Publié le 23 Jun 2021 - 17:09
10E ANNIVERSAIRE DES EVENEMENTS DU 23 JUIN 2011

Un héritage en péril  

 

Le Sénégal s’apprête à célébrer, aujourd’hui, le 10e anniversaire des évènements du 23 juin 2011, qui ont poussé le régime d’Abdoulaye Wade à renoncer à son projet de réforme constitutionnel controversé. Après une décennie de divisions, de luttes intestines autour de l’héritage et de l’esprit de cette journée, plusieurs acteurs de la vie politique, toutes obédiences confondues, ainsi que des membres de la société civile, veulent toujours surfer dans la dynamique de cette révolte populaire. Une mobilisation qui change à jamais la perception de la classe politique autour de l’engagement du peuple dans la défense des principes démocratiques et de conscientisation des populations autour des questions de bonne gouvernance et d’Etat de droit.

 

Dix ans déjà ! Si les souvenirs de la journée du 23 juin restent intacts dans la mémoire collective des Sénégalais, son héritage pose un certain nombre d’interrogations. Ces évènements du 23 juin ont marqué toute une génération de jeunes Sénégalais, toutes catégories socio-professionnelles, toutes classes d’âge confondues. Les manifestants, qui s’étaient donné rendez-vous devant la place Soweto sise le siège de l’Assemblée nationale, ont marqué d’une encre indélébile l’histoire politique du Sénégal, en s’opposant avec détermination au projet de réforme constitutionnelle du président Abdoulaye Wade.

Ce changement constitutionnel devait abaisser à 25 % le seuil minimum des voix nécessaires au premier tour, pour élire un "ticket présidentiel" comprenant un président et un vice-président. Pour l’opposition et la société civile, ce ‘’tripatouillage de la Constitution’’ visait à assurer le maintien d’Abdoulaye Wade au pouvoir et lui assurer une possible transition politique pouvant aboutir à une dévolution monarchique au bénéfice de son fils Karim Wade. Ce dernier cumulait alors plusieurs portefeuilles ministériels : Coopération internationale, Infrastructures et Transports aériens. Un cumul de fonctions qui le faisait apparaitre comme probable ‘’dauphin’’ à la succession du ‘’Pape du Sopi’’. 

De ce fait, la mobilisation populaire autour des forces vives de la nation (syndicats, jeunes, responsables politiques…) a eu raison du projet controversé, scellant la chute de l’ancien président sénégalais qui sera traduit par sa défaite dans les urnes, en mars 2012.

Ces heurts ont fait au moins une dizaine de blessés et de nombreuses arrestations. Des bâtiments publics, abribus, voirie publique dans la capitale ont subi les assauts des manifestants qui ont incendié une partie de l’Hôtel des députés, dans le centre-ville de Dakar.   

Abdoul Aziz Diop, ancien porte-parole du mouvement M23 (16 juin 2011 au 11 mars 2012), souligne que ces évènements sont l’émanation d’un long combat pour la défense des acquis démocratiques au Sénégal.  Un processus qui a débuté à l’avènement du régime de Sopi qui, d'après lui, a trahi les aspirations du peuple sénégalais. ‘’Le 23 juin 2011 avait été l’aboutissement d’une longue bataille (2000-2011) intellectuelle et politique contre le régime corrompu du président Abdoulaye Wade. Le jour J, un cri de ralliement mobilisa les démocrates de tous les milieux socio-professionnels : «Touche pas à ma Constitution.» Dix ans après, on s’aperçoit qu’on ne cerne pas assez les grandes promesses démocratiques et sociales, toutes inspirées par la plateforme du M23, de ce que j’appelle la République du 23 juin 2011’’, dit-il.  

Puissance du slogan ‘’Ne touche pas à ma Constitution’’

Pour sa part, Alioune Tine, un des membres fondateurs du M23, qui a souffert dans sa chair lors de cette journée (NDLR : attaqué par des nervis pendant la manifestation du 23 juin), garde en mémoire des ‘’souvenirs d’une révolution citoyenne’’. Un moment de communion et de cohésion nationales regroupant la société civile, l’opposition politique de l’époque (Benno Siggil Senegaal), d’anciens membres du gouvernement de Wade, des intellectuels, des constitutionnalistes de l’Ucad, des artistes, des diplomates, des étudiants, des religieux, des Sénégalais lambda, etc. 

‘’J’ai en mémoire les souvenirs du courage et de la détermination des membres qui ont fait reculer l'État et empêcher le 3e mandat, sans affaiblir l'État et les institutions. Le 23 juin, c’est aussi des images d’Epinal, celles de Cheikh Bamba Dièye s’attachant sur les portails de l’Assemblée nationale. Mais surtout et principalement l’appropriation spontanée et de façon massive du peuple sénégalais d’une initiative consistant à dire ‘’Touche pas à ma Constitution’’, déclare le fondateur du Think Thank Afrikajom Center.

Par ailleurs, si les évènements du mouvement M23 ont débuté la veille (22 juin) avec une déferlante populaire, des manifestations, réprimées, ont eu lieu le mercredi 23 juin 2011 dans différentes villes comme Kaolack (Centre), Ziguinchor (Sud) et Dakar. Le point d’orgue de cette révolte aura bien lieu aux alentours de la place Soweto où les manifestants ont fait le siège de l’Hémicycle, pendant des heures, forçant les forces de l’ordre à reculer et à céder les lieux à une foule en liesse. ‘’Nous avons fait comprendre aux leaders de l’opposition que le combat, c’est dans la rue. On a passé la nuit (22 juin au 23 juin 2011) à la place de l’Indépendance, avant de se rendre à la place Soweto avec les étudiants. Le 23 juin est une victoire du peuple sénégalais. Pour nous, c’était une obligation de lutter contre l’injustice sociale, le manque de démocratie. Concernant les grands acteurs de cette journée, seul Y en marre est resté avec le peuple’’, clame le rappeur et activiste Landing Mbessane Seck alias ‘’Kilifeu’’ de Y en a marre.

Immixtion de la société civile dans le débat politique 

Outre leur portée nationale qui a redéfini les rapports entre la politique et la société civile autour des questions de démocratie, de mal gouvernance et de lutte contre la corruption, les évènements du 23 juin 2011 gardent une symbolique particulière. ‘’En amont, c’est l’initiative que nous avons prise le 16 juin à Genève ; et j’ai dit qu’on va organiser une manifestation devant l’Assemblée nationale. J’ai appelé Penda Mbow, Aziz Diop, Mame Adama Guèye, Abdou Aziz Tall et bien d’autres. On a fait une conférence de presse pour annoncer la manifestation, s’exclame l’ancien patron de la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme (Raddho).

Il poursuit : ‘’L’effet est immédiat. Pratiquement, beaucoup d’organisations ont répondu à l’appel. On a décidé de rencontrer l’opposition chez Amath Dansokho et ils ont donné leur accord. Le 22 juin 2011, nous avons organisé une Assemblée générale à Daniel Brottier’’, rappelle le droit-de-l’hommiste.

Pour beaucoup d’observateurs, les rassemblements du 23 juin 2021 ont été un tournant dans la prise en charge des questions démocratiques par les populations elles-mêmes.

Toutefois, selon l’ex-directeur régional d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre, l’immixtion de la société civile dans le débat politique a toujours eu lieu au Sénégal, même bien avant le 23 juin 2011 ‘’Non, le 23 juin n’est pas la date de l’immixtion de la société civile dans la politique. Mais c’est un moment historique où la société civile est passée du plaidoyer au changement social. Un vrai changement de paradigme. La société civile a créé une large alliance citoyenne à laquelle des partis politiques ont participé avec d’autres composantes. Ça c’est nouveau et ça s’est exporté’’, affirme Alioune Tine.

Le conseiller à la présidence, Abdoul Aziz Diop, de renchérir, indiquant que la défense de la démocratie et de l’Etat de droit ne peut être l’apanage de seuls mouvements de la société civile. Ces organisations peuvent se retrouver avec les partis politiques autour de plateformes communes pour la défense des acquis démocratiques.  ‘’La société civile intervient dans le débat politique, à chaque fois que l’intérêt général est menacé, sans préjudice pour son indépendance. Elle est souvent suspectée de faire de la politique comme les partis avec lesquels elle peut se retrouver autour de l’essentiel, comme ce fut le cas avec le M23 pour défendre la Constitution’’.

Une scission qui met en péril l’héritage du 23 juin

Quant à l’esprit du mouvement M23, qui tente de perpétuer cet héritage, il est sujet à beaucoup de controverses, sur fond de crises au sein dudit mouvement, avec la scission des jeunes du M23, plusieurs mois après la deuxième alternance, en 2012. Abdourahmane Sow, Secrétaire général du mouvement Cos/M23 issu du M23/Les jeunes, dénonce une volonté de récupération des idéaux qui ont conduit au 23 juin au profit du régime actuel.  Il peste : ‘’Je pense que les acteurs du M23 se sont suicidés, après la deuxième alternance. Ils disaient qu’ils voulaient laisser du temps au régime de Macky Sall qui venait de s’installer à la tête du pays.  Les membres imminents du mouvement, Cheikh Tidiane Dièye, Alioune Tine et Abdoul Aziz Diop ont décidé de faire du M23 une association de manière tacite sous la coupe du pouvoir.’’

A l’en croire, tous ceux qui étaient contre cette nouvelle façon de faire ont été tout bonnement mis à l’écart. ‘’Lors d’une assemblée générale en 2012, tous les mouvements étrangers à BBY étaient exclus de cette assemblée générale. C’était un moyen de tuer le mouvement qui a obtenu son siège et reçu des financements de la part du gouvernement de Macky Sall. La scission du Cos a eu lieu le 12 janvier 2013, pour dénoncer cette situation, mais aussi les dérives de Macky Sall. Ce que nos ainés refusaient qu’on le fasse’’, dénonce-t-il.

Un avis que ne semble pas partager d’autres acteurs de cette journée révolutionnaire. Doudou Sarr, Coordinateur du M23 par intérim, considère, de son côté, que ce legs est toujours d’actualité et que le mouvement a su préserver son authenticité et son indépendance. ‘’Le M23 a toujours été caractérisé par sa diversité et ses contradictions, depuis son lancement. Le mouvement M23 transcende les partis et respecte les opinions de tous ses membres. Le M23 ne peut être une section de la majorité présidentielle, ni une section de l’opposition’’, rétorque-t-il.

Et Abdoul Aziz Diop d’abonder dans le même sens : ‘’Il reste l’esprit et la lettre qui font la plateforme de ce mouvement indépassable, de défense de la Constitution et du suffrage universel direct et égal. L’esprit démocratique du M23 est perceptible à travers quatre volets essentiels : Respect et sauvegarde de la Constitution ; Transparence des élections ; Bonne gouvernance ; Prise en charge efficace et durable de la demande sociale’’, conclut-il.

DEBAT

Le mouvement M2D est-il l’héritier de l’esprit du 23 juin ?

Le mouvement M2D/Aar Sunu démocratie (coalition composée de formations politiques et de mouvements citoyens) a été créé dans la foulée de l'arrestation de l'opposant Ousmane Sonko, le 3 mars dernier, par des personnalités politiques et de la société civile. Parmi les signataires : des parlementaires de l’opposition – dont Ousmane Sonko -, des leaders de mouvements politiques comme Thierno Bocoum (mouvement Agir), Babacar Diop (Forces démocratiques du Sénégal) entre autres… -, et des responsables d’organisations citoyennes - Aliou Sané de Y en a marre ou encore Guy Marius Sagna de Frapp/France dégage…

Parmi les revendications, le M2D exige la "libération immédiate" de ceux qu'il considère comme des "prisonniers politiques", la fin de ce qu'il qualifie de "complot politico-judiciaire contre Ousmane Sonko". Le M2D exige aussi que soit reconnue publiquement "l'impossibilité constitutionnelle et morale" du président Macky Sall à briguer un troisième mandat en 2024. Cette nouvelle entité veut se positionner comme une sentinelle de la démocratie et de la bonne gouvernance.

Mais cette posture ne convainc pas certaines figures de proue du mouvement M23. Même si, pour certains responsables de la société civile, une filiation entre les deux mouvements peut être établie, en raison de leur caractère populaire autour d’une plateforme civile et démocratique.

Pour d’autres, cette organisation hybride (partis politiques/société civile) possède un agenda politique dont le seul but est de porter le combat d’un homme politique impliqué dans une affaire de viol (NDLR : Ousmane Sonko).  ‘’C’est vrai, le M2D peut valablement revendiquer l’héritage du M23. C’est leur liberté, d’autant plus que certains leaders du mouvement étaient d’éminents membres du M23. Des personnalités comme Mame Baye Niang se réclament du M23 ; ils sont libres et en ont la légitimité’’, déclare Alioune Tine. Avant de prévenir qu’il peut être tentant, pour des organisations politiques engagées dans la conquête du pouvoir, de surfer sur la dynamique du M23 qui constitue ‘’un modèle qui a su mobiliser le peuple et a permis le changement politique et social’’.

Et Landing Mbessane Seck alias ‘’Kilifeu’’ de Y en a marre de renchérir : ‘’Le M2D porte les combats pour la démocratie et la justice sociale qui sont la base de l’esprit du 23 juin 2011.’’ Mais Abdoul Aziz Diop, militant de l’Alliance pour la République (APR) et ancien porte-parole du M23, refuse de voir une filiation. ‘’La dynamique du M23 était inscrite dans une plateforme citoyenne. Quant au mouvement dit de «défense de la démocratie», il ne se distingue, pour l’instant, que par un contre-mémorandum abusivement appelé mémorandum par ses rédacteurs. Il cherche juste à garantir l’impunité à un citoyen comme vous et moi, dans un État de droit’’, affirme le communicant.

Par contre, le secrétaire général du Cos/M23 se veut plus nuancer dans ce positionnement du mouvement M2D comme organe de veille et d’alerte pour la lutte démocratique. ‘’Nous disons que le Cos/M23 permet la continuation de l’esprit du 23 juin et on ne peut pas le refuser à d’autres Sénégalais. Ils sont libres de prétendre que le M2D est dans la continuation du M23. Toutefois, si on pose réellement le débat, ce sont des acteurs politiques qui portent des combats citoyens. Est-ce que ce combat qu’ils portent, c’est pour renforcer les acquis démocratiques ou pour renforcer le camp de Sonko ? C’est une question qu’il faut se poser’’, dit-il.  

MAKHFOUZ NGOM

 

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