‘’Amsatou Sow Sidibé n’était pas ministre…’’
Moustapha Diakhaté, connu pour son franc-parler, n’y va pas par quatre chemins pour donner son avis sur le différend opposant Amsatou Sow Sidibé au régime. Sans détour, le président du groupe parlementaire BBY soutient que le leader de Car Lenen n’a en réalité jamais été ministre. L’ancien responsable libéral devenu responsable ‘’apériste’’ revient également dans cet entretien avec EnQuête, sur la situation à l’Assemblée nationale, l’absence d’organisation et de structuration qui mine la communication de son parti avant de se prononcer sur la crise sénégalo-gambienne.
Au cours d’une récente sortie médiatique, le Professeur Amsatou Sow Sidibé soutient qu’elle court toujours derrière son salaire depuis son limogeage. Comment appréciez-vous cette situation ?
Je suis attristé par le spectacle qu’offre le Pr Amsatou Sow Sidibé à l’opinion. Son niveau de responsabilité, en tant que professeur d’abord, ensuite en tant que leader politique, ne l’autorise pas à avoir ce type de comportement et à poser ce type de revendication. Mais de mon point de vue, elle s’est trompée de bonne foi peut-être. Elle considérait qu’elle était ministre alors que ce n’était pas le cas. Elle était conseillère du président de la République.
Donc selon vous, le leader de CAR Leneen, n’avait pas le rang de ministre.
Elle a été nommée par arrêté et elle sait que les ministres sont nommés par décret. Elle n’est pas donc concernée par la disposition qui stipule : quand un ministre quitte le gouvernement, il continue à percevoir son salaire pendant six mois. Cela ne concerne pas les conseillers du président de la République, fussent-ils spéciaux. Donc elle s’est trompée de bonne foi. Maintenant elle est en droit d’exiger qu’on lui donne l’arrêté le limogeant. Par cet arrêté, elle peut effectivement retourner à l’université et continuer à percevoir ses émoluments en tant qu’enseignante. Parce que c’est ce même arrêté qu’elle avait présenté à l’université pour que son salaire d’universitaire soit suspendu. C’est la même procédure qu’elle doit utiliser. Vraiment je crois que ce débat qu’elle pose n’est pas un débat à la hauteur du pays. Les Sénégalais ont d’autres préoccupations. Un enseignant notamment de son rang doit parler des problèmes collectifs des Sénégalais plutôt que des problèmes personnels.
Mais rester des mois sans salaire, c’est quand même difficile pour un responsable de famille.
Elle n’a qu’à demander son arrêté de limogeage qu’elle va présenter à l’université.
Elle dit avoir saisi la Présidence pour disposer d’une attestation de fin de fonction et de cessation de prise en charge, mais sans succès….
Je ne sais pas. Je ne suis pas à la Présidence de la République. Mais je ne suis pas sûr qu’elle n’ait pas reçu l’arrêté. Maintenant, ce que je crains et si c’est le cas, cela risque d’avoir des conséquences terribles pour elle, c’est de faire de la politique politicienne en termes de victimisation après son limogeage. C’est le Président Macky Sall qui l’avait choisie et qui l’avait nommée. C’est lui qui l’a déchargée de ses fonctions. Mais il n’y a pas à ameuter l’opinion pour cela. C’est une prérogative constitutionnelle du président de la République de nommer et de dégommer.
Après son limogeage, lui appartient-elle de demander son attestation de fin de fonction ?
L’arrêté de limogeage, certainement elle l’a. Je crois qu’elle fait de la victimisation mais franchement, ce n’est pas à son honneur. Vous savez qu’au Sénégal, on est maintenant habitué depuis quelque temps à cette stratégie de la victimisation en disant qu’on est persécuté pour occuper les médias et avoir ce qu’on appelle la gloire médiatique. Mais je crois qu’à son niveau, ces pratiques ne l’honorent pas à mon avis.
Le pouvoir ne tente-t-il pas dans cette affaire de l’étrangler ?
Mais écoutez ! Ce n’est pas vrai. D’ailleurs, c’est ce qu’elle cherche à véhiculer. On n’a pas besoin de l’étrangler. Quelle menace représente-t-elle ? Je crois que vous auriez dû lui demander quel a été son rendement à la Présidence de la République.
Ah bon ! Vous pensez qu’elle n’a eu aucun rendement à la Présidence de la République ?
Mais posez-lui la question. Je ne sais pas et je n’étais pas là-bas. Mais franchement, elle fait de la politique politicienne. Fondamentalement, elle sait qu’elle n’a pas droit à six mois de salaire après son limogeage parce qu’elle ne remplit pas les conditions d’un ministre de la République. Amsatou Sow Sidibé en tant qu’universitaire et juriste ne peut pas ignorer cela. C’est pourquoi je suis gentil en disant qu’elle s’est trompée de bonne foi.
Les conseillers du président de la République n’ont donc pas rang de ministre ?
Non. Les conseillers n’ont pas rang de ministre !
Mais souvent on dit ministre conseiller.
D’accord et alors ? C’est une appellation et rien d’autre. Il y a ministre virgule, conseiller juridique comme Ismaëla Madior Fall. Lui, il est nommé par décret, il n’est pas nommé par arrêté.
La situation à l’Assemblée nationale est de plus en plus complexe. Depuis la démission de Me Ousmane Ngom de son poste de député, personne ne l’a remplacé. Au même moment, Fada qui dit prendre acte de son exclusion du Pds remet au goût du jour la polémique pour le contrôle du groupe parlementaire ‘’Libéraux et démocrates’’. Que pensez-vous de cet imbroglio ?
Pour ce qui concerne le remplacement d’Ousmane Ngom, il y a une procédure parlementaire. Le bureau de l’Assemblée nationale s’est réuni et a été informé par son président de la démission de Me Ousmane Ngom. La procédure parlementaire prévoit qu’on appelle le suivant sur la liste. Et il doit être du même sexe qu’Ousmane Ngom pour ne pas fausser le jeu de la parité. Il se trouve que celui-là s’appelle Mamour Cissé et a dit dans les médias qu’il ne siègerait pas et qui a écrit au président de l’Assemblée nationale pour dire qu’il démissionne de son poste. De ce point de vue, moi je pense qu’il y a vice de forme puisqu’on ne peut pas démissionner d’un poste qu’on n’occupe pas. Or à ce jour, M. Mamour Cissé n’est pas installé comme député. Il n’empêche qu’on va le convoquer. S’il refuse de siéger, on va appeler son suivant du même sexe qui se trouve être M. Aliou Sow. Si lui aussi refuse de s’installer, on ira jusqu’à la fin de la liste. Maintenant s’il accepte de siéger, le problème est réglé.
Est-ce que Aliou Sow a fait parvenir sa réponse à l’Assemblée ?
Non non ! On ne l’a pas encore interrogé. On va d’abord appeler Mamour Cissé. S’il refuse de siéger, maintenant c’est à partir de ce moment que le tour d’Aliou Sow viendra.
Pour combien de temps le poste doit-il être vacant ?
Déjà le bureau de l’Assemblée s’est réuni et la procédure est enclenchée. Lors de la toute prochaine plénière, certainement le député qui va remplacer Djibo Ka sera installé tout comme le député qui va remplacer Me Ousmane Ngom.
Et qu’en est-il du cas Modou Diagne Fada ?
Les gens parlent aussi du cas d’Aliou Sow en disant que lui non plus n’est pas du Pds et que par conséquent, il ne peut pas être un député de la liste du Pds. Il y a un débat juridique qui est posé dans l’espace politique. Il y a également le cas Fada qui a été exclu du Pds et à qui, de mon point de vue, on ne peut pas appliquer la disposition constitutionnelle qui dit qu’un député qui démissionne de son parti perd son mandat. Parce que Fada a été exclu. Pour ne pas laisser s’installer ces débats inutiles, je crois que ce qu’il y a lieu de faire, c’est que les autorités compétentes notamment le président de la République, aident l’Assemblée nationale à saisir le Conseil constitutionnel pour lui demander son avis qui va avoir force de loi.
Y-a-t-il des démarches entreprises dans ce sens ?
Pour le moment non. Mais je crois que c’est cette voie qu’on doit prendre parce que je ne veux plus qu’on installe le débat juridico-politique où chacun s’autoproclame spécialiste. Or au Sénégal, le juge constitutionnel, c’est-à-dire le juge qui est chargé de la bonne application de la Constitution, c’est le Conseil constitutionnel. Il faut qu’on lui restitue la totalité de ses prérogatives. Quand, au sein d’une institution, il y a un problème d’interprétation de la Constitution, nous devons faire recours au Conseil constitutionnel pour qu’il dise ce que prévoit la Constitution par rapport à la problématique posée. C’est vers cela que je veux qu’on aille. Et à ce titre, je crois que le président de la République le fera le moment venu.
Modou Diagne Fada dit prendre acte de son exclusion du Pds. Me Abdoulaye Babou en déduit qu’il a démissionné de fait et qu’il devait perdre son mandat. Quel commentaire cela vous inspire ?
Franchement, je pense que Fada fait dans la communication. Il a été exclu du Pds, il doit en tirer les conséquences, c’est-à-dire, continuer son chemin et ne pas rester là à faire de la politique politicienne. Il n’a pas à prendre ou à ne pas prendre acte. Il est exclu, il n’est plus du Pds. C’est tout.
S’il n’est plus du Pds, peut-il toujours continuer à diriger le groupe parlementaire Libéraux et démocrates ?
C’est la raison pour laquelle je demande au Conseil constitutionnel de nous aider à régler ce problème définitivement. Pour le présent et pour l’avenir de l’institution parlementaire. Quand je fais recours au Conseil constitutionnel, c’est pour que le débat soit clos.
Fada est dans une dynamique de mettre sur pied sa propre formation politique…
(Il coupe) C’est de son droit puisqu’il est exclu du Pds.
Oui d’accord, mais s’il met en place son parti politique, pourra-t-il garder son mandat de député ?
Je ne suis pas juge constitutionnel, je suis parlementaire. Le juge de l’application de la Constitution, c’est le Conseil constitutionnel. C’est pourquoi je demande au président de la République de demander au Conseil constitutionnel de nous éclairer sur ces cas de litige et donner un avis qui va nous lier tous pour le présent et pour l’avenir. C’est de l’intérêt de tout le monde.
Fada est un responsable politique qui a une certaine représentativité. Dans son fief, il a réussi à gagner lors du précédent référendum…
(Il coupe) De quel fief vous parlez ? Mais il a été battu dans son département. Il devait même démissionner lui aussi du Conseil départemental parce qu’il disait que si Macky Sall perd, il doit en tirer les conséquences. Fada aussi doit tirer les conséquences de sa défaite dans le département de Kebémer. Tout comme Idrissa Seck d’ailleurs. Il fait le mort et refuse de répondre à ces genres d’interpellations.
Mais Idrissa Seck nie avoir perdu à Thiès.
Idrissa Seck a été battu à plate couture. Il est président du Conseil départemental de Thiès. Il n’a pas gagné une seule collectivité locale à part Thiès Est, Thiès Nord et Thiès Ouest. L’écart qu’il y avait entre lui et les autres partis depuis 2004 est considérablement réduit. A la limite, Idrissa Seck, ce qui reste de lui, c’est une peau de chagrin politique. Il ne reste pas grand-chose de lui. La prochaine fois, ce sera fatal pour lui.
Depuis un certain temps, l’on note une cacophonie dans la communication de l’Apr. En un moment, le président Sall était même obligé de monter au front pour siffler la fin de la récréation. Y-a-t-il une amélioration à ce niveau ?
Le problème de l’APR, ce n’est pas seulement la gestion de son expression. On est dans un parti non structuré, non organisé. Nous sommes plus une masse informe qu’un parti politique au sens léniniste ou stalinien du terme. Les partis qu’on connaît sont des partis bien structurés aussi bien au niveau horizontal qu’au niveau vertical. Nous avons véritablement un problème d’organisation et de structuration. Et c’est ce qui explique cette cacophonie que nous avons parce que notre parole n’est pas assez élaborée et n’est pas assez partagée. En général, ceux qui parlent dans les médias le font selon leur niveau de compréhension des choses. Mais ils ne sont pas préparés à porter la parole du parti. Et malheureusement, cela crée la cacophonie. Moi je ne suis pas hostile à la polyphonie, c’est-à-dire que les gens puissent avoir des opinions différentes. Mais c’est la cacophonie qui est catastrophique. Et malheureusement pour ce qui est de la gestion de la parole, l’APR offre un spectacle piteux de cacophonie.
Des démarches sont-elles- entreprises pour la résolution de ce problème ?
Il appartient au président de la République de le faire, il est le chef du parti. C’est de lui que nous tirons toute notre légitimité. Je crois que c’est lui qui doit donner le cap, les grandes orientations et mettre en place les mesures idoines pour avoir un parti bien structuré, bien organisé. Le rendez-vous de Macky Sall avec les Sénégalais, c’est 2035, c’est-à-dire avec le Plan Sénégal émergent (Pse). Je crois qu’il lui faut un socle politique solide sur lequel il doit s’appuyer pour non seulement réussir deux mandats mais aussi permettre à notre parti d’élire un président de la République qui puisse continuer la vision jusqu’en 2035 pour qu’à cette époque, le Sénégal puisse revendiquer sa place parmi les pays émergents. Mais pour cela, il nous faut une force politique bien organisée, bien structurée et qui porte les préoccupations des Sénégalais.
N’y-a-t-il pas aujourd’hui une nécessité pour le parti de revoir sa structuration ?
Je ne dis pas la nécessité pour le parti mais plutôt pour le président de la République. Parce que c’est lui qui a créé le parti. Nous sommes venus répondre à son appel. C’est lui qui, de mon point de vue, doit engager les grandes réformes pour se doter d’un appareil politique solide, performant qui puisse prendre en charge les préoccupations des Sénégalais mais surtout les défis auxquels le Sénégal fait face.
A ce stade de son existence, est-ce que l’APR n’est pas aujourd’hui trop dépendante de Benno Bokk Yaakaar ?
Nous nous épaulons. L’Alliance pour la République (APR) est un parti jeune qui n’est pas assez organisé. C’est pourquoi Macky Sall ne peut pas seulement se suffire de sa formation politique. L’apport de partis plus anciens, peut-être plus expérimentés, est de mon point de vue positif aussi bien pour le président de la République que pour le Sénégal dans la mesure où cela lui a donné un cadre politique qui lui permet non seulement de gagner des élections, mais aussi de pouvoir dérouler le plan qu’il s’est donné pour notre pays.
Est-ce que cela n’est pas trop risqué si jamais le Ps ou un autre parti allié décidait de se présenter à la prochaine élection présidentielle ?
C’est un risque mais moi je ne le crains pas. Je ne crains pas du tout l’implosion de la coalition Benno Bokk Yaakaar. Vous savez que vous les journalistes, vous aimerez assister aux obsèques de cette coalition mais ce n’est pas demain la veille.
Vous êtes toujours optimiste malgré les rébellions notées au sein des partis membres de votre coalition ?
Mais c’est normal. Ceux qui se sont rebellés ont vu ce qu’ils pèsent, lors du référendum. Ce ne sont que des gloires médiatiques mais ils ne représentent pas leur parti d’origine. Ils ont perdu du terrain.
Faites-vous allusion à Khalifa Sall ?
Pas du tout ! Mais en tout cas, on a vu ce qui lui est arrivé. Je crois que le ‘’Taxawu Dakar’’ n’a pas pu être un ‘’Taxawu Khalifa’’. Il n’a même pas pu convaincre la majorité des maires élus sur la liste ‘’Taxawu Dakar’’ a fortiori d’autres Sénégalais. Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng sont de vieux routiers de la politique. Ceux qui ont engagé des batailles contre eux l’ont fait à leurs dépens. Vous savez que ce référendum a révélé beaucoup de choses aux Sénégalais et la leçon qu’on doit en tirer est que fondamentalement, les populations sénégalaises ne comptent absolument pas sur la ‘’sainte alliance’’, groupusculaire du NON pour améliorer leur vécu quotidien. C’est une ‘’sainte alliance’’ qui a été rejetée par l’écrasante majorité des Sénégalais et c’est le plus important. Cette victoire du Oui doit nous donner une nouvelle posture, de nouvelles attitudes vis-à-vis des Sénégalais.
Quel est votre avis sur la crise sénégalo-gambienne ?
Celui qui ne peut pas renaître ne peut pas choisir ses parents. On ne choisit pas également ses voisins. C’est par l’histoire que le Sénégal a un voisin qui, parfois, peut être encombrant, mais c’est un voisin. Je lance un appel aux uns et aux autres pour qu’il y ait du dépassement, pour qu’on comprenne que Sénégalais et Gambiens constituent le même peuple. Malheureusement, le peuple gambien a un leader assez ombrageux mais je crois qu’il n’est pas trop tard pour qu’il reprenne ses esprits et comprenne qu’il ne peut pas faire mal aux Sénégalais. Et dans cette bataille qu’il veut livrer à notre pays, il sera certainement le plus grand perdant.
Comment analysez-vous le silence du Chef de l’Etat ?
Qu’est-ce que vous voulez que le Président Sall dise ? Qu’il aille dans les médias pour s’attaquer à Yaya Jammeh ? Il n’est pas à ce niveau-là, ce n’est pas son genre d’ailleurs. Mais je crois que Macky Sall doit avoir mal dans sa chair. Il ne souhaite que du bien à notre voisin. Il ne veut qu’avoir des rapports de bon voisinage avec la Gambie. Son souhait est d’aider ce pays à se développer. Si Yaya Jammeh fait un effort minimum, il n’y aura aucun problème entre le peuple sénégalais et le peuple gambien. Maintenant, des efforts sont faits pour le transport maritime.
Je crois que ces efforts, il faut les accompagner par des voies de contournements de la Gambie en construisant des routes fonctionnelles tout autour de la Gambie pour permettre aux populations de se déplacer avec leurs biens. A ce titre, il y a une idée qui me traverse l’esprit depuis quelques années, je crois qu’il faut qu’on donne à ces communes frontalières avec la Gambie un statut spécial qui puisse leur permettre de s’épanouir davantage. Un statut notamment du point de vue fiscal, en termes de priorité d’investissements publics pour aider ces localités à se développer, à avoir des infrastructures performantes pour favoriser les échanges entre elles mais aussi avec le reste du Sénégal.
PAR ASSANE MBAYE & HABYBATOU TRAORE