Mon plaidoyer pour la démocratie sénégalaise
L’un de nos sujets de philosophie au Bac portait sur la liberté pour l'homme de dire exactement ce qu'il pense. Il était ainsi libellé " Peut-on dire exactement ce qu'on pense". Je me souviens qu'au sortir de la salle d'examen, j'ai eu peur d'avoir fait hors sujet. Je l'avais traité sous l'angle du langage. J'avais puisé mon argumentaire sur la souveraineté de la conscience prônée par Descartes, l'ineffable de Sartre, l'inconscient Freudien et le principe philosophique de l'entendement de Kant.
Un ami, aujourd'hui cadre de l'administration sénégalaise, l'avait traité sous l'angle de la liberté pure. Au final nous avions tout deux raisons puisque nous avions eu une bonne note. Le langage ou plus explicitement la liberté d'expression est un des fondements de la liberté. Le fait d'agir sans contrainte ni morale ni physique est une liberté absolue mais utopique.
C'est pourquoi j'ai toujours été d'accord avec Rousseau en ce sens que la liberté est " la soumission aux lois que nous avons nous mêmes prescrites". Et parlant de lois, de normes et prenant référence sur la démocratie, il est indéniable que le principe de base repose sur la liberté notamment sur la liberté d'expression. Celle-ci est le fondement de tous les autres principes démocratiques : la liberté pour la justice de dire convenablement le droit, la liberté pour les parlementaires de défendre correctement l’aspiration populaire par une expression libre et non téléguidée, et pour l'exécutif la liberté d'établir et d’exécuter des politiques économiques cohérentes et viables.
Vouloir contenir ce principe de base de la démocratie sous l'égide de ses propres intérêts n'est ni plus ni moins que bafouer les règles les plus élémentaires de la démocratie. Personne n'a le droit de vouloir et ne peut d'ailleurs contenir un peuple libre et refuser qu'il s'exprime.
J’ai alors choisi de faire un plaidoyer pour la stabilité de la Nation et des pouvoirs qui régissent notre état de droit au nom de notre vouloir vivre commun. Je prends ainsi prétexte des derniers développements de l’actualité politique.
Je viens de finir la lecture de l'ouvrage du Colonel Ndao " Pour l'honneur de la Gendarmerie Sénégalaise" coïncidant avec la déclaration du Chef de l'Etat, depuis les Etats Unis, sur "le brûlot" qui fait l'actualité.
Il n'est pas concevable que le Chef de l'Etat se substitue à la justice pour décréter des sanctions sur une personne soit elle membre de la haute hiérarchie de la gendarmerie. Il existe des femmes et des hommes choisis et formés pour sanctionner civilement ou pénalement toutes sortes de dérives au nom de la liberté qui est la soumission aux lois que nous avons nous même choisies.
Les tribunaux de droits commun tout comme ceux spéciaux comme le Tribunal militaire sont seuls habilités à dire le droit. L’exécutif n'a pas vocation à donner le ton sur les verdicts des tribunaux quand l'affaire est pendante devant la justice ou qu'elle n'y est même pas encore introduite pour instruction. La séparation des pouvoirs si chère à Montesquieu est incontournable dans une démocratie digne de ce nom. Sur cette prise de position prématurée elle est rudement mise à l’épreuve par celui qui devait en assurer la sauvegarde. Nous avons certes entendu le Ministre des Forces Armées ainsi qu'un Ministre Conseiller réagir en punissant avant l'heure le Colonel Ndao. Ces malheureuses sorties pourraient être rangées dans le cadre de l'excès de zèle de quelques soubresauts politiciens. Mais quand de telles dérives viennent du Chef Suprême des Armées et du Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, elles doivent inquiéter sérieusement.
L'exécutif concentre-t-il tous les pouvoirs au Sénégal ?
La question mérite réflexion compte tenu de la liberté qu'à celui-ci de se prononcer en lieu et place du pouvoir judiciaire pour sanctionner, sans aucun procès, un citoyen qui a choisi, en connaissance de cause, de dire ce qu'il dit savoir. Ne sommes nous pas dans une démocratie ? Et si la vérité était ailleurs où on croirait qu’elle est ? La prise de position du Chef de l’Etat est d'autant plus déplorable que nous savons que c'est parce que les lettres du Colonel sont restées sans réponses qu'il a préféré écrire un livre. Qu'en sera t il s'il lui est ôté ce droit de dernier recours ? Que peuvent espérer d'autres citoyens embastillés par des sans fois ni lois dans la sauvegarde de leurs propres intérêts ?
Je ne sais pas si le Colonel à raison ou non. Ce que je sais par contre est qu'il n'appartient pas à l'Exécutif, sans aucune forme de procès, de vouloir jeter l’anathème sur un citoyen qui "dénonce des écarts". Dans les grandes démocraties la vérité doit être recherchée puisque si les faits qui sont révélés son exacts, ils sapent les fondements de la République.
Nous devons apprendre à nous projeter dans l'avenir puisque comme disait Saint Augustin "face à une loi injuste, nul n'est tenu d'obéir". Si l'écoulement de la légalité constitutionnelle est constaté avec l'accaparement de tous les pouvoirs par l'exécutif, il y a lieu de s'émouvoir et de se poser des questions utiles. Cet état de fait conduit inéluctablement au chaos. Chacun sera tenté, sous prétexte que la loi ne protège plus personne, de faire sa propre loi. Nous devons éviter de tomber dans ce piège. Cette affaire devrait par conséquent être gérée avec la plus grande délicatesse. Il n'y a pas de place à un procès avant l'heure. Les conséquences de telles positions risquent d'être dangereuses pour la stabilité et la vitalité de notre démocratie.
Alors Monsieur le Président de la République, reprenez vous… !
Vous avez été élu pour être le gardien de la constitution et non pour mettre les pieds dans le plat. Vous devez sauvegarder les acquis et non les déchirer. Vous devez être au dessus de la mêlé et non dans la mêlé.
Avant vous, existaient au Sénégal la République et ses règles. Après vous, elles continueront d'exister. Vous devez les laisser en l’état si vous ne pouvez pas les faire avancer. Les dénonciations ne s'obtempèrent pas avec la cravache contre ceux qui dénoncent des exactions. Elles ne se résolvent qu'en mettant en place des mécanismes judiciaires autonomes pour sanctionner librement et justement ceux qui s'égarent des lois établies ou ceux qui prônent l'anarchie en tentant de troubler l’ordre public ou de saper délibérément le respect des lois et règlements. Toute autre voie empruntée serait démocratiquement injuste.
Abdou KEBE