Publié le 27 Jun 2024 - 11:21
ENQUÊTE SUR LES PRIX DES PRODUITS PETROLIERS

Pourquoi les prix restent insupportables pour les ménages

 

Environ 1 800 milliards F CFA injectés par l’État du Sénégal au titre de la subvention des produits d’hydrocarbures, durant les trois dernières années. Ce chiffre du Fonds monétaire international (FMI) a relancé le débat autour de ces subventions qui, d’année en année, grèvent considérablement le budget de l’État.

 

Pourtant, malgré le constat alarmant, les produits en question restent excessivement chers pour les consommateurs. Aujourd’hui, plus que jamais, les Sénégalais s’interrogent : ‘’Pourquoi le carburant coute plus cher au Sénégal qu’au Mali qui n’a pas de port et dont une bonne partie des produits pétroliers passe par le Port autonome de Dakar, supportant ainsi au moins des frais de transport bien plus importants ?’’

Interpellé sur cette lancinante question qui revient sur la place publique depuis des années et qui alimente très souvent les débats lors des échéances électorales, le président de l’Association sénégalaise des pétroliers (ASP), Ameth Guissé, déclare : ‘’Je pense que tout est dans l’architecture fiscale du Sénégal. Quand on compare la structure des prix du Sénégal et celle du Mali, par exemple, on se rend compte que c’est à ce niveau que tout se joue. En amont comme en aval, il y a des taxes qui pèsent sur le prix à l’arrivée. Ce qui fait que malgré les efforts importants de l’État, il faut le reconnaitre, effectivement, nous avons des produits un peu plus chers que dans des pays voisins comme le Mali, la Côte d’Ivoire...’’

Le pétrolier de renvoyer, pour plus amples informations, à une communication qu’il avait faite, il y a quelques années, lors d’un séminaire réunissant les acteurs du secteur.

Dans cette présentation, il expliquait que ‘’la structure des prix des produits pétroliers’’ au Sénégal ‘’enferme des taxes cachées et expose celles visibles’’. Parmi ces taxes qui ne sont pas toujours connues du grand public, mais qui pèsent sensiblement sur le prix, il cite le FSIPP (Fonds de soutien aux importations de produits pétroliers), le FSE (Fonds de soutien à l’énergie, également appelé Prélèvement de soutien à l’énergie) et, dans une moindre, mesure la taxe portuaire.

Les ‘’taxes cachées’’ dans les produits pétroliers

Dans cette présentation qui date de 2013 et qu’il nous a envoyée, le président de l’Association des pétroliers soutenait que ‘’ces différentes taxes  (FSIPP, PSE et taxe portuaire) pesaient en moyenne 3 % sur le prix final du super carburant’’ et pouvait monter parfois jusqu’à 7 %. Ce pic de 7 % se justifiait par le fait que, parfois, quand les prix baissent de manière vertigineuse sur le marché international, au lieu de faire baisser les prix à la pompe, l’État gonfle cette taxe pour parer aux périodes de tension. À titre d’exemple, expliquait le pétrolier, il est arrivé que la taxe FSIPP passe ‘’de son taux normal de 13 530 F CFA la tonne métrique à 60 400 et 59 845 F CFA’’.    

À ces taxes, il faut ajouter celle relative aux frais de passage destinés aux propriétaires des lignes (essentiellement la Sar), la taxe Cosec, mais aussi les couts directs qui impliquent notamment les frais bancaires, les frais d’assurance, les pénalités en cas, par exemple, de retard des bateaux…

Voilà, entre autres éléments qui sont pris en compte par la Commission de régulation du secteur de l’énergie (CRSE) dans la détermination des prix parité importation (PPI). À ce prix, l’État applique d’abord une subvention pour déterminer ce qu’il appelle le prix considéré. ‘’La différence entre le PPI et le prix considéré est remboursée par l’État aux importateurs, ce qui est souvent à l’origine de la dette de l’État envers les pétroliers’’, explique cet expert. D’autres taxes comme les droits de porte, la TVA et la taxe spécifique viennent s’y ajouter pour la détermination du prix au détaillant.    

La TVA et la taxe spécifique, ces boulets que trainent des ménages

À titre d’illustration, nous avons analysé la dernière structure des prix publiée le 25 mai 2024. Dans cette structure, le FSIPP était de 54 497 F CFA la tonne pour le super, 20 595 F CFA pour l’essence ordinaire et l’essence pirogue, 18 525 F CFA pour le pétrole, 17 400 F CFA pour le gasoil, 25 000 F CFA pour le diesel-oil.

En ce qui concerne le PSE, il y a eu des efforts importants du gouvernement. Il est, en effet, de 0 F CFA sur la plupart des produits, à quelques exceptions près, dont le gasoil (17 400 F CFA la tonne) et le diesel-oil (15 000 F CFA).  

Les autres taxes prélevées en amont (port, frais de lignes…) restent relativement basses. Le problème, c’est surtout les taxes ex-dépôt. Par exemple, pour la taxe spécifique, elle est de l’ordre de 216 650 F CFA la tonne pour le super carburant, 198 470 F CFA pour l’essence ordinaire, 38 560 F CFA pour l’essence pirogue, 103 950 F CFA pour le gasoil.

Pour la TVA, elle est de 148 805 F CFA pour le super, 99 929 F CFA pour l’essence ordinaire, 73 602 F CFA pour l’essence pirogue et 112 958 F CFA pour le gasoil. C’est d’ailleurs les deux taxes qui sont les plus durement ressenties, selon les experts. Ameth Guissé précise : ‘’L’État met effectivement des subventions importantes pour rendre le prix supportable aux consommateurs. Il y a aussi la péréquation de transport qui permet de vendre au même prix partout sur le territoire national. Mais à cause de l’architecture de la fiscalité, les consommateurs ont du mal à le ressentir de manière sensible.’’

Le Sénégal plus cher que ses voisins, malgré les subventions

Dans le document qu’il a partagé, Ameth Guissé avait analysé de manière approfondie, non seulement l’architecture fiscale du Sénégal, mais aussi celle de pays voisins comme le Mali et la Côte d’Ivoire. Pour lui, ‘’l’impact de la fiscalité dans la formation des prix publics entre le Sénégal, le Mali et la Côte d’Ivoire paraît assez évident’’.

‘’Avec un taux de prélèvement de 48,5 % sur le supercarburant au Sénégal, l’on ne peut s’étonner de son renchérissement quand il est de 27,82 % au Mali et 34,9 % en Côte d’Ivoire. Une des causes essentielles de cet écart viendrait de la taxe spécifique qui, au Sénégal, représente 24 % du prix à la pompe et 50 % des taxes. Ce niveau est excessif, comparé à celui du Mali où la même taxe n’est que 8,06 % du prix avec un poids de 29 % de l’ensemble des taxes. Par contre, en Côte d’Ivoire, elle représente 20,01 % du prix et 57 % des taxes’’, écrit le pétrolier dans cette comparaison qui date de 2013, mais dont les réalités ne sont pas si éloignées de celles d’aujourd’hui.

Les mêmes tendances étaient décrites sur presque tous les produits pétroliers. À propos du gasoil qui est l’un des produits les plus consommés à cause notamment de son utilisation dans les transports publics, le pétrolier affirmait que ‘’les disparités sont plus frappantes’’.

En effet, arguait-il dans l’étude, ‘’la taxe spécifique sur le gasoil représente 13,13 % du prix final au Sénégal et 36,75 % des taxes, alors qu’elle n’est que de 2,94 % au Mali et 18,12 % des taxes. En Côte d’Ivoire : 3,44 % du prix et 24,05 % des taxes. C’est ici que les volontés de soutien se lisent, parce qu’étant un produit ‘populaire’ et qu’aussi retentissant de manière fracassante sur l’assiette de la TVA’’. 

Sur le site globalpetroprices.com, on peut constater qu’aujourd’hui encore, les produits pétroliers sont plus chers au Sénégal que dans la plupart des pays de l’UEMOA, à cause des mêmes raisons. Pour l’essence, alors que le Sénégal est à 990 F CFA, le Bénin est à peu près à 666 F CFA, le Togo à 700 F CFA, le Mali et le Burkina Faso à 850 F CFA, la Côte d’Ivoire à 875 F CFA. Au Niger, qui est déjà producteur de pétrole depuis quelques années, le prix est bien en deçà de ces seuils. Les mêmes tendances sont également notées sur les autres produits.

Pour rappel, le FMI évalue les subventions à plus de 500 milliards F CFA. L’institution de Bretton Woods regrette surtout l’absence de ciblage dans l’application de ces subventions. ‘’Ce sont des subventions très couteuses pour le budget de l’État. Cela a un impact direct sur les budgets de secteurs clés comme la santé, l’éducation… Il faut préciser que nous ne sommes pas contre les subventions, mais il faut qu’elles soient mieux ciblées. Par exemple, le FMI au Sénégal ne doit pas bénéficier de ces subventions. J’aurais pu citer les ambassades, les partenaires financiers qui sont là. C’est un exemple parmi d’autres’’, se désolait le chef de mission, il y a quelques jours.

 

SENELEC

Quand les ménages supportent les charges excessives de l’entreprise

Si les produits pétroliers comme le gasoil, l’essence, le diesel… restent assez chers par rapport aux prix en vogue dans la sous-région, il va sans dire que ce qui grève le plus le budget des ménages, c’est le prix de l’électricité. ‘’EnQuête’’ a essayé de voir pourquoi l’électricité est aussi chère au Sénégal.

La première remarque, selon ce spécialiste, c’est que contrairement à la plupart des produits pétroliers, les combustibles utilisés par la Senelec ne sont pas subventionnés par l’État. La Société nationale d’électricité achète, en effet, son combustible au prix réel du marché.

En sus de cette absence de subvention, il faut noter que le système de facturation de la Senelec demeure assez flou pour beaucoup d’associations de consommateurs. Vers la fin de l’année 2023, dans le conflit qui les avait opposées à l’entreprise publique, les associations de consommateurs avaient indexé la facturation de la Senelec comme étant à l’origine des hausses vertigineuses. D’ailleurs, la CRSE avait à l’époque réagi en promettant de mener une enquête sur cette facturation.

En attendant d’avoir les résultats de cette étude, il est permis d’avoir de sérieux doutes sur les méthodes de Senelec. Dans le document portant révision des conditions tarifaires de l’entreprise pour la période 2023-2027 qui date de décembre 2023, l’organe de régulation mettait à nu ce qu’on peut considérer comme un véritable manque de sincérité dans les pratiques de la Société nationale d’électricité.

Pour la détermination du prix, en effet, il est pris en compte non seulement le cout des combustibles qui, il faut le souligner, n’est pas du tout subventionné. Mais en sus de ce cout, il faudra ajouter celui du transport, les charges de personnels, les services extérieurs, mais aussi les impôts et les taxes. Dans la pratique, la Senelec fait ses estimations et les soumet à la CRSE qui les étudie avant d’arrêter les prix définitifs.

Dans le document de 2023, la CRSE nous montre comment la Senelec a gonflé presque tous les postes pour arriver à un prix totalement fantaisiste. À propos du transport des combustibles, la commission relevait que dans les projections de la Senelec, cette rubrique passait de 14,316 milliards F CFA en 2023 à 31,594 milliards F CFA en 2027. Or, en 2022, le transport était chiffré à 5,829 milliards F CFA seulement. La CRSE de préciser : ‘’Ce poste devrait croître de 40,2 % en moyenne par année’’ pour atteindre ces niveaux.

‘’Cette situation manque de cohérence par rapport aux quantités de combustibles consommées et à l’historique des couts de transport de la Senelec sur les précédentes périodes tarifaires. Les échanges avec la Senelec n’ont pas permis à la CRSE de disposer de justifications pertinentes’’.

Par conséquent, le régulateur avait procédé ‘’à une réévaluation des montants de cette rubrique en se basant sur les moyennes historiques et les volumes de combustibles liquides. Ainsi, le cout du transport de combustible retenu est de 43,469 milliards F CFA sur la période 2023-2027, au lieu de 113,733 milliards F CFA soumis par la Senelec’’.

En ce qui concerne les charges de personnels, la CRSE avait également décelé des anomalies pour faire passer les prévisions de 452,034 milliards F CFA (sur la période 2023-2027) selon les projections de la Senelec à  422,914 milliards F CFA. La même démarche a également été opérée pour ce qui est des services extérieurs ainsi que pour les impôts et les taxes.

MOR AMAR

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