Publié le 17 Feb 2013 - 20:05
GUERRE ENTRE BOULANGERS ET MEUNIERS

 Qui enfarine qui ?

 

Depuis le 7 janvier 2013, date à laquelle les meuniers ont décidé de remettre le prix du sac de 50 kg de farine à 20 600 F Cfa, les boulangers ont déclaré une guerre ouverte jusqu'à faire ramener le prix à 20 000 F Cfa, avec l'arbitrage du gouvernement. EnQuête vous livre quelques leurres et lueurs de cette guerre à base de poudre blanche.

 

 

''Les meuniers, en portant le sac de farine à 20 600 F Cfa, n'ont fait qu'appliquer les textes de 2010'', renseigne Momar Ndao, président de l'Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen). En effet, en 2010, dans le but de soutenir les fluctuations des cours mondiaux du blé, un accord fut trouvé entre les meuniers et les boulangers avec l'arbitrage du gouvernement. Cet accord avait permis de fixer le prix de la baguette de pain de 210 g à 175 F et le sac de farine de 50 kg à 20 600 F Cfa pendant que la tonne de blé était de 274 Euros (près de 180 000 Fcfa).

 

En janvier 2012, sur la demande des boulangers, arguant des délestages et autres hausses du gazoil, le gouvernement a sollicité et obtenu une baisse de 600 FCfa auprès des meuniers, ce qui ramenait le sac à 20 000 F Cfa. ''Pourtant, les boulangers n'ont jamais répercuté cette baisse au niveau de la baguette'', fulmine Momar Ndao. Suite à la flambée des cours du blé qui ont presque atteint le seuil de 320 Euros (près de 201 000 FCfa), les meuniers ont sollicité le rétablissement du prix du sac de farine à 20 600 F Cfa. Après un dilatoire de la part des autorités, ils ont appliqué la hausse de 600 F Cfa sur le sac. Ce qui a déclenché une grève très suivie de 48 heures des boulangers, les 4 et 5 février, exigeant le retour au prix de 20 000 F Cfa, comme c'était le cas il y a quelques jours. Et panique au sommet du pouvoir.

 

Voulant coûte que coûte apaiser la tension sociale, le gouvernement décide de faire annuler la hausse et de donner encore raison aux boulangers. ''En réalité, l'État a arbitré en faveur des boulangers, pour ne pas que la baguette augmente au détriment du consommateur. Mais ce n'est pas la véritable solution. Il devrait étudier la vérité des prix, parce que les boulangers ne répercutent pas les baisses du prix de la farine'', peste Momar Ndao. Avant de soutenir mordicus que le prix réel de la baguette est de 140 F Cfa au lieu de 175 F Cfa. ''Le décret n° 2004-102 du 6 février 2004, fixant les règles de production et de distribution dans la boulangerie, demande la suppression des intermédiaires. L’application de ce texte entraîne immédiatement une baisse de 25 francs. En plus, l'État a renoncé à la collecte ''de la taxe de 12 F Cfa ; ceci fait que la baguette ne doit pas coûté plus de 140 F Cfa'', argue le consumériste.

 

Quand meuniers et boulangers surévaluent les prix

 

Motivant la décision de l'État, Adama Saïdou Diallo, directeur du Commerce intérieur estime que le gouvernement s'est basé sur une étude de la structure des prix, fourni par ...les meuniers. ''Le gouvernement a analysé la structure des prix. Une structure des prix, c'est des postes. Il y a le coût, les droits de douanes, la conversion du blé en farine, le taux de rendement, les charges d'exploitations (électricité, frais bancaires, assurance) et la marge. Naturellement, quand on vend, on cherche un bénéfice. On a discuté sur tous ces points et on a abouti à une structure du prix standard de 20 000 F Cfa le sac de 50 kg'', informe l'inspecteur du contrôle économique. Cependant à en croire le directeur du commerce intérieur, ''certains postes ont fait l'objet d'une surévaluation''.

 

Mais les meuniers sont-il les seuls le faire ? ''Le prix du pain est surévalué. La structure des prix, sur laquelle le ministère du Commerce s’était basé pour déterminer le prix, est fausse. Elle est surévaluée sur presque tous les postes (les consommations de gas-oil, d’électricité, les assurances, le transport, etc.)'', analyse Momar Ndao. Mieux, ajoute-t-il : ''Les boulangers augmentent le prix du pain en diminuant son poids. La baguette qui coûte 175 Fcfa doit peser 210g, mais dans la réalité ce poids n’est pas respecté par la presque totalité des boulangers.''

 

Dans un communiqué largement diffusé dans la presse, ces derniers jours, les minotiers estiment leur perte à environ 13 milliards FCfa. ''Cet effort de baisse du prix du sac, à la demande de l’État, a fait subir aux meuniers une perte évaluée à plus de 3,5 milliards de F Cfa. C'est ainsi que la hausse conséquente de ces cours internationaux (du blé) pendant 2 ans a été entièrement absorbé par la meunerie sénégalaise et représente, là également, plus de 9,5 milliards de F Cfa de coût supplémentaire sur la matière première'', relève le document.

 

En réponse à cette missive, Amadou Gaye, président de la Fédération nationale des boulangers du Sénégal (FNBS) bat en brèche l'argumentation des minotiers. ''Les meuniers affirment avoir perdu plus de 13 milliards en deux ans et se portent pourtant comme un charme ! On peut logiquement se poser des questions sur les marges engrangées qui leur permettent de contenir un tel choc'', s'étonne-t-il. Logiquement, poursuit-il ironique : ''Avec une perte de cette ampleur, elles auraient dû être dans le coma''. Or, enfonce-t-il, ''nous notons que c’est l’une des rares filières où aucune fermeture d’entreprise n’a été enregistrée et qui, au contraire, continue de compter de nouvelles implantations. L’image que renvoie cette filière est donc bien loin de celle que les meuniers essaient de vendre à l’opinion.''

 

En outre, M. Gaye et compagnie confirment que ''ces mêmes meuniers qui réclament à l’État une hausse du prix de la farine accordent à certains commerçants des ristournes qui leur permettent de vendre le sac de farine à 18 500 FCFA''. Suffisant pour qu'ils soutiennent que ''le prix de la farine devait être homologué à 18 500 FCfa et nous ferons en sorte que l’État dispose de tous les éléments qui justifient le bien-fondé de ce prix qui est bien loin de ceux fournis par les meuniers''.

 

''Qualité douteuse'' du pain et de la farine

 

Pendant ce temps, la tendance haussière du blé risque de se poursuivre à cause des mauvaises conditions climatiques dans les pays producteurs comme l'Australie, la Russie, les États-Unis, entre autres. ''Le cours mondiale du blé ne va pas connaître de baisse dans un avenir proche. La conséquence pour les meuniers, si cette tendance haussière du cours mondial du blé se précise, est qu’ils seront obligés de jouer sur les autres coûts (réduction de main d’œuvre) ou disparaître du marché'', affirme El Hadi Alioune Camara, enseignant chercheur au Consortium pour la recherche économique et sociale (Cres).

 

Aujourd'hui, pendant que les consommateurs doutent de la qualité du pain qu'ils considèrent comme léger et peu nutritif, les boulangers renvoient la faute aux meuniers. ''Les meuniers fournissent une qualité douteuse de la farine'', note Amadou Gaye. Avant d'expliquer : ''En prenant un exemple simple, les normes sénégalaises en farine forment panifiable type 55 recommande maximum la teneur en eau à 12,5 m.s, la teneur en protéines (Nx 5,7) % m.s. = 10,5 à 12), etc. Ce qui donnait la possibilité au boulanger d’hydrater à 60%, chose impossible à cause de la mauvaise qualité de farine, qui se répercute sur la qualité du pain''. En langage clair, ''un sac de farine de 50 kg est mélangé dans les normes avec 30 litres d'eau. A l'état actuel, le sac ne peut pas absorber plus de 25 litres d'eaux, car le taux d'humidité n'est pas respecté'', justifie Gaye.

 

Interpellé sur la question, Adama Saïdou Diallo se montre prudent : ''Quand on a fait les prélèvements, on a vérifié le taux d'humidité qui correspondait au taux normal. Maintenant, ce sont des informations qu'on peut toujours vérifier, si c'est porté à notre connaissance, pour savoir si le taux d'humidité est toujours respecté à sa sortie d'usine.'' En attendant, c'est le consommateur qui semble être roulé dans la farine. Et la guéguerre meuniers/boulangers a fait une ''victime'' de taille, l'ex-ministre du Commerce, El Hadj Malick Gackou.

 

 

 

Alternative...

 

Pour ne plus subir le diktat du cours mondial du blé, un changement d'habitude alimentaire s'impose. ''L'alternative consiste à fabriquer du pain avec nos céréales locales. On aura un pain de qualité meilleur et à bon coût'', exhorte le chef Aly Baba Guèye, membre de l'Association des métiers de la bouche. Ce programme est d'ailleurs en cours avec l'Institut de technologie alimentaire (ITA) qui va bientôt lancer la première phase. ''Il y a un projet qui a été financé par la Banque mondiale dont les études sont terminées au niveau de l'ITA et qui sera bientôt mis en œuvre. Le projet consiste à mélanger la farine de blé avec certains céréales locales, comme le mil, le niébé (haricot), le maïs'', indique le directeur du Commerce intérieur, Adama Saïdou Diallo.

 

PAR PIERRE BIRAME DIOH

 

 

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