Publié le 19 Feb 2014 - 17:48
AÏSSATA TALL SALL (PORTE-PAROLE DU PARTI SOCIALISTE)

«Amadou Makhtar Mbow et Cie sont victimes d'un procès en sorcellerie»

 

Me Aïssata Tall Sall s’érige en bouclier de la CNRI, accusée d’avoir ‘’outrepassé ses prérogatives’’ avec l'avant-projet de constitution remis au chef de l'Etat. Pour le maire de Podor, le président Mbow et ses collaborateurs «méritent respect et admiration» plutôt que d’être jetés en pâture. C’était hier à l'Ucad en marge d'une cérémonie de remise de subvention aux étudiants ressortissants de sa commune.

 

«Le président de la République doit se passer de son parti»

«Il faut se souvenir que cette commission, née des conclusions des Assises nationales, est un des engagements du président Macky Sall quant à la réforme des institutions. Lorsqu’il est sorti vainqueur des élections de 2012, il a estimé, au-delà des assises nationales, dont il n’était pas une composante fondamentale (…), qu’il pouvait les reprendre par une Commission nationale confiée au président Amadou Makhtar Mbow.

La première lecture que j’en fais, c’est que le Président Macky Sall ne rejette pas les assises nationales. C’est Amadou Makhtar Mbow qui en a incarné la paternité. Le fait qu’il l'ait reconduit en est une indication claire.  La deuxième lecture, c’est qu’il a voulu faire, comme disent les Anglais, un  smatching, c’est-à-dire une fusion de ce qu’il peut prendre de bon et ce qu’il considérait comme irréversible dans son programme Yoonu Yokkute.

Il a voulu les mettre ensemble afin d’avoir, avec la CNRI, quelque chose qui puisse fixer le cap des réformes (…) Maintenant, le président Amadou Makhtar Mbow, avec les honorables personnalités qui l’ont accompagné dans ce travail d’investigations, de mise en cohérence des assises nationales et de Yoonu Yokkute, a rendu ses conclusions. C’est vrai que cela a suscité un tollé, j’allais dire national. Je ne comprends pas cela.

On ne peut pas invectiver, rejeter quelque chose qu’on n’a pas vu, pas lu et qu’on n’a surtout pas compris. Moi je suis avocat, je ne parle que de ce que je sais. Cette commission a travaillé, elle a réservé la primeur de son travail au Président Macky Sall qui en était le mandataire exclusif. Attendons que le rapport soit porté à notre appréciation. J’entends des récriminations quant au fait que le président de la République ne peut pas être chef de parti.

Abdoulaye Wade avait dit le contraire (…) Senghor était chef de parti, Abdou Diouf aussi, cela n’avait pas pour autant exacerbé les mandats présidentiels qu’ils avaient eus. Moi, je suis plus sereine par rapport à ceux que j’entends crier. Même si je pense que dans nos démocraties modernes, le président de la République doit se passer de son parti car le parti est partisan, alors que la République, elle, est totale.

(…) L’essentiel est qu’on dote le Sénégal d’institutions capables de nous gouverner dans la modernité, la stabilité politique. Comme disait Hillary Clinton, les institutions ne valent que par les hommes qui les portent. Il ne suffit pas de tracer un cadre. Il faut aussi des hommes vertueux qui sont au-dessus de leurs ambitions pour tenir le Sénégal. (…)

C’est un procès en sorcellerie qu’on est en train de mener contre Amadou Makhtar Mbow et les membres de sa commission. Si vous voyez la probité, le patriotisme des membres de la commission, on ne doit pas douter un seul instant que ces gens-là n’aient pas pu réfléchir pour le bien du Sénégal.

Il ne faut pas jeter le bébé et l’eau du bain. Amadou Makhtar Mbow a été au service du Sénégal dans des années difficiles. C’est lui qui a affronté Abdoulaye Wade pendant les assises nationales. Wade l’a menacé, (malgré tout) il a accepté la mission. Combien de Sénégalais se sont débinés à sa place ? Cet homme mérite tout notre respect, toute notre admiration, de même que tous les autres membres de la Cnri  (…)

«Parler de réforme des institutions sans toucher à la Constitution, c'est un coup d'épée dans l'eau»

L’objet fondamental de la Constitution, c’est de définir les institutions et puis de réguler les rapports de forces qu’elles doivent entretenir les unes les autres. Si on parle de réforme des institutions sans toucher à la Constitution, c’est un coup d’épée dans l’eau. Je ne suis pas d’accord avec cette conception des choses. Peut-être qu’il ne faut pas reprendre toute la Constitution. Ce n’est pas ce qui avait été demandé à Amadou Makhtar Mbow (et) je ne pense pas qu’il ait fait cela.

Je pense qu’il y a des dispositions fondamentales de la Constitution qui devront être revues. Ne serait-ce que par rapport au mandat du président de la République. Si on dit qu’il est ramené de 7 à 5 ans, il faut bien changer la Constitution. Je ne suis pas pour ces commentaires à l’emporte-pièce. Ainsi que je l’ai dit, le président de la République, comme dans un  libre-service, prendra ce qu’il pense être convenable pour le bien du Sénégal...

« (…) Les militants (socialistes) sont désarçonnés, désorientés...»

On ne m'a pas entendue car je n’ai pas assisté à ce débat-là (accusations de vente d’une partie du site de la maison du parti, NDRL). La seule chose que je sais, c’est que ce camarade (Ahma Diop) a fait sa sortie. D’après les échos que j’en ai eus, ce fut une sortie absolument inopportune, malencontreuse et qui n’est pas conforme à la réalité des faits. Je suis encore un  avocat, je le rappelle.

J’aime parler de ce que je sais et quand cela est conforme avec la réalité.(…) Je pense qu’il nous faut trouver des moyens pour entretenir les infrastructures et faire face aux charges. Je ne parle pas des militants, ils s’entretiennent eux-mêmes. Mais si tout se passe dans la transparence, il n'y a pas de quoi fouetter un chat.   

Les remous au Parti socialiste, oui, il y en a et il y en aura toujours. C’est un parti historique et vivant qui, aujourd’hui, est à la croisée des chemins. Le PS vit une situation inédite qui est d’être dans une coalition. Il n’a jamais eu une expérience comme celle-là. Déjà, ses expériences dans l’opposition n’avaient pas été tout à fait heureuses. Imaginez ce que cela peut être dans le pouvoir. Les militants sont désarçonnés, désorientés.

Parfois, ils ne comprennent pas les positions et les postures que nous adoptons. Tout cela, nous devons l’aborder  avec sérénité et responsabilité. Nous dire que nous sommes l’un des plus grands partis du Sénégal, que le parti ne nous appartient pas, que nous devons forcément passer le relais aux générations à venir qui endosseront les mêmes responsabilités que nous. Notre devoir, c’est de leur laisser un Parti socialiste intact, debout, massif, courageux.

«Ce n'est pas le débat qui (élira) le secrétaire général»

Ce n’est pas le débat qui fera le secrétaire général, encore moins la polémique. Ceux qui se positionnent ont le droit de le faire. Mais est-ce qu’on a le droit de le faire prématurément ? Voilà la question. Le PS (…) est un parti organisé qui a des statuts, une charte fondamentale du militant, une déontologie, une histoire. Il sait où il va et comment y aller. Aujourd’hui, il y a des renouvellements.

Évidemment, il y aura un bouillonnement dans les coordinations, les sections, les comités. C’est normal que les militants de base s’agitent, s’excitent, et même se mettent à s’invectiver. Mais nous responsables, qu’on ne rentre pas dans ce jeu-là. Qu’on attende. Il  va y avoir un appel à candidatures pour le poste de secrétaire général du Ps.

A ce moment, on saura qui est vraiment candidat et qui ne l’est pas. Avant cela, il n'y a que des commentaires par presse interposée, je ne pense pas que cela soit responsable. Quand le moment viendra, croyez-moi, je saurai assumer mes responsabilités dans un sens comme dans un  autre.

Le système Crei et le nazisme

(…). Pour moi, c’est une juridiction absolument anachronique. La Crei a été créée en 1981 par le président Abdou Diouf. A l’époque, les avocats, nos aînés en avaient dénoncé le fonctionnement et les mécanismes juridictionnels et judiciaires.

Ils avaient estimé que les règles de la Crei inversaient la charge de la preuve. Il revenait à l’incriminé de prouver qu’il est innocent. Cela n’existe nulle part dans le monde ! C’est dans le système nazi que cela existait. Ça ne peut pas être une référence pour les démocraties modernes.(…) Même si la loi est illégale, elle s’applique.

En 1993, Abdou Diouf avait engagé des réformes majeures à côté de la Crei en scindant le système judiciaire en trois parties : il avait créé la Cour de cassation, qui était la juridiction au sommet des litiges entre privés ; il avait mis en place le Conseil d’Etat comme juridiction au sommet des litiges entre l’Etat et les personnes ou entre les institutions elles-mêmes ; et il avait créé le Conseil constitutionnel qui était le juge de la loi, celui du président de la République et de l’Assemblée nationale.

Et dans la création du Conseil constitutionnel, il avait mis une disposition pertinente que bon nombre de citoyens ont semblé oublier : l’exception d’inconstitutionnalité qui dit que si la loi est illégale, on ne peut pas l’attaquer sauf le président de la République ou une majorité des députés à l’Assemblée nationale.

Mais lorsque le citoyen, dans le procès, est confronté à l’application de cette loi, il peut objecter et dire que cette loi ne me sera pas appliquée. (…) La CREI a été créée lorsqu’il n'y avait pas de procès équitable. Aujourd’hui, la notion de procès équitable est au cœur du dispositif du droit pénal. Un procès équitable, c’est donner des armes égales aussi bien à l’accusation qu’à la défense.(…)

DAOUDA GBAYA

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