Publié le 18 May 2015 - 15:28
COOPERATION ECONOMIQUE ENTRE LE SENEGAL ET LE ROYAUME CHERIFIEN

Comment la ‘’pieuvre marocaine’’ étale ses tentacules

 

Banques, infrastructures, assurances, transport, électricité. Le Maroc est presque partout présent au Sénégal en termes d’investissement. Les sujets du roi Mouhamed VI ont investi bon nombre de secteurs et ne cessent d’élargir leur royaume économique. Ils cherchent en plus, à travers plusieurs visites et accords, à augmenter le volume des échanges commerciaux, qui du reste lui est déjà bien favorable. Après la sphère religieuse, les rapports entre le Sénégal et le Maroc sont en train de glisser tranquillement vers le business. Le Sénégal n’est pourtant que le pays d’appui. Le royaume a plutôt une ambition économique impériale qui s’étend sur toute l’Afrique subsaharienne. Que gagne-t-on dans ce partenariat qui semble bien tourner en faveur du Royaume chérifien ? Protégeons-nous assez les intérêts des entrepreneurs locaux ? A travers le fil d’Ariane des Finances, Bâtiments et travaux publics, EnQuête a essayé de fouiner dans les dessous d’une offensive qui garde certes un visage humain, mais qui est au fond sans état d’âme. 

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FINANCES ET STRATEGIE

Attijari, fer de lance

Economiquement parlant, le Maroc a les pieds bien plantés au Sénégal. La cité de l’émergence et celle de Diamniadio attribuées respectivement au groupe Dohha et Alliance en constituent une parfaite illustration. Un combat économique dont le royaume s’est donné les moyens avec à la clé la première banque au Sénégal, la CBAO Attijariwafa Bank. Le tout avec un favoritisme étatique et dans un circuit fermé, selon des acteurs.

 

Le Sénégal et le Maroc entretiennent d’étroites relations depuis plusieurs décennies. La religion était jusque-là l’élément phare de ces rapports. Ce n’est pas pour rien que le président de la République Macky Sall a effectué une visite au pays du roi Mouhamed VI, dans la zawiya de Cheikh Ahmad Tidiane au milieu de la polémique soulevée par sa participation, à Paris, à la marche contre les attentats de Charlie hebdo. Il y est retourné en fin avril 2015 pour participer à l'inauguration officielle du 10ème Salon international de l'agriculture de Meknès (SIAM) du 28 avril au 3 mai.

Comme pour montrer que les deux dirigeants rament dans la même voie, le Roi du Maroc Mohamed VI est lui-même attendu cette semaine à Dakar, dans le cadre d’une visite officielle. Une visite gardée au chaud du secret pour des raisons de sécurité. Ce jeu de ping-pong diplomatique est bien révélateur de la profondeur des liens qui unissent les deux pays.

En vérité, depuis plus d’une décennie, une solide toile économique est en train de se tisser derrière le voile spirituel, comme en témoigne la présence marocaine dans le pays et les différentes initiatives.

En octobre 2010, les hommes d’affaires du royaume chérifien ont créé le "Club des investisseurs marocains au Sénégal" (CIMAS). La paternité de ce cadre revient à Attijariwafa Bank, Sothema, le laboratoire pharmaceutique et la société les ‘’Cableries du Maroc’’.  Cette initiative est la preuve même des ambitions économiques tentaculaires que le Maroc nourrit au Sénégal. Le club a pour objectif d’apporter information, conseil, et  soutien aux investisseurs qui veulent tenter une aventure au Sénégal. De même, les anciens déjà sur place accompagneront les nouveaux venus dans la recherche des papiers administratifs. Ils leur trouveront des entrées dans le milieu sénégalais des affaires. 

Simultanément à ce club, existe une cellule d’information sur les possibilités d’investissement au Sénégal et dont le siège se trouve à la CBAO Attijariwafa Bank. Des rencontres régulières ont aussi été prévues dans le but de «discuter des opportunités d'affaires et tenter, avec l'aide de l'ambassade du Maroc, de trouver des solutions aux obstacles qui pourraient freiner le développement de leurs investissements au Sénégal». 

Le levier bancaire

Comment ne pas penser que ces initiatives ont eu des impacts réels ? Aujourd’hui, la banque marocaine, CBAO Attijariwafa Bank est la première institution financière au Sénégal, dépassant ainsi les banques des pays européens, en particulier la France. Même si les chiffres de la banque marocaine sont aujourd’hui en baisse du fait, en partie, de la crise que traverse la boîte, la banque a affiché un total bilan de 712 Mrds de F CFA pour l’activité bancaire 2013 et un résultat net de plus de 11 milliards de francs CFA. Le produit net bancaire, autre indicateur pour juger de la solidité d’une institution bancaire, dépassait les 50 milliards de francs Cfa. Si les chiffres de 2014 ne seront pas aussi bons, selon des sources dignes de foi (cherche-t-on à en retarder la publication), la banque a toujours de la ressource à revendre et un potentiel garanti par la maison-mère. CBAO –Attijari Bank a du muscle à revendre, et ce n’est sans doute pas pour les beaux yeux des entreprises sénégalaises. 

Le constat qui est fait est que la CBAO constitue quelque part le bras financier des entreprises marocaines. Certains interlocuteurs estiment qu’il y a un circuit économique autour de  Attijari. «Avec la banque, il y a une vraie stratégie derrière», s’inquiète un patron d’une grande entreprise. Un autre d’évoquer l’intrusion de la banque dans le secteur des Assurances comme un élément qui peut déstructurer tout le secteur. ‘’C’est le Président qui a donné des instructions pour qu’on les agrée mais en vérité, le marché n’est pas ouvert pour cela’’, regrette un chef d’entreprise. ‘’Quand les Marocains ont voulu aller au Mali, ce pays a dit non, parce que la Commission bancaire ne peut pas permettre à une banque de prendre plus de 20% d’une compagnie d’assurances’’.

Au Sénégal, les Marocains tirent les bonnes leçons de l’expérience malienne en mettant en place un holding depuis le Maroc. Ce qui est une façon de contourner la loi. Mais au lieu d’une société d’assurances, ce sont deux qui vont être agréées : Wafa Assurance Vie S.A et Wafa Assurance S.A. Ces deux filiales sénégalaises ont reçu, le 12 septembre 2014, du ministère de l’Économie, des Finances et du Plan de la République du Sénégal les agréments requis en vue de pratiquer les branches d’assurance vie et non-vie sollicitées. Ces agréments ont été obtenus suite à l’avis favorable de la Commission régionale de contrôle des assurances de la CIMA (Conférence interafricaine des marchés d’assurances : un organisme communautaire du secteur des assurances en Afrique chargé notamment de la régulation du marché des pays membres. CBAO – Attijari Bank étant le premier client de ces sociétés, le marché est déjà là, notamment avec la distribution de produits d’assurance par la banque elle-même. Ce schéma va sans doute inspirer les autres banques qui ont des projets d’ouverture de société d’assurance. ‘’Ce qui veut dire que les sociétés sénégalaises qui ne sont pas solides vont disparaître’’, prédit un expert du secteur des assurances.

Système fermé

Un autre manager dans un secteur différent utilise la métaphore de l’organisme. ‘’La banque est comme le cœur. Elle irradie les secteurs économiques de liquidité comme le cœur irrigue le corps en sang. Or, avec des circuits fermés comme celui des Marocains au Sénégal, on a plutôt des zones de rétention’’, alerte-t-il. Une thèse du circuit fermé rejetée par le patron de la banque. «Nous sommes là pour tous les opérateurs et le critère de leur nationalité n’est pas d’actualité», se défend Abdelkrim Raghni dans une interview accordée en octobre 2014 au Magazine économique Réussir.

Malgré tout, leur présence suscite inquiétude. Si l’on en croit un acteur économique, le déploiement du Maroc au Sénégal et au-delà dans la sous-région s’explique par le besoin de renforcer sa monnaie. Selon lui, c’est parce que le Maroc n’a pas une monnaie convertible que ses hommes d’affaires ont ciblé des zones à la monnaie convertible, à l’image de l’UEMOA. Il s’y ajoute que les entreprises marocaines, accompagnées par leurs banques, deviennent une redoutable machine de création de dettes. En effet, avec la balance des paiements déficitaires, le Sénégal et les autres pays dans la même situation vont s’endetter progressivement vis-à-vis du Maroc. Cet endettement dont le paiement est en devises et non en CFA permet de maintenir celles-ci à l’étranger. A partir de ce moment, le Maroc pourra facilement capter les devises de la zone.

Dakar, satellite de Rabbat

Ce n’est sans doute pas là le seul révélateur de la stratégie marocaine. Il est revenu dans nos investigations, que le Maroc déploie dans le secteur des Finances la même stratégie que France Télécom dans le domaine des Télécommunications. Et Dakar apparaît comme le levier de la politique d’expansion de la Royauté. Si en effet les filiales du groupe en Côte d’Ivoire et au Mali ont directement été mises en place par le groupe Attijari, ce n’est pas le cas des filiales basées à Niamey au Niger et au Burkina Faso qui ont été installées grâce…à la puissante filiale de Dakar. L’appétit venant en mangeant, un projet d’implantation à court terme aussi bien au Bénin qu’au Togo existe et est en train d’être déroulé. Et c’est toujours à partir de Dakar que tout est piloté. ‘’A partir du moment où la place dakaroise est assez forte, il n’y a plus besoin de faire intervenir la maison mère’’, explique-t-on. Conséquence, la part des filiales africaines dans le bénéfice du groupe est de 25% et les experts estiment que le système va continuer à être rentable. Et le Maroc pourra alors se présenter comme ‘’un interlocuteur incontournable’’ en Afrique.

Mais le ‘’mammouth’’ a des zones de fragilité que certaines de nos sources voient dans le ‘’style’’ de management qui est de type vertical. Si Air Sénégal International (ASI) a pu souffrir de cette forme plutôt rigide de gestion, au point d’ailleurs de mourir de sa belle mort, CBAO Attijariwafa Bank est aujourd’hui menacée par le même syndrome. Le limogeage du Directeur général Raghni Abdelkrim, en poste depuis 2008, est bien l’indice d’une crise qui a du mal à être contenue. Le conseil d’administration de la Cbao Attijariwafa Bank, présidé par Boubker Jai, a donc dû se réunir à Dakar pour officialiser la nomination d’un nouveau directeur général, en la personne de Mounir Oudghiri, jusqu’ici en poste à Abidjan. Cet important changement opéré par les responsables du groupe marocain (premier du Maghreb et huitième africain) fait suite à une dégradation du climat social au sein de l’institution bancaire, les employés sénégalais déplorant le management de celui qui était jusqu’ici en prolongation avec contrat spécial car admis à la retraite depuis trois ans.

Boubker Jai pourra-t-il imprimer une nouvelle approche managériale. Ils sont en tout cas nombreux à penser que le style de gestion de type vertical, avec des cadres marocains et les Sénégalais pour jouer les seconds rôles n’est pas porteur de croissance. ‘’Si Ecobank décolle bien, c’est parce que ce sont des cadres africains qui sont mis en avant’’, diagnostique un cadre de CBAO-Attijari Bank.

BABACAR WILLANE

 

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