Les amitiés à l'épreuve des enjeux de pouvoir
Le potentiel de destruction que la politique exerce sur les relations interpersonnelles n'est plus à démontrer. Entre frères et sœurs de sang, amis éternels, amitiés remontant à l'enfance ou cultivées dans les combats d'idéal, il n'est plus possible aujourd'hui de compter sur les doigts des deux mains le nombre de «couples» que les enjeux de pouvoir ont littéralement fait exploser. A la lumière de la récente brouille entre Idrissa Seck et Oumar Guèye, EnQuête remonte un bout du temps pour exhumer quelques exemples de rupture...
IDRISSA SECK/OUMAR GUÈYE
Le dépit
C'est la dernière rupture de taille en date dans le champ politique sénégalais. «Je n’aurais jamais pensé que Oumar Guèye et Idrissa Seck allaient un jour s’opposer. J’ai même envie d’arrêter de faire de la politique». Cette réaction courroucée de ce haut responsable de Rewmi qui a préféré crier son dépit en off renseigne sur le drame qui a secoué la famille politique de l'ancien PM. Car, au-delà de l'antagonisme politique qui a surgi brusquement entre les deux hommes, et qui portait sur l'appréciation de la situation politique nationale, ce sont des relations de famille qui semblent avoir été définitivement brisées. On attend la suite...
ABDOULAYE WADE/IDRISSA SECK
«Le casse du siècle»
C'est sans doute le divorce politique et familial le plus médiatique de l'histoire institutionnelle du pays. Pomme de discorde, argent et pouvoir, comme d'habitude, comme toujours. Jeune compagnon du Pape du Sopi, à qui il doit tout ou presque (jusque dans sa fortune présumée, disent les mauvaises langues), Idrissa Seck gagne son estime et devient son homme de confiance après l'alternance de mars 2000, avec «tous les pouvoirs entre (les) mains». Une puissance qui, pour mille et une raisons, installe une sorte de dualité au sommet de l'Etat et sur laquelle vient se greffer un dossier ultra-politique : les Chantiers de Thiès. «Complot rampant» puis «debout», puis rien. Arrestations, instructions judiciaires discréditées, procès en diablerie et sorcellerie, emprisonnement de Seck et de présumés complices, libérations, non-lieu... Le pays aura perdu beaucoup de temps et sans doute d'argent dans ce véritable casse du siècle...
ABDOULAYE WADE/MACKY SALL
Enfer et paradis sur terre
Autre «fils», autre problème ! Moins en cours que Idrissa Seck, Macky Sall n'en est pas moins à une époque un vrai proche de Me Wade. Sinon, il n'aurait jamais été Premier ministre ni même président de l'Assemblée nationale. Réputé «poli», à la limite «docile», et moins incandescent que Seck, il fait son chemin avec fulgurance en neuf ans de pouvoir. Jusqu'à cette fameuse lettre convoquant Karim Wade, fils de son père, à venir dire aux députés comment il a géré les fonds de l'Anoci. Pour Me Wade, l'outrage est impardonnable et, surtout, ne peut échapper à la pendaison politique. On ne touche pas à un seul cheveu de Karim Maïssa Wade, le vrai fils bio ! Chassé du Perchoir de la Place Soweto, le Fatickois perd le nord et trouve refuge dans l'opposition, libérant tous ses mandats électifs d'alors. Une vie nouvelle commence pour lui. Huit ans après, les mondes ont changé. Celui des Wade est d'enfer, disloqué : le père est reclus à Versailles, le fils médite à Rebeuss. Celui de Sall ressemble à un paradis mais avec ses déboires au quotidien. Ce qui semble tout de même préférable.
TALLA SYLLA/MOUSSA TINE
«Tintin, mon petit frère !»
la rupture des relations (politiques) entre l'ex «boy» turbulent du jeu politique sénégalais et le très placide juriste aura surpris, mais pas tant que cela ! Les divergences entre les deux potes mais aussi entre Talla Sylla et d'autres responsables influents du Jëf Jël étaient assez profondes pour sonner le clash d'une aventure qui pouvait être plus porteuse pour le Sénégal. Car l'Alliance Jëf Jël, c'était un groupe à part sur la scène politique, avec des jeunes entiers, politiquement et socialement impertinents, porteurs d'idées novatrices, bousculant les habitudes des mammouths usés de la classe politique... Mais la politique a ses raisons que la raison simple ignore.
La querelle de leadership était entretenue par des militants qui, selon des sources digne de foi, racontaient que Moussa Tine (n°2 du parti) faisait «ombrage» au boss Talla Sylla. Le malaise est vite arrivé, mais les apparences sont sauves. «Moussa Tine, c'est mon petit frère, celui qui, après ma démission, a occupé avec brio le siège de député du Jëf Jël à l’Assemblée», témoigne Talla à l’endroit de celui qu’il appelle «Tintin». Et «Tintin», lui, n’en dira pas moins sur son ami, après avoir quand même créé son parti, l'Alliance démocratique Penco, avec ses dissidents, laissant son ex-mentor gérer l'hémorragie.
LANDING SAVANE/MAMADOU DIOP DECROIX
Argent et orientation
Le compagnonnage entre deux historiques de la lutte clandestine contre le pouvoir socialo-senghorien n’a pas résisté aux tumultes de la politique, d'aucuns diraient aux délices qu'offre l'exercice du pouvoir. Dans l'idéalisme de la gauche révolutionnaire, Landing et Decroix ont tout sacrifié et supporté répressions et brimades sur l'autel de l'émergence d'un Sénégal sorti des griffes de la néo-colonisation française. Mais il faut croire que la politique équivaut au diable, à moins que ce soient les politiciens qui sont eux-mêmes leurs propres démons. A l’origine de leurs différends, une crise interne liée à l’«orientation» de leur parti commun, And Jëf/Pads, face aux appels pressants du très machiavélique Abdoulaye Wade. Lequel ne se prive pas de faire mettre sur la place publique l'un des véritables objets de la guerre : un budget de plusieurs dizaines de millions de francs Cfa à «gérer» chaque mois et provenant des caisses noires du Palais. Le clash est inévitable car Landing honnit Wade et Decroix se base sur un congrès pour cheminer avec le pouvoir. Deux And Jëf doivent alors coexister. Sur les flancs, Madièye Mbodji et ses camarades optent pour une démarcation politique nette en mettant sur pied Yoonu askan wi (YAW)...
BARTHÉLÉMY DIAS/MALICK NOËL SECK
Faux jumeaux, finalement !
Ils avaient réussi à redonner un peu de vigueur et de mordant au Parti socialiste complètement groggy au lendemain de la présidentielle perdue de mars 2000. Avec leur fougue de jeunesse, ils ont ébranlé le wadisme en l'attaquant de front, sur tous les terrains. Fondateurs de Convergence socialiste, Barth et Noël ont transmis leur part de jeunesse combative et insouciante à un parti plus vieux que le Sénégal moderne qui manquait de souffle. C'étaient des jumeaux militants qui se distinguaient par la violence et l'adresse d'un verbe transformé en outil de communication anti-Wade. Et cela a marché. D'une manière ou d'une autre, ils ne pouvaient échapper à la prison. Ils ont dormi à Rebeuss ! Au lendemain des législatives, leurs trajectoires se disjoignent. L'un, extrait de bagne, est bombardé député. L'autre, qui voulait la tête du chef, se perdit dans les dédales de la contestation du leadership d'Ousmane Tanor Dieng et finit par s'exiler ailleurs, dans un imperceptible Front national dont on attend les premières salves anti-système.
ABDOULAYE BATHILY/MBAYE DIACK
La main de qui vous savez !
On a beau être de gauche, on n'est pas à l'abri de l'aimant du pouvoir. La preuve par Landing et Decroix. La preuve encore entre Abdoulaye Bathily et Mbaye Diack. Puissant secrétaire général de l'ex-Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT devenue LD), Bathily et son parti proposent alors à Me Wade les profils de Seydou Sy Sall et Yéro Deh pour siéger dans le premier gouvernement post alternance, en 2000, aux portefeuilles de l'Urbanisme et de la Fonction publique. Ces choix ne plaisent pas à Mbaye Diack qui accuse Bathily de vouloir le «marginaliser» alors qu’il est le n°2 du parti. Pour corriger l’«erreur», et sans doute pas pour renforcer ce parti allié, Me Wade nomme Mbaye Diack «chez lui», au poste de secrétaire général adjoint de la Présidence et ce, sans l’aval de la Ld/Mpt. Plus tard, Diack crée son parti (Union des forces patriotiques émergentes) et reste dans la mouvance présidentielle ainsi qu'à son poste à la Présidence pendant tout le règne de Wade...
ABDOU DIOUF-/MOUSTAPHA NIASSE/DJIBO KÂ
Une pomme de discorde nommée Tanor
Au Parti socialiste, en tout cas sous Abdou Diouf, les guerres permanentes pour la maîtrise du pouvoir ont toujours fait rage, avec des dégâts incommensurables. Entre Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, Djibo Kâ et leurs écuries respectives, on peut dire que c'est la crise des ego qui a précipité en 2000 dans l'opposition le plus vieux parti politique du Sénégal. Niasse et Kâ sont partis, emportant des franges importantes avec eux, car ils contestaient le choix politique (et affectif) de Diouf arrêté en faveur du technocrate Ousmane Tanor Dieng, consacré «hériter illégitime» d'une formation politique dont il ne connaîtrait à l'époque ni l'Adn ni les codes.
L'énormité des enjeux de pouvoirs se ressent nettement sur les rapports entre protagonistes. On parle de «haine viscérale» que les uns éprouveraient envers les autres, dans un système de réciprocité qui ne laisse place à aucun compromis. Il ne manquerait que des noms d'oiseaux à jeter en public contre l'ennemi. Mais en privé, on a bien eu en décalé, le 26 octobre 1984, le «boxing match» entre Niasse et Djibo dont les images font défaut. Si la vidéo sur téléphone portable existait à l'époque... Quelques langues perfides ont imaginé un scénario invérifiable : le trop peu bavard Diouf, désireux de purger l'appareil socialiste des Senghoristes historiques, aurait instrumentalisé Djibo dans la provoc'. Un «acte d’indiscipline» que Diouf sanctionne en excluant Niasse du gouvernement. Une idée de l'Afp venait peut-être de naître. Mais «l'ennemi commun» à Niasse et Djibo, Ousmane Tanor Dieng, est toujours là, occupé à préparer la présidentielle de 2000. Un scrutin qu'ils vivront en adversaires résolus à faire tomber Diouf. Ce qui arriva...
SENGHOR/MAMADOU DIA
Un mélodrame dramatique
«Président Dia», le dernier film de notre compatriote Ousmane William Mbaye, primé à Carthage (Tanit d'or en documentaire) et au Fespaco de Ouagadougou, est assez explicite sur cette sorte de culte que l'ancien président du Conseil vouait au premier président de la République. Un respect et une admiration qui contrastent avec les velléités putschistes prêtées à Mamadou Dia. Du reste, les historiens et les acteurs directs de ce conflit tirent dans le même sens : il n'y a jamais eu de tentative de coup d'Etat contre Senghor. Une grande partie des députés de l'Assemblée nationale membres du Bloc démocratique sénégalais (BDS, ancêtre du Parti socialiste) déposa une motion de censure contre le gouvernement. Mamadou Dia s'y opposa en faisant évacuer l'institution par l'armée. Mais l'initiative «satanique» des pro-Senghor est néanmoins votée le 17 décembre au... domicile du président de l'Assemblée nationale, Lamine Guèye. Arrêtée en compagnie de plusieurs de ses partisans, Dia est refoulé au bagne de Kédougou où il passa douze longues et pénibles années, en quasi isolement, après avoir été accusé de «haute trahison» en mai 1963. Aujourd'hui, on se demande à quoi a servi la grâce présidentielle du très pro-français Léopold Sedar Senghor à son défunt «ami».
MOMAR DIENG, DAOUDA GBAYA & ASSANE MBAYE