Sexe, audio et troisième mandat
Paradoxale fin d’année que celle de 2022. L’incertitude plane sur les possibilités qui s’offrent aux deux grandes figures de la vie politique, le président Macky Sall et son principal opposant Ousmane Sonko. Le premier se fait systématiquement rappeler la disposition constitutionnelle excluant ‘’plus de deux mandats consécutifs’’ et tarde toujours à se déterminer en vue de la Présidentielle prévue dans un an, alors que le second est sous contrôle judiciaire dans une affaire de mœurs, hypothéquant du coup ses ambitions présidentielle. En attendant, les débats volent bas…
Les Sénégalais s’acheminent vers la fin de l’année, en suivant deux vraies ‘’télé-réalités’’ qui animent leurs discussions, affolent les réseaux sociaux et tiennent en haleine le pays : le porno chic bien assumé de Sweet Beauté dans les médias et le jeu de cache-cache du président de la République avec l’opinion au sujet de sa participation à la Présidentielle de février 2024.
Du coup, on en arrive à oublier les fureurs diffuses de ces derniers mois, suite à la hausse généralisée des prix des denrées alimentaires. À remiser aussi l’affaire des deux sous-officiers des forces de défense et de sécurité, Fulbert Sambou et Didier Badji ‘’disparus’’ depuis le 18 novembre dernier, selon les termes du parquet de Dakar. Plus près, le sort du journaliste Pape Alé Niang, incarcéré depuis quelques semaines et dont l’état de santé se dégrade, selon ses proches, inquiète ses confrères et les organisations des Droits de l’homme. Encore trop frais dans les mémoires pour être oublié, le Covidgate, ainsi nommé le scandale né de la publication du rapport de la Cour des Comptes sur la gestion des 1 000 milliards du fonds destiné à soutenir l’économie nationale dans la lutte contre la pandémie, parti pour dégrader l’image du pouvoir, à moins que Macky Sall ne demande au parquet de suivre les recommandations de cette instance de contrôle et d’ouvrir au moins douze informations judiciaires contre les gestionnaires indélicats. Et encore…
Mais, pour beaucoup, malgré les vies humaines en jeu, en dépit des enjeux liés au respect de l’État de droit et à la bonne gouvernance, ces affaires font jonction avec un autre débat, si elles n’en sont pas l’émanation, celui-là purement politique, à savoir l’éligibilité à la présidence de la République, dans un an, à la fois de l’actuel titulaire de la charge et de son principal opposant, 50 ans sous peu, arrivé troisième (15 % des suffrages) lors de la dernière élection.
Un vocabulaire de lupanar
À la Une donc, le sulfureux ‘’dossier’’ Adji Sarr, du nom de la jeune dame qui accuse le principal leader de l’opposition de viol et de menaces de mort dans un salon de massage, à la base d’une affaire politico-judiciaire rendue abracadabrante par des intoxications médiatiques émanant de toutes les parties, par le biais de personnages eux-mêmes devenus célèbres par leur sanctification populaire via YouTube, Facebook et la porosité des plateaux télés. Dans un récit mêlant sexe, mensonges et audio salaces sur fond de manipulations émanant de toutes les parties, le scénario d’une mise à mort sociale du leader du Pastef devant les tribunaux se met en place, à moins que le juge Maham Diallo, chargé de l’affaire, ne rende une décision de non-lieu, lui qui en est toujours à l’audition des témoins et tiers impliqués. L’enjeu : une éventuelle condamnation pénale qui rendrait le principal challenger de Macky Sall inéligible à la prochaine Présidentielle.
En attendant, c’est à coups d’enregistrements sauvages que les parties en cause cherchent à gagner les faveurs de la rumeur publique, en laissant sur ce ring beaucoup de sang virtuel. De l’autre côté, le chef de l’État s’en tient à son ‘’ni oui ni non’’ sur ses intentions supposées de briguer à nouveau les suffrages de ses électeurs, contrairement à ses engagements.
L’air de rien, alors que toutes les attentions sont portées sur lui, Macky Sall déroule un agenda qui, dans les faits, semble élaboré de longue date. À Tambacounda depuis hier, il revient d’une tournée internationale qui l’a mené aux USA, au Japon et en Turquie. Comme il l’avait promis, son Premier ministre Amadou Bâ conduit un gouvernement ‘’de combat’’, en dépit de l’hostilité de l’Assemblée nationale, et introduit subrepticement des éléments de langage autour d’un ‘’coup gagnant’’ en 2024. Mieux, le parti du président de la République a lancé dans les quatorze régions des commissaires politiques censés encadrer la vente des cartes de membre du parti (avec un objectif de 1,5 million d’adhérents) avec comme mot d’ordre ‘’la victoire en 2024’’.
Si lui-même prend soin d’y mettre la forme en retardant son annonce solennelle, ses ministres et relais politiques ont levé leurs dernières préventions : dans la majorité présidentielle, la volonté de présenter Macky Sall au prochain scrutin est maintenant affichée. Officiellement pourtant, le principal concerné ne pourrait être accusé de se dédire après sa promesse contenue dans ‘’Le Sénégal au cœur’’, l’ouvrage qu’il a signé en 2018, à la veille de briguer la magistrature suprême une deuxième fois. L’interview accordée au ‘’New York Times’’, peu avant de s’envoler pour Washington où s’est tenu, il y a quinze jours, le Sommet États-Unis – Afrique, a toutefois fait pencher la balance d’un côté. ‘’Il est clair qu’aujourd’hui, il n’y a pas de débat juridique (NDLR : pour savoir s’il peut ou non se représenter). Maintenant, que je sois candidat ou non, c’est ma décision’’, y dit le président de la République. Mais avec un bémol : ‘’Quand je me déciderai, je le ferai savoir au peuple sénégalais.’’
‘’Troisième mandat’’
Des organisations de défense des droits humains et de la démocratie, comme Afrikajom Center ou la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme (Raddho), ont rappelé, en octobre dernier, qu’ailleurs en Afrique, le forcing pour un troisième mandat a eu des conséquences ‘’particulièrement tragiques’’, en référence à des précédents guinéen, ivoirien ou même sénégalais. Elles disent vouloir ‘’éviter à notre pays un scénario du chaos’’.
‘’La limitation des mandats à deux est sans équivoque et définitivement ancrée dans la loi fondamentale’’, ont-elles répété, en invoquant les déclarations et les engagements pris par le passé, verbalement ou par écrit, par Macky Sall lui-même.
Ses partisans entendent défendre l’idée d’un troisième mandat, en invoquant la révision constitutionnelle de 2016, qui remettrait les compteurs à zéro, d’après eux. À leurs yeux, dès lors que la durée du mandat est de 5 ans, son premier mandat, qui était de 7 ans, ne doit pas être pris en compte dans l’appréciation de sa supposée candidature à un troisième mandat en 2024.
Pris dans le brouillage de l’affaire qui oppose Ousmane Sonko à Adji Sarr et conditionné par l’agenda encore insaisissable de Macky Sall, le calendrier politique laisse peu de place aux amnisties annoncées de Khalifa Sall et de Karim Wade, deux autres présidentiables, car à la tête de formations ou de courants bien ancrés. Mais toujours écartés à cause de leur casier judiciaire entaché après leurs condamnations pour détournements de fonds publics et enrichissement illicite.
Le discours du 31 décembre du chef de l’État, que l’opposition promet de chahuter avec des concerts de casseroles, n’en est plus que très attendu.
Amadou DIOP