Publié le 12 Dec 2012 - 22:05
SERIGNE CHEIKH ENTRE SENGHOR, DIOUF ET WADE

La cohabitation au gré des circonstances et des intérêts

 

Du Parti de la solidarité sénégalaise au processus de succession de Serigne Mansour Sy Borom Daara ji, Serigne Cheikh Tidiane Sy, érudit multidimensionnel et leader charismatique d'une branche de la Tidianya, est considéré comme un homme à la complexité légendaire que son silence étourdissant actuel ne fait que confirmer.

 

 

Au Sénégal, les rapports entre les familles religieuses et le pouvoir n’ont jamais été un long fleuve tranquille. Évoluant au gré des circonstances et des intérêts de circonstance, ce sont des liens souvent jalonnés de heurts. Cette réalité, la famille de la Tidianya n’y échappe pas. Car, l’un des membres de cette illustre famille, Cheikh Ahmed Tidiane Sy, guide spirituel du mouvement Moustarchidine wal Moustarchidati, mena une opposition farouche contre le premier président de la République, Léopold Sédar Senghor.

 

Parti de la solidarité sénégalaise

 

Fondateur du Parti de la solidarité sénégalaise (PSS) avec Ibrahima Seydou Ndao, Moustapha Wade et Ibrahima Niasse, Cheikh Tidiane, fils du khalife Babacar Sy, est l’un des premiers guides religieux à avoir investi le champ politique. Un engagement politique qui lui valut une incarcération en 1959 suite à des manifestations violentes à Tivaouane contre des résultats électoraux. Il y aura 2 morts et 32 blessés, selon le journal Paris-Dakar. Accusé de «détention illégale d’arme», il passe quelques mois en prison, à Dakar. Par tactique, stratégie ou renoncement, le Pss change alors de fusil d’épaule et appelle à la réconciliation avec le gouvernement de Senghor. La paix des braves est scellée en 1960. Cheikh Tidiane Sy «al Maktoum» est plus tard nommé ambassadeur du Sénégal en Égypte. Mais l’idylle ne dure pas longtemps car le marabout est accusé de «malversations» dans ses fonctions diplomatiques. Rappelé à Dakar en 1962, il est jeté en prison.

 

 

En 1963, le Sénégal renoue avec la violence. L’élection de Senghor à la tête du pays avec 100% des suffrages est vivement contestée. La manifestation des partis de l'opposition, regroupés dans «Démocratie et Unité sénégalaise» dont le Pss est membre est violemment réprimée dans le sang. Le bilan est très lourd : environ 40 morts et 250 blessées. Les partisans de Cheikh Tidiane Sy réclament sa libération, mais celle-ci n'intervient qu’à la faveur de «négociations» entre le Pss et le président Senghor. En 1981, le Sénégal change de régime. Senghor cède sa place à Abdou Diouf, et les acteurs politiques et maraboutiques sont contraints de faire évoluer leurs rapports au regard du contexte nouveau. Si le président Abdou Diouf jouit d’une estime auprès de la famille Tidiane, ses relations avec Cheikh Tidiane par contre deviennent tumultueuses. Reconverti dans les affaires, Serigne Cheikh entre justement en conflit avec Diouf. Prétexte : la «gestion peu orthodoxe» de la Sococim dont il était le dirigeant.

 

40 morts et 250 blessés

 

Mais comme dit l'adage, on ne résiste pas au temps. Celui-ci finit par assagir le bouillant et sémillant Cheikh Tidiane Sy. Le marabout au charisme débordant se fait de moins en moins présent sur la scène politique où il entend faire place nette à son fils, Moustapha Sy. Plus radical, le chef opérationnel des Moustarchidines, également leader du Parti de l’unité et du rassemblement (PUR), engage à son tour une opposition farouche contre le régime de Diouf. Ainsi, le 2 novembre 1993, il fait une sortie au vitriol contre le chef de l'Etat au cours d’un meeting à Thiès. Le 16 février 1994, les leaders de l’opposition d’alors, dont Abdoulaye Wade et Landing Savané, tiennent un rassemblement à Dakar pour réclamer la libération de leurs alliés emprisonnés. La manifestation tourne au vinaigre et se transforme en émeute ; 7 policiers sont tués. Plusieurs personnes sont interpellés dont Me Wade. Le ministre de l’Intérieur Djibo Kâ décrète la dissolution du mouvement Moustarchidine wal Moustarchidati. Moustapha Sy est jugé, condamné puis libéré le 12 septembre 1994 par grâce présidentielle. A sa sortie, il devient moins critique vis-à-vis du régime de Diouf qui le qualifiait d’ailleurs de «maître-chanteur».

 

Moustarchidines

 

En 2000, les Moustarchidines doivent faire face à un dilemme au second tour de la présidentielle opposant Diouf et Wade, en attendant le ndigël (NDLR : consigne de vote) de leur guide. Mais en portant son choix sur le futur perdant, soit Abdou Diouf, Serigne Cheikh perd son pari avec la victoire populaire d'Abdoulaye Wade et des forces sociales du pays. Depuis, il ne semble pas s'être remis de cette désillusion qui, pendant douze ans, pèse sur ses relations avec le régime de Me Wade. A cette même élection, un autre dignitaire tidiane a joué et perdu. C'est Abdou Aziz Sy «al Amine». Cet éternel porte-parole de la Tarikha tidiane avait également misé sur le président sortant pour lequel il avait donné une consigne de vote assez particulière qui a eu le don de heurter nombre de citoyens, dans et hors de la confrérie tidiane. A la différence de Serigne Cheikh, il prend le soin de se rapprocher très vite du nouveau régime dont il devient un farouche allié et défenseur.

 

Dabakh Malick

 

Trois ans avant cette présidentielle historique, le khalife Abdou Aziz Sy «Dabakh» est rappelé à Dieu. Considéré comme un vrai régulateur social, il a rarement hésité à interpeller acteurs politiques et sociaux dans les moments de tension. Les Sénégalais se souviennent encore de ce sermon dans lequel il apostrophe la conscience du commanditaire du meurtre du juge Babacar Sèye, assassiné le 15 mai 1993. Décédé le 14 septembre 1997, «Dabakh Malick» laisse un lourd héritage à son successeur, Serigne Mansour Sy Borom Daara ji. Un legs que ce dernier prend soin de gérer du mieux qu'il a pu, réussissant l'exploit d'éviter les pièges de la classe politique. Tirant des leçons du passé, il se garde de toute prise de position politique partisane, défend l'islam dans les colloques internationaux et prend la plume pour répondre aux détracteurs du Prophète (PSL) à chaque fois que les événements le lui ont imposé.

 

Après avoir abandonné son «mauvais cheval» de mars 2000, Abdou Aziz al Amine scelle d'excellents rapports avec Wade. Vu comme une éminence grise de la famille tidiane, il se spécialise un temps dans les bons offices, notamment lors de la violente guerre qui oppose deux camps du pouvoir menés par Abdoulaye Wade et Idrissa Seck. L'opinion se pose beaucoup de questions sur son implication dans cette histoire de «grands bandits» à l'heure du «partage du butin» entre Libéraux. Lui n'en a cure, son souci étant de préserver ses rapports avec le pouvoir tout en défendant les intérêts de la confrérie... Jusqu'à ce désaveu public des fidèles tidianes à son encontre après les grenades lacrymogènes d'Ousmane Ngom balancées dans la Zawiya d'El Hadj Malick Sy de l'avenue Lamine Guèye à Dakar...

 

 

DAOUDA GBAYA

 

 

 

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