Publié le 24 Jun 2021 - 01:32
INTERVIEW - DOUDOU SARR, COORDONNATEUR PAR INTERIM DU MOUVEMENT M23

 ‘’Des évènements de cette nature peuvent se reproduire, si…’’

 

Le mouvement M23 va célébrer son 10e anniversaire marqué par la division et les controverses liées à l’héritage de cette journée mémorable qui a vu le peuple sénégalais se lever comme un seul homme contre la réforme constitutionnelle de Me Wade. Dans cet entretien, Doudou Sarr, Coordonnateur par intérim du M23, revient sur la continuité de l’esprit du 23 juin et les raisons de la scission qu’a connue le mouvement, au lendemain de la deuxième alternance, en 2012.

 

Monsieur le Coordonnateur, on va célébrer le 10e anniversaire du mouvement M23. Quelle est la signification de cette célébration pour votre structure ?

Le M23 est un mouvement du peuple sénégalais. Pour être précis, on peut dire que ce mouvement n’est pas né le 23 juin 2011. C’est un mouvement fécondé par les nombreuses manifestations revendiquant l’accès universel à l’électricité, à l’eau potable et à l’emploi, depuis 2009 et 2010, dans de nombreux quartiers et villages, à travers le pays.  

De ce fait, lorsque la question du 3e mandat de Wade s’est posé, il y a eu une différence d’interprétation entre les constitutionnalistes et le peuple. Si les professionnels du droit s’écharpaient sur l’esprit et la lettre de la Constitution, le peuple, quant à lui, avait une autre lecture, à savoir : nous ne voulons pas que se représente celui qui n’a pas pu nous fournir de façon exhaustive l’électricité, l’eau et l’emploi, ainsi que l’accès à des denrées à prix soutenables.

 Ainsi, ces deux questions : le 3e mandat et celle de la non-reconduction du président de République qui n’a pas su répondre à la demande sociale ont convergé. C’est ce qui explique la configuration de la plateforme du M23. Depuis cette date, les problèmes qui ont entrainé les évènements du 23 juin, même s’ils ont été réduits pour certains, demeurent en partie problématiques, notamment la question de l’emploi des jeunes.

Donc, à vous entendre, un nouveau 23 juin est toujours possible, car toutes ces problématiques restent encore non-résolues ?

Le 23 juin est le surgissement du peuple sénégalais sur la scène politique, avec des structures d’auto-organisation et articulé autour des urgences du peuple sénégalais. Si des questions comme l’emploi des jeunes ne sont pas prises en charge avec plus de célérité, des évènements de cette nature peuvent se reproduire à nouveau. Mais il faut bien comprendre qu’il s’agit de mouvement non-partisan d’unité du peuple autour de ces urgences.

Les manifestations pro-Sonko de mars dernier, marquées par une révolte de cette jeunesse, ne sont-elles pas un avant-goût de ce nouveau 23 juin ?

Je ne pense même pas que toute la jeunesse sénégalaise soit sortie, lors de ces manifestations. Je crois toujours que quand la jeunesse sénégalaise sortira, aucune force ne pourra la retenir. Des secteurs de la jeunesse sont sortis manifester pour des problèmes socio-économiques rencontrés par les jeunes qui constituent 80 % des chômeurs.

Mais il faut aussi reconnaitre qu’il y avait des secteurs qui manifestaient aussi pour la libération de Sonko. Mon seul souci, sur cette question, c’est la division de la jeunesse par des forces politiques qui veulent s’accaparer du mouvement de la jeunesse. Ce projet ne doit pas se faire en opposant les jeunes les uns contre les autres, parce qu’il y a une unité des problèmes au sein de la jeunesse. Et cela ne doit pas se faire contre le caractère républicain de l’Etat. Il ne faut pas aussi opposer une partie des Sénégalais à d’autres.

Les origines du M23 sont source de controverses avec des membres de la société civile et des politiques qui en revendiquent la paternité ?

L’histoire nous dira que les initiateurs du 23 juin ne sont pas membres de partis politiques. Il ne faut pas confondre les mouvements de cette nature avec de larges coalitions politiques. Le M23 est un mouvement d’unité du peuple sénégalais. Un jeune chômeur membre du PDS et son homologue de l’APR ont tous les deux les mêmes statuts et les difficultés. On peut dire que le M23 transcende tous les mouvements politiques.

Plusieurs partis politiques qui se réclament de cette journée, vont participer à la célébration du 23 juin 2011. Qu’en pensez-vous ?

Il est compréhensible que la célébration du 23 juin soit impactée par des divisions politiques, parce que le M23 s’est toujours caractérisé par sa diversité et ses contradictions, depuis sa naissance (NDLR : 22 juin 2011). Mais il faut comprendre que le M23 est l’illustration du devoir d’unité. Les chômeurs, fonctionnaires et employés du privé, quelles que soient leurs tendances politiques, rencontrent les mêmes problèmes. Cela relève de l’esprit de division que de les séparer, sous prétexte d’antagonismes politiques, d’empêcher différents secteurs de la population de mener sur un plan intersectoriel un combat qui est commun pour résoudre leurs difficultés auxquelles ils font face, dans un contexte de menace djihadiste et de la rapacité des puissances pétrolières.

Que pouvez-vous nous dire sur les divisions au sein du mouvement du M23, avec la scission de Cos/M23 ?

Je pense que ce sont deux tendances d’un même mouvement. Cette division est due à des positions politiques, car des camarades estiment que leurs positions politiques impliquent qu’il y ait nécessairement séparation. Mais l’essentiel est qu’ils se réclament des mêmes valeurs.

 Le M23 a toujours été accusé d’avoir fait preuve de complaisance avec le régime de Macky Sall qui a été secoué par de nombreux scandales politico-financiers. Que répondez-vous à ces allégations ?

Le M23 a été la première organisation à fournir les données exactes sur le fichier électoral. Il a fallu 18 mois pour que les partis politiques puissent reconnaitre la véracité de nos chiffres.

En outre, lorsque l’opposition disait que le fichier était gonflé, le M23 a été la première et trop longtemps la seule organisation a précisé que le fichier faisait 6 102 000 électeurs. On peut se demander comment discuter avec des politiques qui ne se donnent pas la peine d’enquêter. Au Sénégal, on critique, mais on ne critique pas la critique. Le M23 a été aussi la première organisation, dans le cadre de Aar Sunu Momel (NDLR : Préservons notre bien commun) créé par nous-mêmes en partenariat avec le Forum civil, le Congad, le Forum social sénégalais, entre autres. Je crois que seul ce cadre lutte contre la corruption. Nous avons tenu des ateliers, des conférences de presse et des rencontres pour dénoncer tout ce qui est prédation économique et corruption dans ce pays.

Aujourd’hui, la plateforme M2D/Aar Sunu démocratie occupe le devant de la scène. Pensez-vous, d’une certaine manière, qu’elle peut être considérée comme un peu l’héritière de l’esprit du 23 juin ?

On ne peut pas la considérer comme l’héritière de l’esprit du 23 juin. Je n’ai rien contre ce mouvement, mais je le perçois, je pense qu’on a affaire à une coalition politique tout à fait normale.

Qu’en est-il du financement de votre structure ? Certaines sources indiquent que c’est le régime de Macky Sall qui la finance.

Je veux être clair : le M23 a toujours tiré ses financements de personnalités indépendantes, d’une part, et des politiques, d’autre part. Il est difficile de se rendre compte, parce que les personnalités indépendantes, dans la plupart des cas, veulent garder l’anonymat. Par ailleurs, nous avons comme principe général de ne jamais accepter des financements non-africains. Personnellement, j’ai toujours défendu le principe que 0,5 % du budget national soit dévolu aux organisations de la société civile. Les directions des partis comme l’APR, particulièrement les camarades chargés des organisations de la société civile, des leaders des organisations comme Taxaaw Teem, PS et AFP ont aussi participé aux financements de notre structure. Le seul problème, c’est l’absence de l’opposition dans le financement du M23. 

Ne craignez-vous pas que ces contributions de partis de la majorité présidentielle ne nuisent à votre indépendance d’action ?

Non, pas du tout. En 2012, on avait convenu avec le président Macky Sall que le M23 avait un devoir de critique publique sur les actions du régime. Mais le M23, ce sont aussi les organisations politiques.  Ainsi, lors du referendum constitutionnel en 2016, des contradictions internes nous ont empêchés de prendre position sur cette question. Car, il a été décidé que chaque formation politique va se positionner sur cette question, selon son entendement.

MAKHFOUZ NGOM

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