Kartiack, entre Bois sacré et business
Des centaines de jeunes du village de Kartiack ont répondu, samedi, à l’appel du Bois sacré, trente-trois ans après la dernière édition. Mais sur place, le business n'est pas en reste.
Il était presque 17 heures à Diatoumboune. Un quartier parmi les six que compte le village de Kartiack. Un tonnerre de coups de fusils artisanaux déchire le ciel. Debout, un peu isolées, des centaines de femmes, larmes aux yeux pour certaines, observent, impuissantes, la scène. Ultime étape avant le départ dans le Bois sacré. Les futurs initiés, entre regards anxieux, torses nus et crânes rasés, sont rassemblés tour à tour, par petits groupes, près d’une mosquée épuisée par le poids de l’âge et trahie par des travaux jamais bouclés, pour une ultime prière, au rythme de chants et danses.
Non loin, des initiés d’autres localités appelés «Adjankarour» - lesquels, à l’occasion, servent de facilitateurs dans l’organisation, de porteurs de repas ou d’eau, où chargés de missions dans le Bois sacré - chantent et dansent, ironisent et se moquent des jeunes filles et de leurs mamans. Celles-ci doivent d’un moment à l’autre se séparer de leurs enfants, neveux ou frères dans un mouvement d’ensemble où personne ne disposera de temps pour dire au revoir à l’autre. Quelques mots d’usage, consignes et recommandations, une dernière prière pour certains et le signal est donné.
Il est 17 heures passées lorsque prend fin le rituel consacré à cette dernière phase avant l’appel du Bois sacré. Tout est accompli. «Nioulonioulou bane» en langue diola. Les coups de fusils tonnent de plus belle dans une surenchère mystique d’adultes et de jeunes déjà initiés ceints de talismans protecteurs. Certains démontrent, pour une dernière fois, leur invulnérabilité en se lacérant le corps à l’arme blanche, au son de la flûte. La clameur monte. Puis le «cortège» prend la direction du Bois sacré pour un moment de réclusion initiatique dont la durée n’a jusque-là pas été révélée...
Entre festin, rituel et affaires
A Kartiack, ce samedi, des milliers de personnes d'horizons divers ont assisté à l’entrée des jeunes garçons dans le Bois sacré de ce village d'environ 4000 âmes et devenu trop étroit. Entre vendredi et samedi, trouver où dormir relevait d’un véritable calvaire. Des abris provisoires mis en place un peu partout dans le village pour accueillir les hôtes ne pouvaient pas contenir les populations obligées - pour bon nombre - de passer la nuit à la belle étoile.
Le «Boukout» en milieu diola est l’événement le plus festif. A l’occasion, des centaines de bœufs ont été tués. Une partie de la viande est distribuée aux parents et amis venus de partout, une autre servant pour les repas. Le temps d’un week-end, le principal axe routier (Boucle du Boulouf) du village s’est transformé en centre d’affaires où se sont côtoyés marchands, acheteurs, badauds, le tout dans une ambiance agrémentée par des klaxons assourdissants de véhicules et motocycles.
«On se croirait au marché Sandaga», lance un passant. «Je ne reconnais pas mon village», avoue Mamadou Lamine Badji, le directeur de la rédaction du quotidien EnQuête, trouvé dans la demeure familiale. C'est vrai qu'il n'y a pas mis les pieds depuis belle lurette. Le jeune Pape Diarra, comme la plupart des vendeurs établis à Kartiack, est venu de Bignona, installé ici pour trois voire quatre jours afin d'écouler sa friperie. «Je rends grâce à Dieu. Les affaires marchent bien. Je suis arrivé hier (vendredi) et en moins de 24 heures, j’ai pu gagner un peu plus de 15 000 francs Cfa.» Sur place, on trouve toutes sortes de spéculations. Comme le gasoil. Un coin est même aménagé pour servir de temple aux disciples de Bacchus, aux SDF et aux noctambules.
HUBERT SAGNA
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