Publié le 12 Oct 2012 - 20:05
INTERVIEW CROISÉE SUR LA VISITE DU PRÉSIDENT FRANÇOIS HOLLANDE A DAKAR (1ère Partie)

Amath Dansokho et Fodé Sylla se prononcent

 

 

L'un est ministre d'Etat, communiste qui s'est signalé ces dernières décennies dans la lutte contre l'impérialisme, l'autre est franco-sénégalais, ancien président de Sos-Racisme, qui fut aussi député européen. L'un, c'est Amath Dansokho, l'autre Fodé Sylla. Prenant prétexte de la visite-éclair du chef de l'Etat français, François Hollande, EnQuête est allé à la rencontre de ces deux fortes personnalités. Pour les interroger sur les nouveaux enjeux des relations entre le Sénégal et la France qui viennent tous les deux de connaître des alternances, avec l'arrivée de deux nouvelles figures à la tête de ces pays. Amath Dansokho et Fodé Sylla évoquent aussi les questions de géopolitiques, parlent d'histoire, de la Françafrique, d'Economie et de l'avenir. Sans détours...

 

M. Fodé Sylla, vous avez eu à assumer des charges importantes en France, comme celle de député. Demain, le président français sera à Dakar. Quelle signification, la visite de François Hollande revêt-elle à vos yeux, 5 ans après celle de Nicolas Sarkozy  ?

 

Fodé Sylla : Je suis très heureux que le président français ait choisi le Sénégal pour sa première visite sur le continent, en route vers le sommet de la Francophonie à Kinshasa. Cette visite intervient à un moment extrêmement important. Le Sénégal et les Sénégalais comme les Français viennent de faire preuve de quelque chose d'essentiel, c'est l'alternance démocratique. Il y a deux présidents qui arrivent, avec deux styles. Ce que je reconnais à Macky Sall et à François Hollande, c'est d'avoir parcouru, sillonné et bien connu leur pays. C'est aussi leurs priorités qui me paraissent importantes. François Hollande, dès le début, l'a dit : il y a une violence du libéralisme sauvage et une force des marchés qui entraînent les peuples occidentaux dans des catastrophes quotidiennes. Et il y a ici même de grands défis à relever, pour ne parler que des inondations. Donc, deux nouveaux présidents avec des défis importants. Et c'est bien que la France ait choisi le Sénégal comme premier pays pour sa visite.

 

Mais quelle signification ?

 

Fodé Sylla : Je pense que nous avons tous en tête ce désastreux discours de Sarkozy qui a offensé les Sénégalais, les Africains et en général, tous les hommes de culture, les gens qui sont attachés au respect entre les civilisations. Le discours de Sarkozy est apparu comme une rupture dans des relations de respect entre la France et le Sénégal, entre le Nord et le Sud. Pour moi, la première grande vertu de cette visite au Sénégal, même s'il ne revient pas sur le discours de Sarkozy, va être de pouvoir reparler de l'Afrique d'une autre façon.

 

Dakar est donc un prétexte pour s'adresser au public africain de façon plus large ?

 

Fodé Sylla : Je ne sais si c'est un prétexte, mais à mon avis, de Dakar, il peut continuer de délivrer des messages essentiels. Il faut du respect dans les relations nord-sud. Des peuples de par le monde, à cause de cette crise et de la toute puissance de l'argent qui est roi, il y a nécessité de ramener l'être humain au centre de nos préoccupations. Il y a deux autres sujets très importants. C'est la question de l'immigration. Aujourd'hui, il faut aider les peuples du Sud à se stabiliser. Et pour cela, il faut quelle politique d'immigration ? Macky Sall dit : ''Ma priorité, c'est l'agriculture''. Moi j'applaudis pour dire voilà, une façon de stabiliser les populations.

 

 

 

Amath Dansokho : Pour moi, c'est d'abord une tradition. Tous les présidents français, jusqu'ici, ont honoré le Sénégal dans leurs premiers séjours en Afrique. Je pense qu'il y a une seule exception où un président français est allé au Maroc avant le Sénégal. Et je ne suis même pas sûr. Il y a toujours le voyage inaugural africain. Il y a la colonisation certes, mais c'est aussi l’histoire qui a tissé des relations très fortes entre la France et le Sénégal. Je le dis avec d'autant plus de liberté que dans ma jeunesse, et même plus tard, je ne me suis pas fait faute de travailler à la mobilisation des Sénégalais contre par exemple la présence militaire française ici. Je dois dire que cela n'a jamais réussi. Il n'y a jamais eu de clash humain entre la France et le Sénégal. De ce point de vue, notre pays n'a pas d'équivalent. La Côte d'Ivoire, on l'a vue dans la décennie 90, l'histoire des passeports a dégénéré là-bas. Cela s'est traduit par des incendies de boîtes de nuit où étaient des Français. Au Sénégal, le mouvement national qui avait pourtant le soutien des forces qui réclamaient l'indépendance, n'a jamais réussi à mobiliser les Sénégalais contre la France.

 

Mais tout n'a pas été que lisse...

 

A.D : Il y a eu un clash une fois en 58, je venais d'arriver à l'université. Il y a eu un clash entre les étudiants sénégalais et les parachutistes français. Parce que dès le début, ces gens étaient contre le coup d'Alger. J'étais pour l'indépendance. Un jour, ils passaient dans leur camion, il y a eu des chahuts. Les parachutistes sont descendus, ils ont poursuivi les étudiants jusque dans leurs chambres. C'était en novembre 1958. c'est dire que les liens entre le Sénégal et la France sont très forts. Ça, c'est l'histoire. Je ne suis pas contre ces liens, je suis contre l'exploitation de nos peuples par l'impérialisme français. Ce n'est pas le peuple français qui est responsable de cela. Il faut savoir où se situe exactement la ligne de clivage d'une lutte pour notre émancipation et les liens que l'histoire a tissés entre le Sénégal et la France. Je suis convaincu que si on veut les briser aujourd'hui, ça se paiera très cher.

 

Aujourd'hui, est-ce que le contexte n'a pas changé ? Il y a une forte population de Sénégalais en France. Il y a aussi le contexte international qui a beaucoup changé avec la situation au Mali. Les groupes islamiques qui contrôlent le nord-Mali. Est-ce que ce n'est pas cela qui motive Hollande ?

 

A.D : c'est une évidence que la France a un grand intérêt dans la crise malienne. D'abord, c'est la seule grande puissance à rassembler les États africains dans leur globalité. Ce qui se passe au Mali l'intéresse d'autant plus que c'est l'ancienne colonie qui est dans des contrats de défense avec nos États. Et puis, il y a des intérêts économiques au Mali. Parce que c'est aussi le contrôle d'une zone où il y a beaucoup de pétrole. Qu'est-ce que le Qatar vient faire là-bas ? Ce n'est pas pour des raisons religieuses. Le Qatar pense que c'est une puissance internationale et veut disposer d'une force dans une zone où il y a beaucoup de ressources. La zone du Mali, de l'avis général, recèle d'énormément de richesses pétrolières.

 

Fodé Sylla  : Le ministre a raison sur trois points. Premièrement, cette zone-là, la puissance occidentale qui en a la charge historique, c'est la France. Qui plus est, le président est en route vers un sommet de la francophonie et c'est une zone francophone. Il y a le Mali, il y a le Niger à côté. Qui dit partition du Mali va immanquablement cautionner celle du Niger, vu que c'est la même configuration au Niger. Il s'y ajoute que nous avons des intérêts comme Areva. Si donc on laisse faire ces hurluberlus qui disent agir au nom de la religion, alors qu'on sait les intérêts qu'il y a derrière, vu les sommes qu'ils réclament pour libérer les otages, apercevoir qu'ils ont d'autres intérêts que l'Islam, on risque d'assister à la partition d'autres endroits dans la région. Enfin, il y a de plus en plus une pénétration dans cette zone, je ne veux parler que du projet allemand du solaire qui va toucher le Maghreb et la Méditerranée et qu'il y a de plus en plus de puissances qui s'intéressent à la zone. La France qui, historiquement est là, doit absolument préserver ses intérêts, pour des raisons très simples. Je crois que la France a beaucoup de défauts. Elle n'a pas toujours bien traité l'Afrique. Cela a souvent été des sentiments soit de paternalisme, soit le jeu de la carotte et du bâton. Mais, elle a quelques normes sociales. Je pense que la France a toute sa place, mais à force d'abandonner cette partie de l'Afrique, elle perd sa place. Comme on dit : ''Qui va à la chasse perd sa place''. De Gaulle déjà parlait du grand Sahara qu'il ne fallait pas abandonner. Pour une fois, je pense que la résolution qui a été prise aux Nations-Unies est équilibrée. Elle dit : nous irons derrière les pays africains. Je pense qu'il y a une forme de respect par rapport à ce que disait le ministre d'État Dansokho, la France conquérante qui vient et qui dit : voilà ce qu'on va faire. Les pays africains sont maintenant majeurs et la France s'alignera derrière eux.

 

Quels intérêts le Sénégal (et l'Afrique d'une manière générale) peut-il avoir à jouer le jeu français ou même européen, dans un contexte où l'Europe est en crise, où on assiste à l'émergence de nouvelles puissances économiques. Est-ce qu'on a intérêt à garder ce cordon ombilical avec la France ?

 

 

Fodé Sylla : Il n'a jamais été coupé. Donc, on l'a ce cordon ombilical. La question est comment faire qu'elle se fasse dans le respect, dans ce que disent les Américains : le win-win (gagnant-gagnant). J'ai eu la chance à travers quelques personnalités africaines comme Baba Bali au Mali, le ministre Amath Dansokho, qui m'ont fait connaître ces dernières années l'Afrique, à comprendre que jusqu'à présent, si la France doit porter des revendications fortes pour garder ce cordon ombilical, il faut régler certains problèmes. Je ne comprends pas que dans des instances internationales, l'Afrique n'ait pas son mot à dire. Je ne comprends pas qu'il n'y ait pas un seul pays africain qui siège aux Nations-unies. Je ne comprends pas que les prix des matières premières soient fixés un jour à Londres, un autre à Boston, ailleurs qu'en Afrique. Je ne comprends aujourd'hui qu'il y ait des entreprises qui signent des contrats de 50 ans, 90 ans. Ce n'est plus normal. Il faut qu'on reprenne une sorte de New deal avec la France. On a le cordon ombilical. Que des socialistes, parce qu'ils ont une autre idée de l'homme, de la société, ne considèrent pas l'Afrique comme une terre qu'on peut aller de temps en temps piller. Avoir ces quelques élites avec qui on traite.

 

 

PROPOS RECUEILLIS PAR MAMADOU WANE ET GASTON COLY

 

A suivre....

 

 

 

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