Publié le 1 Apr 2016 - 23:46
TEL QUEL- ABDOULAYE DAOUDA DIALLO

Un loup dans la peau d’une chèvre

 

De son petit village peul perdu dans le Fouta au Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique, le chemin a été long pour Abdoulaye Daouda Diallo. Fidèle parmi les fidèles de Macky Sall et partial à souhait, ce froid politicien concentre toutes les critiques depuis le référendum. Le ‘’timide villageois’’ a également goûté aux délices de la vie mondaine. Ce qui le rend hautain, selon certains, alors que d'autres lui reconnaissent les qualités d’un infatigable travailleur et de quelqu’un qui a le sens de l’amitié.

 

Depuis quelques semaines, il est devenu l’objet de toutes les attentions. Abdoulaye Daouda Diallo est au centre de deux préoccupations majeures, deux brasiers : l’un électoral, l’autre sécuritaire. Dès l’ouverture des inscriptions sur les listes électorales, autant dire donc bien avant le référendum du 20 mars, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique reste la cible première de l’opposition. Celle-ci l’accuse de parti pris à tous les niveaux du processus électoral : enrôlement, publicité, organisation…  Dans les faits, ce quinquagénaire présenté comme un homme de confiance du président de la République n’a presque rien fait pour se placer hors des soupçons, et mériter ainsi la confiance des acteurs politiques.

Premier acte, une opération de confection de cartes nationales d’identité et de cartes d’électeur dans les locaux de la permanence de l’Alliance pour la République (APR) à Pikine nord. L’opposition crie alors à une stratégie de bourrage des urnes. Deuxième acte, le choix de la couleur des bulletins. Le blanc frappé d’un grand OUI de couleur noire pour son camp, et pour ses adversaires, le rose tirant sur le blanc avec un NON de la même couleur, presque invisible. Mais, le plus flagrant est sans doute dans les panneaux publicitaires du ministère en direction du référendum. Le OUI reste visible de loin, tandis que le NON est manifestement noyé à dessein. En réalité, son regard doux ne fait que dissimuler une autre facette de l’homme. ‘’Derrière cet air débonnaire se cache un redoutable tacticien, un homme de sueur froide. Politiquement, c’est un personnage sombre’’, témoigne un de ses proches.

Troisième acte et sans doute celui de trop, la publication des résultats du référendum avant la commission nationale de recensement des votes, surtout que ses chiffres se révéleront contradictoires à ceux de l’instance habilitée (40,42% de taux de participation, selon le ministre, 38,26%, d’après la commission). Un acte inédit, car depuis 2000 au moins, on n’a jamais vu un ministre chargé des élections faire pareil. Ce Sénégalais bon teint à l’accent marqué a beau être un économiste, inspecteur des impôts et domaines, il ne peut quand même ignorer certaines règles de l’administration. De la part d’un sortant de l’Enam (actuel ENA) (promotion 90-92), cela ne peut être traduit que par une mise en avant de sa casquette politique, au détriment de la neutralité attendu chez un organiseur d’un scrutin. 

Cette sortie ‘’malheureuse’’ a provoqué des tirs groupés contre l’ancien Directeur administratif et financier de Dakar Dem Dikk (il sera introduit chez Wade par Christian Salvy). L’opposition s’en offusque bien évidement, mais son camp aussi le rappelle à l’ordre. Pourtant, le jour même de la conférence pendant laquelle il a livré ses statistiques, le maire de Boké Dialloubé sermonnait le directeur de l’ARTP, Abdou Karim Sall, qui s’était présenté en personne dans les locaux du groupe de presse Walfadjri, coupable, selon lui, de violation de la loi électorale. Le lendemain, l’arroseur sera à son tour arrosé. Mbaye Ndiaye, son aîné au ministère de l’Intérieur, se charge de lui rappeler les règles du jeu. ‘’Il faut continuer à respecter les normes républicaines en la matière. (…) Je n’ai pas compris pourquoi il y a eu cette sortie du ministre de l’Intérieur pour donner des chiffres’’, recadre l’actuel ministre d’Etat.

Macky, plus un ‘’copain’’ qu’un Président

Quelques jours après, Djibo Ka enfonce le clou, en lui demandant de faire la part des choses. ‘’La prochaine fois, qu’il organise les élections de façon impeccable sur le plan matériel, mais qu’il ne plonge pas trop dans la mare de la politique politicienne’’, suggère le patron de l’URD. L’autre volet dont il a la charge est la sécurité dont on dit qu’il ne badine pas avec. Là, le ministre semble ériger le terrorisme en super priorité, même si sa stratégie, communicationnelle notamment ne convainc pas tout le monde. Bien qu’appelant au sens de la responsabilité, il n’hésite pas à proférer des menaces, y compris en direction des médias, leurs rappelant les possibles conséquences de la diffusion de fausses nouvelles.

Promu ministre délégué chargé du Budget au lendemain de la seconde alternance, ce quinquagénaire qui aime flotter dans ses amples caftans amidonnés va très vite passer à une étape supérieure. Un an cinq mois après cette première nomination, l’ancien étudiant de la Faculté des Sciences juridiques et économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar est bombardé ministre de l’Intérieur, en remplacement du général Pathé Seck. Cette confiance du président, il la doit à son sens de l’amitié. Il a su rester fidèle à Macky Sall pendant la chasse aux sorcières. D’ailleurs, il n’en est pas sorti indemne. Abdoulaye Daouda Diallo a été victime de la purge, la fameuse ‘’démackisation’’.

De Secrétaire général de l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal (IPRES) en 2008, il a été rétrogradé au poste d’adjoint au chef de Centre de Dakar plateau 1 (DP1) et Chef de bureau de recouvrement des Professions libérales entre 2009 et 2012. C’est exactement la période pendant laquelle Macky Sall a connu la traversée du désert.

Cou étiré, visage triangulaire et émacié, l’homme à la voix monocorde est issu d’une famille modeste d’un petit village peul dont la principale activité est l’élevage. Au plan des études, l’ancien pensionnaire de l’école primaire de Pété était un élève moyen. D’ailleurs, il a été renvoyé d’un collège de Saint-Louis à la classe de sixième. Il a dû retourner à Podor pour y faire le cycle moyen. Ce n’est qu’après le Bfem qu’il est revenu à l’ancienne capitale du Sénégal, au lycée Charles De Gaulle d’où il sort titulaire d’un bac série B, avec la mention ‘’A bien’’, selon son CV. Une performance qui tranche d’avec les témoignages de deux de ses amis. En effet, Abdoulaye Daouda Diallo est présenté comme un garçon réservé, effacé, mais pas très brillant non plus, presque inexistant en classe. ‘’À l’université, il a toujours réussi ses examens à la session d’octobre. Ce n’est qu’en maîtrise qu’il a été admis à l’issue de la session de juin pour ensuite être reçu au concours d’entrée à l’Enam’’, souffle un proche.

Son front dégarni n’est donc pas le résultat d’un savoir encyclopédique, comme le veut la croyance populaire. Mais il est quand même un homme qui se tue à la tâche. Ceux qui le fréquentent, ses collaborateurs et ses soutiens sont unanimes sur le fait qu’il aime travailler. ‘’Il est pragmatique et efficace. Il veut que les choses aillent très vite. Il a beaucoup d’entrain et il entraîne tout le monde dans ce qu’il fait’’, lui reconnaît un policier. Si l’on en croit ce dernier, Abdoulaye Daouda Diallo est un civil qui connaît assez bien la terminologie militaire. ‘’Il est dans son élément. Dans le cadre du travail, il met tout le monde à l’aise, il est décontracté’’, ajoute-t-il.

Timide villageois devenu mondain

Seulement, l’ancien directeur général de la Lonase semble être piqué par la mouche fatale à tous ceux qui sont devenus riches. Aujourd’hui, le ‘’timide villageois’’ veut devenir un citoyen du monde moderne. Il a envie d’être ‘’in’’. Il épouse la célèbre notaire Tamaro Seydi qui, moins d’une année après, est allée accoucher en France. Le baptême des jumelles a eu lieu le 9 février dernier au 14ème arrondissement de Paris. ‘’L’une des filles s’appelle Fatoumata Chérif Aïdara, du nom de la mère de Tamaro Seydi. Tandis que l’autre s’appelle Ngoura Caroline. Ngoura est la mère du ministre de l’Intérieur, et Caroline, la grand-mère paternelle de la notaire’’, peut-on lire sur la page Facebook de son mouvement de soutien. Est-ce bien celui-là qui est ‘’ancré dans sa culture jusqu’à la moelle des os’’ ? comme le prétendent ses partisans .

S’étant sacrifié pour Macky Sall (il a beaucoup fait pour lui, dit-on), Abdoulaye Daouda Diallo est un peu le syndrome Alioune Badara Cissé. Il voit en la personne du Président plus un ami voire un copain que le chef de l’Etat du Sénégal. Membre fondateur de l’APR, il revendique sa légitimité auprès du patron. ‘’Il réclame une partie de la réussite de Macky’’, souligne une connaissance. C’est ce qui fait aussi qu’il est craint, puisque les gens connaissent sa place auprès du chef suprême. On lui prête également des ambitions ‘’primatoriales’’. A défaut, le ministère de l’Economie et des Finances.

Cependant, le revers de la médaille de cette amitié, c’est qu’il se donne certaines libertés dans les prises de décisions. De même, il est devenu hautain, assure-t-on. A Podor par exemple, il a fini par être inaccessible, contrairement à ses camarades responsables du parti. ‘’Aux dernières locales, après le scrutin, on lui a demandé de remercier les électeurs, mais il a refusé’’, se désole un proche. ‘’Depuis qu’il est devenu ministre, je n’arrive plus à le joindre. J’ai introduit des demandes d’audience sans succès’’, renchérit un ancien camarade de classe.

Le texto de Fatick

S’il est mesuré dans le gestuel, l’enfant du Fouta n’en est pas aussi modéré dans la décision. On se rappelle encore ce fameux message qu’il est allé montrer au Président Sall en plein Conseil des ministres décentralisé à Fatick. Le texto en question accusait les partisans de Mbagnick Ndiaye, responsable politique dans la zone, d’avoir agressé mortellement un adversaire de leur mentor. Sur la base de cette ‘’information’’, Mbagnick sera tancé par le chef de l’Etat. D’ailleurs, selon certaines indiscrétions, le ministre de la Culture et de la Communication a pleuré ce jour-là à chaudes larmes, même si le concerné dément. Dans tous les cas, après vérification, la nouvelle s’est avérée non seulement inexacte, mais surtout inexistante.

 Aujourd’hui, une chose est sûre, Abdoulaye Daouda Diallo est un ami sur qui le président Macky Sall  peut compter. Mais là où on a besoin d’une certaine neutralité politique, il n’est pas le profil idéal. D’où cette idée de plus en plus agitée consistant à le décharger des élections pour les confier à une personnalité neutre. En attendant que son ami de Président veuille bien franchir le Rubicon, le maire de la commune de Boké Dialloubé et ministre de l’Intérieur continue de veiller sur la sécurité des 14 millions de Sénégalais, dans un contexte marqué par l’hydre djihadiste qui ne cesse d’étendre ses tentacules dans la sous-région ouest africaine.

BABACAR WILLANE

 

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