La méthode Amadou
Souvent cité dans les guerres de positionnement aussi bien quand il était au pouvoir que dans l’opposition, Amadou Ba a souvent brillé par le silence et le camouflage. Aux attaques les plus frontales, il répond par le mépris le plus éloquent, toujours en mode focus sur la cible.
Qu’est-ce qu’il mijote encore ? La question se pose avec acuité. Mais Amadou Ba, comme à son habitude, préfère continuer à s’emmurer dans son silence. Comme au bon vieux temps. Quand, tout-puissant ministre de l’Économie et des Finances déjà, on lui prêtait toutes les ambitions du monde. Quand, Premier ministre, on l’accusait de placer ses pions pour prendre la place de son ex-mentor Macky Sall. Il a toujours répondu par le silence, avançant tranquillement, attendant sagement le moment opportun pour sauter sur sa proie, en véritable prédateur.
L’homme ne se laisse jamais disperser. Aux coups politiques les moins diplomatiques, il répond souvent par des actes en sourdine, loin de tout tumulte. Quand il a décidé de s’afficher en remplaçant du président Macky Sall dans la course à la Présidentielle, il a tout balayé sur son passage. Comme ‘’embarqué dans le tunnel de Soumbédioune’’, comme dirait quelqu’un, Macky Sall n’a eu d’autre choix que de le désigner comme candidat, alors même que beaucoup disaient que son favori était Abdoulaye Daouda Diallo, président du Conseil économique, social et environnemental. C’était l’aboutissement d’un travail de longue haleine.
Amadou Ba avait compris très tôt l’influence des alliés dans la marche de Benno Bokk Yaakaar. Pendant que ses adversaires le combattaient dans l’APR, lui misait surtout sur la grande coalition où des personnalités comme Moustapha Niasse, Aminata Mbengue Ndiaye, entre autres, continuaient de jouir d’une grande influence. Aujourd’hui ostracisé au sein de l’ex-parti présidentiel, Amadou continue de poser ses pions, en dehors et à la périphérie des instances du parti. Toujours en sourdine.
Selon plusieurs membres de son entourage joints par ‘’EnQuête’’, l’hypothèse de la création d’un parti est sérieusement envisagée. Certains disent même que cela devrait se faire bientôt.
Allié de l’ex-Premier ministre à la dernière présidentielle, l’ancien député Cheikh Oumar Sy n’a jamais caché ses conseils au ‘’banni’’ de l’APR. ‘’Personnellement, j’ai déjà donné mon avis sur cette question en disant clairement que son avenir politique est entre ses mains. C’est à lui de décider de ce qu’il va en faire et avec qui il va le faire. Je pense qu’il faut regarder vers l’avenir avec beaucoup plus de pragmatisme. Avec les échéances qui arrivent, je pense qu’il a un rôle à jouer. Ce qu’il devait faire avec l’APR, il l’a déjà fait, à mon avis’’, fulmine l’ancien parlementaire.
Pour lui, l’ancien candidat gagnerait à tourner la page APR. ‘’Il faut se tourner vers une nouvelle aventure. En tout cas au-delà d’Amadou, moi je ne donne plus d’avenir avec l’APR, ni avec Benno Bokk Yaakaar qui est en train de se chercher, avec le départ de la personnalité centrale qui en constituait l’épine dorsale (Macky Sall : NDLR)’’.
En réunion du Secrétariat politique exécutif le 30 mai dernier sous la présidence de son secrétaire général, l’Alliance des forces de progrès n’a pas non plus mis de gants pour prendre ses distances avec son ancienne coalition. Attribuant dans une allusion à peine voilée la débâcle électorale de Benno à l’APR, les camarades de Moustapha Niasse ont finalement pris la résolution de tourner la page. Pour eux, la défaite de Ba à la Présidentielle serait la résultante ‘’d’une succession d’initiatives inopportunes et de faits singuliers qui ont fragilisé le candidat qui a subi les contrecoups d’une image écornée de Benno Bokk Yaakaar et d’accords opaques’’.
Aussi parlent-ils de ‘’validation des propositions tendant à prendre tous les contacts nécessaires pour la création d’un large cadre inclusif de concertation capable de se hisser à la hauteur des impératifs de l’heure avec une direction collégiale composée essentiellement de jeunes, de la base au sommet’’.
L’AFP n’a pas manqué de rappeler son soutien sans équivoque à Amadou Ba. Les progressistes affirment, en effet, l’avoir ‘’soutenu avec constance et cohérence, conformément aux orientations et recommandations du congrès d’investiture du 17 décembre 2023”. En tout cas, il ne serait guère surprenant de voir Niasse et Amadou Ba, dans le cadre d’une nouvelle alliance à bâtir sous les ruines de Benno Bokk Yaakaar, dont on imagine mal la survivance sans ses ex-patrons, en l’occurrence Macky Sall, Moustapha Niasse et Aminata Mbengue Ndiaye.
Cette dernière a dernièrement posé des actes tendant à rapprocher le Parti socialiste de Khalifa Ababacar Sall.
Capitaliser sur le score de la présidentielle
En fermant la page APR et Benno, Cheikh Oumar Sy mise également sur la formation d’un nouveau cadre. Il rappelle la force que représente son allié : ‘’Il ne faut quand même pas l’oublier, bon an, mal an, il a réussi à faire 35 % de l’électorat. Je pense que c’est très important. S’il veut porter une coalition pour les Législatives, je pense que c’est plus pertinent de prendre ses distances. De toute façon, entre lui et ce qui reste de l’APR, il n’y a pas photo.’’
Il ajoute : ‘’Ceux qui sont là pour essayer de continuer l’héritage n’ont ni le leadership ni les capacités de mobiliser autour d’eux.’’
Interpellé sur la volonté prêtée à l’ex-PM de créer son parti, l’allié d’Amadou Ba dit n’être ‘’pas officiellement informé’’.
Amadou Ba, peut dans tous les cas, espérer construire quelque chose avec les ex-alliés de Benno. Mais à n’en pas douter, il ne manquera pas non plus de pêcher dans les eaux marron-beige où une fronde semble de plus en plus gronder. Dans le cadre de la tournée de l’APR officielle, l’étape de Kolda a été marquée par l’absence de plusieurs grands responsables. S’interrogeant sur l’absence de leur ancien candidat de la délégation, ils pestent : ‘’Nous regrettons les initiatives politiques à l’image de cette tournée aux antipodes de la lettre et de l’esprit de la circulaire du président qui, pourtant, rappelle à tous ‘l’impératif et les vertus de l’unité et de la solidarité, socles de la vitalité et de la pérennité de notre parti’’’, dénoncent-ils, exprimant leur ‘’préoccupation quant à la survie politique de l’APR avec de tels agissements’’.
Ont été cités parmi les absents Abdoulaye Bibi Baldé, Woury Bailo Diallo de Vélingara, le DG de la Sodagri Alpha Bocar Baldé et Aminata Diao. Durant la Présidentielle, Amadou Ba avait aussi le soutien de grands responsables comme Cheikh Oumar Hann, Doura Baldé, Zahra Iyane Thiam, entre autres. Il lui faudra bien plus de soutiens pour espérer faire des percées dans les bastions de l’Alliance pour la République, notamment dans le Fouta, le Sine-Saloum et le Sénégal oriental.
MOR AMAR