Publié le 17 Nov 2012 - 08:00
ENTRETIEN AVEC... XIA HUANG (AMBASSADEUR DE CHINE AU SÉNÉGAL)(2ème Partie)

«Le Chinois n'aime pas le blablabla. Quand on s'engage, on passe à l'action !»

Pour sa première grande interview depuis son arrivée à Dakar en provenance de Niamey où il a servi trois ans, Xia Huang, ambassadeur de la République populaire de Chine au Sénégal, s'est confié à EnQuête. Entretien d'une tonalité certaine qui rompt quelque peu d'avec la langue de bois des diplomates. Un signe peut-être chez le Représentant parfaitement francophone de cet Empire décomplexé auquel des experts promettent déjà, dans un horizon proche, la place de première puissance économique mondiale.

 

 

Vous parliez tantôt des tapages sur la corruption en Chine. N'est-ce pas dû au fait que la France, les Usa ou l'Allemagne sont formellement des démocraties pluralistes alors qu'en Chine, on a un Parti et un Etat dominants ?

 

Le système démocratique est devenu un mot d'ordre très populaire. Mais qui peut affirmer qu'il n'existe qu'un seul modèle de démocratie à travers le monde ? La démocratie américaine est-elle la même chose que celle européenne ? M. Thierry de Montbrial a dit : «Effectivement je suis libéral sur le plan politique et sur le plan économique.» Mais il a immédiatement ajouté : «Je préconise une liberté organisée, que ce soit sur le plan économique ou sur le plan politique.» Si nous avons devant nous cette crise, c'est parce que le libéralisme n'a pas été organisé. Certains diraient que c'est formidable, toutes ces démocraties européennes ou américaines. Mais avec celles-ci, comment peut-on expliquer la crise actuelle ? Et qui est à l'origine de cette crise ?

 

Pour vous, ces démocraties sont responsables de cette crise ?

 

Je n'ai rien dit ! Je n'ai rien dit ! La première priorité pour la Chine et pour les pays du Sud, c'est le développement. Nous sommes d'accord que le développement ou le bien-être des populations constitue la première priorité et pour les Chinois et pour les Africains. Dans ce contexte, à quoi sert la démocratie ? La démocratie est-elle un objectif ou est-ce un outil ? C'est encore une interrogation. Il y a beaucoup de variations de la démocratie. Quand dans un pays, une voix, c'est-à-dire un vote, s'achète au prix de 1000 francs francs, quelle est la nature d'une telle démocratie ? Vous aviez votre démocratie sous le palmier. A l'époque, l'Afrique était gérée ou pas ? Aujourd'hui, formidable, vous avez cette démocratie à l'occidental. C'est à vous de juger. En tous cas, moi je viens d'un pays (NDLR : le Niger) qui se classe au cours des 3 dernières années soit avant-dernier soit dernier sur le tableau des pays établi à partir des fameux critères du Pnud (NDLR : Programme des Nations-Unies pour le développement), l'Indice de développement humain (IDH). Je viens d'un pays très délicieux, très pauvre, mais tous les Nigériens que j'ai rencontrés et à qui j'ai parlé, avec qui j'ai discuté, qu'ils soient de droite ou de gauche, fonctionnaires ou issus du monde social, des organisations internationales, presque tout le monde me dit que la meilleure période pour eux a été celle de Kountché (NDLR : Seyni Kountché, ancien président de la République). Aujourd'hui, on dit que c'était une période dictatoriale....

 

Le monde a changé. La crise s'est installée et il y a beaucoup de difficultés...

 

Quel que soit le contexte, l’État doit être fort. Je pousse encore un peu le clou pour vous interroger : les Etats africains sont-ils suffisamment forts pour orienter le développement national ?

 

Je vous renvoie la question...

 

C'est à vous de répondre. En tout cas pour nous la Chine, on dit que si l’État n'est pas fort, on n'aurait jamais eu les réalisations d'aujourd'hui. Ce n'est pas possible ! Pour ces pays asiatiques émergents, des années 1950 jusqu'aux années 1980, la première priorité était le droit à l'existence, le droit à la survie, à l'essor du pays.

 

A côté de la corruption, il y a le problème des inégalités en Chine. Là aussi, n'y a-t-il pas risque d'explosion sociale ?

 

Aujourd'hui à travers le monde, y a-t-il un pays qui a pu réaliser l'égalité totale ? Dans tous les pays, qu'ils soient libéraux ou qu'ils préconisent une économie régulée, c'est le même débat : l'équilibre, l'efficacité économique et l'équité selon les contextes, selon le niveau dans lequel se trouve le pays. On peut donner quelquefois la priorité à l’efficience et à l'efficacité économique, mais après il faut immédiatement penser à l'équité sociale. Le problème est de savoir avec quoi faire l'équité sociale si vous n'avez pas suffisamment de ressources économiques et financières à disposition. C'est ce que la Chine a fait pour les 30 dernières années. Au cours de cette période, l’État chinois a fait beaucoup d'efforts pour réaliser l'équité sociale. Aujourd'hui, l’État chinois reconnaît avoir une base économique solide, mais on reconnaît qu'il y a un manque social. Avoir le courage de reconnaître ce fait, c'est déjà un courage politique qui doit être loué.

 

Comment percevez-vous l'activisme de ceux que l'on appelle «dissidents» en Chine ?

 

C'est toujours cet éternel arbitrage à faire entre l'intérêt général et les revendications personnelles. Si une revendication personnelle ne va pas à l'encontre de l'intérêt général, il n'y aucune raison que l'écrasante majorité des Chinois n'acceptent pas ladite revendication personnelle. Mais si une revendication personnelle va complètement à l'encontre dudit intérêt général, c'est grâce à la voie qu'on a trouvée, tracée et réalisée. On a fait beaucoup de réalisations sur les plans politique, économique, culturel, et après on vient vous dire que cette voie-là qui vous a donné des résultats probants est à bannir ! Après quelle sera votre réaction ? Quelle sera la réaction de l'écrasante majorité des Chinois qui ont choisi cette voie, l'ont suivie et comptent la poursuivre ? La réponse est claire.

 

La Chine a-t-elle retenu les leçons qui ont conduit à la Révolution culturelle puis au «Printemps» de Beijing avec les événements de la place Tian'anmen ?

 

Si la Chine a fait un tournant politique décisif en 1976, puis un autre, historique et décisif, en 1979 pour s'engager dans cette voie de réformes et d'ouverture sur l'extérieur, c'est parce que les communistes chinois se disaient depuis 1949 que nous avons effectivement obtenu beaucoup de succès. Mais nous avons aussi essuyé des revers. Il faut les étudier et en tirer des leçons. Il faut adapter notre politique et notre démarche. Dans ce processus vers l'essor et l'émergence du pays, on a fait des efforts, on a fait des tâtonnements. Dans ce cas de figure, il peut y avoir des écarts. Quand il y a écart, il faut en tirer des leçons pour avoir devant nous une voie plus directe, avec le moins moins d'obstacles possible. C'est ce que la Chine a fait au cours de ces 30 dernières années. Et c'est l'objectif de ce 18e Congrès. Réfléchir sur cette expérience, faire des analyses sur les revers et mettre au point une ligne d'orientation politique qui réponde mieux à la réalité chinoise, au contexte actuel et à la réalité nationale. Une ligne qui réponde également à la réalité internationale (car) nous avons devant nous cette crise qui a commencé dans certains pays en 2007, dans d'autres en 2008. Depuis, il y a eu beaucoup de pronostics. En ce qui me concerne personnellement, je ne fais plus de pronostic parce qu'il existe énormément d'interrogations pour savoir comment s'adapter à ce contexte.

 

A suivre ....

 

PAR MOMAR DIENG

 

 

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