelle à la refondation des relations entre l’Afrique et l’Europe. Le modèle souhaité par les patriotes repose sur une mobilisation optimale des ressources endogènes. Il souligne que la décolonisation est un processus complexe. Pour lui, les liens entre le continent africain et l’Europe sont empreints d’une histoire complexe faite de souffrances et d'aspirations. "L'Afrique, berceau de l’humanité, a été trop souvent le théâtre d’une exploitation injuste dictée par des intérêts extérieurs", fait remarquer Ousmane Sonko. À ses yeux, "aujourd'hui, nous nous trouvons à un tournant décisif où la nécessité de réévaluer ces schémas historiques et de promouvoir un partenariat équitable s'impose sans précédent".
Il a saisi la tribune d’hier pour souligner "l’impératif" d'adopter une approche nuancée et inclusive dans notre analyse des relations Afrique-Europe. "Trop souvent, les discours simplistes occultent la richesse des interactions passées et présentes entre nos continents. Reconnaître les erreurs du passé tout en saisissant les opportunités de collaboration future constitue un impératif moral et politique", dit-il.
"Nous devons également, poursuit-il, faire preuve de clairvoyance face aux défis contemporains qui jalonnent nos échanges intercontinentaux. Des enjeux cruciaux tels que la migration, le commerce équitable sans oublier la problématique des accords de partenariats économiques". Il note que la lutte contre le racisme, la sécurité, le transfert de technologie et la lutte contre le changement climatique requièrent une approche concertée et résolue. Et d’après lui, seule une volonté commune de dialogue et de partenariat authentique permettra de surmonter ces défis et de construire un avenir meilleur pour nos peuples.
"Cela suppose un dialogue franc, fondé sur le respect mutuel et la reconnaissance des aspirations mutuelles de chaque nation à la souveraineté et au développement durable", précise-t-il.
Ousmane Sonko relève que "les relations entre l’Afrique et la France (et l’Europe de manière générale) ne sont pas toujours fondées sur la légalité, l’équité et le respect mutuel".
Sur la question économique, il mise notamment sur l'exploitation de nos ressources naturelles et rejette l’endettement. "Si vous mettez en parallèle ou en contradiction cette dette par rapport à ce que nous perdons dans la relation qui peut se jouer dans l’exploitation de nos ressources naturelles à travers les clauses des marchés publics, je puis vous assurer que nous perdons 10 ou 20 fois plus", explique-t-il.
De ce fait, il appelle à la renégociation de toutes les conventions qui ont été signées de manière "léonine et qui sont au détriment de notre peuple".
Par rapport à la monnaie, il a encore fait part de la volonté du nouveau régime de mettre en place une monnaie commune en Afrique de l’Ouest, rejetant le franc CFA.
"Nous avons un continent à inspirer"
"Cela fait à peine un mois que nous sommes aux affaires. Un mois de travail intense, mais ce rythme de travail se poursuivra pour les 60 premiers mois. Un travail qui nous a permis d’évaluer l'ampleur de la tâche, mais également l'ampleur des dégâts qui ont été causés. Un mois qui nous a convaincus encore plus qu’avant de venir au pouvoir que rien ne nous sera impossible", a soutenu le PM. "Au-delà d’un pays à transformer, nous avons un continent à inspirer. Je crois que nous l’avons jusqu’à présent inspiré dans le parcours que nous avons eu en tant qu’opposant politique. Il nous faut désormais inspirer ce continent par notre capacité à faire de ces responsabilités qui nous ont été confiées des œuvres utiles pour le peuple sénégalais et les peuples africains", a-t-il poursuivi, heureux d’avoir accueilli Jean-Luc Mélenchon au Sénégal.
BABACAR SY SEYE