Publié le 15 May 2024 - 15:30
SUSPENSION DES TRAVAUX SUR LE LITTORAL

Sonko donne un délai de 2 mois

 

Après le flou sur la mesure de suspension des travaux sur le littoral à Dakar révélée il y a quelques jours par l’architecte Pierre Goudiaby Atépa, le Premier ministre Ousmane Sonko rectifie le tir en encadrant la décision aussi bien dans le temps que dans l’objet.

 

C’est Pierre Goudiaby Atépa qui avait donné l’information, il y a environ deux semaines. Sur la télévision nationale, il disait : ‘’Nous attendons le Premier ministre sur ce qu’il a dit. Il avait dit qu’il allait tout raser... Mais au moins, ils ont fait arrêter toutes les constructions sur le littoral, sur la corniche, depuis avant-hier et je m’en réjouis personnellement. Tout !’’

Quand l’homme d’affaires le disait, de hauts représentants de l’État n’étaient même pas au courant. A fortiori les principales personnes visées par la mesure. Par la suite seulement, une voix autorisée, en la personne du chef de la Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation du sol (Descos) est montée au créneau pour confirmer la version servie par le célèbre architecte.  

Depuis, c’est le branle-bas chez les acteurs des BTP et autres promoteurs immobiliers. Jusqu’à ce que le journal ‘’Le Quotidien’’ annonce que la mesure a été rapportée par les autorités. Dans sa chronique du lundi 13 mai, avant-hier, le journaliste Madiambal Diagne disait en post-scriptum : ‘’Bravo à Diomaye et Sonko de ne pas persister dans l’erreur.’’ Selon lui, ‘’les autorités ont très vite pris la mesure des dégâts que pouvait provoquer la mesure annoncée le 28 avril 2024 par l’architecte Pierre Goudiaby Atépa de suspension unilatérale des chantiers de construction sur la corniche de Dakar’’. À l’en croire, ‘’c’est ainsi que le tandem Diomaye-Sonko a fini par autoriser les promoteurs et autres propriétaires à poursuivre leurs travaux’’.

Aussi, les félicitait-il ‘’pour cette humilité’’ en les encourageant ‘’à plus de vigilance quant à des conseils a priori désintéressés, mais qui pourraient avoir des relents de conflits d’intérêts ou de petits règlements de comptes’’.

En effet, souligne le journaliste, un des plus grands promoteurs impacté par la mesure lui aurait confié ‘’son étonnement devant cette mesure brutale, après qu’un proche du nouveau régime’’ a échoué dans sa volonté de ‘’lui confier un marché de suivi de ses chantiers’’. Le journaliste n’a pas cité de nom.

Malgré la reprise constatée sur le terrain de certains chantiers, le gouvernement n’a jamais voulu assumer une quelconque reculade en ce qui concerne cette mesure certes largement saluée, mais qui était très contestable d’un point de vue purement juridique.

Reprise des chantiers sur la corniche

Ce qui avait poussé ‘’EnQuête’’ à se poser les questions suivantes dans son édition du 30 avril :  ‘’Où est donc l’acte administratif sur lequel repose cette suspension des chantiers sur le littoral ? Quand et où a-t-il été pris par les autorités ? Les titulaires de titres ont-ils reçu notification de cette suspension ?’’ Après avoir essayé de joindre le directeur de la Dscos en vain, votre canard relevait les nombreuses réserves émises contre la décision non écrite et qui émanaient jusque des rangs de l’Administration. ‘’On ne peut pas se lever un jour et décréter une telle mesure de manière aussi informelle. On ne peut pas prendre une telle décision sans l’encadrer. Ça pose un véritable problème”, confiait un spécialiste du droit immobilier.

Pour beaucoup, l’arrêté publié hier par le Premier ministre Ousmane Sonko permet au moins de corriger ce vice dans la décision portant suspension des constructions sur la corniche.  Lequel prévoit la ‘’création d’une commission ad hoc chargée du contrôle et de la vérification des titres et occupations sur les anciennes et nouvelles dépendances du Domaine public maritime dans la région de Dakar’’. La commission ainsi créée, selon l’article 1er dudit arrêté, est placée sous la tutelle de la primature et elle est chargée ‘’de procéder à la vérification de la légalité et de la conformité des titres délivrés et occupations faites dans les zones ciblées’’.

La commission en question, souligne l’article 2, est placée sous la présidence du ministre secrétaire général du gouvernement. Elle est coordonnée par le ministre des Finances et du Budget et son secrétariat est assuré par le ministre chargé de l’Urbanisme. Sont aussi membres : trois représentants de l’Assemblée nationale, un représentant du Conseil économique, social et environnemental, un représentant du Haut conseil des collectivités territoriales, trois représentants du ministère des Finances et du Budget (Impôt, domaine et Cadastre), deux représentants du ministère de l’Urbanisme, un représentant pour les ministères de la Justice et de l’Environnement. Vont également siéger les représentants des collectivités territoriales concernées, le DG de la Dscos, le DG de l’Anam, un représentant de l’Ordre des avocats, de la Chambre des notaires, de l’Ordre des architectes, de l’Ordre des géomètres experts, et du Laboratoire national de référence dans le domaine du bâtiment et des travaux publics.

La plupart des membres de la commission sont impliqués dans les attributions objet des soupçons

‘’À titre conservatoire, souligne le texte à son article 4, instruction est donnée au directeur général de la Surveillance et du contrôle de l’occupation du dol, de procéder à la suspension de toutes les constructions et autres travaux sur les anciennes dépendances du Domaine public maritime dans la région de Dakar, pour un délai de deux mois, à compter de ce jour (13 mai 2024).’’

Quoique salutaire du point de vue de la forme et de la légalité, l’on peut s’interroger de la pertinence même de mettre en place une nouvelle commission, comme si l’État n’a pas en son sein des structures capables de faire le travail. Cette question est d’autant plus légitime que la plupart des structures qui vont siéger dans la nouvelle commission sont intervenues, d’une manière ou d’une autre, dans ce qui a contribué à l’installation de ce désordre sur le littoral que l’on veut combattre. Certaines à travers la Commission de contrôle des opérations domaniales (le gouverneur qui signe les baux, Impôts, Domaine et Cadastre qui font les attributions, Urbanisme qui délivre les autorisations de construire, l’Environnement et la Justice). Tous sont intervenus dans le processus.

Quid alors de la Dscos ? Certains experts se demandent où elle se trouvait pendant tout ce temps ? ‘’Si la direction n’a rien fait pendant tout ce temps, on peut présumer que c’est parce qu’elle n’avait rien à leur reprocher. Elle ne peut pas revenir aujourd’hui nous dire que ces gens sont dans l’illégalité. Ça pose problème…’’, analyse un de nos interlocuteurs.

La responsabilité de la Dscos, des Domaines, du Cadastre, de l’Urbanisme, des notaires…

Au-delà de ces structures de l’État, il y a également les notaires, les architectes et les géographes qui sont aussi mouillés. Pour ce qui est des notaires, c’est eux qui établissent les actes d’hypothèques à coups de milliards de francs CFA pour permettre aux promoteurs de mener leurs projets. Idem pour les géomètres qui ont fait les plans. Comment ces gens peuvent-ils remettre en cause ce qu’ils ont eux-mêmes fait ?

Telle est la question qui se pose avec acuité chez de nombreux experts. Lesquels pensent qu’il aurait été plus pertinent de saisir la Cour suprême, juge de légalité, pour avoir son avis. ‘’Cela aurait permis au moins de donner un avis qui pourrait prémunir contre certains types de recours. Avec cette commission, d’abord les avis n’ont aucune valeur. Ensuite, le risque d’être désavoué par le juge administratif est là. Si on avait demandé l’avis de la cour, même en cas de recours, le risque serait moindre’’, explique ce juriste spécialiste.

Dans sa sortie sur la RTS1, Pierre Goudiaby Atépa dénonçait l’appropriation privative du littoral par quelques privilégiés dans des conditions scandaleuses. Il revenait sur le procédé : “On l’achète à 2 450 F le m2 ; on se fait octroyer un bail ; on prend le même terrain, on s’organise pour le faire déclasser et le transformer en titre foncier. Ils prennent ce titre, ils l’amènent à la banque. La banque leur donne l’équivalent d’au moins un million de francs CFA le m2. Ils le revendent à 1,5 million le m2. C’est scandaleux”, dénonçait-il.

Pour lui, l’État devrait démolir ce qui doit l’être. Pour le reste, mettre en place des taxes qui devraient revenir à la municipalité. “Nous avons suggéré des taxes de privilège sur le littoral. Quand vous faites un immeuble avec vue sur la mer, les locations ou ventes sont augmentées d’au moins environ 30 % qui reviennent à la municipalité”, avait-il expliqué, non sans insister que “le Domaine public maritime appartient à tout le monde”.

Dans notre édition du 30 avril, un haut fonctionnaire, tout en reconnaissant qu’il y a une part de vérité dans ce que disait l’architecte, invitait à aller jusqu’au bout en cherchant qui a vendu ces terrains sur le littoral. “En tant que journaliste, allez chercher qui a vendu l’hôtel Azalaï à ses actuels propriétaires ; aller voir qui a vendu une partie du Terrou-bi ; allez voir qui a vendu la cité Yérim Sow ; allez voir qui est derrière la cité Atépa ; allez voir qui a construit sur la bande des filaos à Guédiawaye...”, interroge-t-il dans une allusion à peine voilée.

 

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