Tortue en vitesse de croisière
A moins de deux ans du démarrage de la production de gaz prévu en 2023 au large des côtés sénégalo-mauritaniennes, ‘’EnQuête’’ fait le point sur l’état d’avancement des travaux, leurs impacts sur le travail des pêcheurs… Un large focus est également ouvert sur la pêche, qui constitue la principale activité chez les communautés les plus proches de l’exploitation, aussi bien en Mauritanie qu’au Sénégal.
A dix kilomètres seulement des côtes sénégalaises et mauritaniennes, Grand-Tortue Ahmeyim sort tout doucement de l’eau. De la plage, on peut apercevoir le bout de quelques bateaux immobiles. ‘’Entre cinq et sept’’, précise Babacar Diop, la trentaine révolue, trouvé devant sa maison, à une vingtaine de mètres de l’océan Atlantique. Les yeux rivés sur la grande étendue bleue, le bonhomme se dit inquiet pour l’avenir de la pêche à Saint-Louis et au niveau de la zone frontalière. La plateforme gazière, dit-il, est exactement implantée dans une zone de pêche très riche, l’une des rares au large de Saint-Louis où lui et beaucoup de ses pairs se rendent quotidiennement à la recherche de dorades, sardinelles et autres variétés dont les ‘’sompates’’ (carpes blanches).
Le long des rivages, loin des grosses machines, c’est encore la routine. Il est presque 19 h. Quelques jeunes, glissés dans leur tenue de sport, font leur séance quotidienne d’entrainement, à côté des chèvres qui viennent paitre les restes d’aliments déversés sur la plage, des oiseaux qui ne cessent de tourner en rond, bruyant et l’air joyeux… Le spectacle à hauteur de Gokhou Mbacc est simplement magnifique sous un soleil couchant.
Pensif, Babacar s’interroge sur ce que son terroir va devenir, quand l’exploitation gazière va démarrer. ‘’Pour le moment, dit-il, nous ne savons rien de ce qui va advenir notre métier et notre quartier dans quelques années, malgré les explications vagues des représentants de l’Etat et des compagnies. Il n’y a pas de communication véritable pour tenir informé les communautés sur les véritables défis de ce projet, sur ses impacts dans la vie des populations. Nous sommes dans l’ignorance et l’inquiétude’’.
Marié et père de trois enfants, Babacar est définitivement rentré sur ses terres natales de Gokhou Mbacc pour espérer gagner sa vie aux côtés de ses proches, après avoir travaillé dans les bateaux coréens, notamment non loin des plateformes pétrolières au Gabon. Avec sa petite embarcation où il emploie environ cinq personnes, il avait coutume de se rendre à l’endroit même où la plateforme de GTA est en train d’être érigée.
Déjà, les impacts sont réels, selon lui. ‘’Cet endroit fait partie des zones les plus poissonneuses de Saint-Louis. Moi, je vais là-bas tous les jours. Mais une bonne partie est maintenant amputée à cause de la présence des bateaux. Ce n’est même pas sûr de les approcher. Gare à ceux qui s’y aventurent. Leurs filets vont se gâter à cause des balises en booy. Nous sommes contraints de rester dans les alentours, sans entrer dans leur périmètre. Actuellement, nous cohabitons encore, mais nous ne savons pas ce qu’il en sera dans les années à venir’’.
Dans le dernier virage
Sur place, les choses s’accélèrent, selon différentes sources. Les va-et-vient des bateaux, les mouvements dans l’océan, les grosses machines utilisées pour bâtir le fondement en enrochement sur lequel vont reposer les 21 caissons qui formeront un brise-lame long de plus de 1 200 m et dont le rôle est de protéger l’unité de liquéfaction du gaz contre les caprices de la mer…. Tout pour montrer aux riverains que GTA est presque imminent.
Longtemps dubitatif par rapport au projet GTA, M. Diop est aujourd’hui convaincu. ‘’Quand on parlait d’exploitation gazière ici, je n’y croyais pas. Je pensais que le démarrage allait prendre encore beaucoup de temps, qu’il faudrait vraiment avoir une espérance de vie très longue pour voir les premiers barils. Mais aujourd’hui, je n’ai plus le moindre doute’’.
A 250 km de Saint-Louis, au Port autonome de Dakar, 12 hectares ont été récupérés sur la mer, pour permettre à l’entreprise Eiffage de pouvoir réaliser les 21 caissons. Malgré des lenteurs induites par la pandémie à Covid-19, les ouvriers travaillent H24 pour respecter les délais de livraison initialement fixés à la fin de l’année 2021. Déjà, l’acheminement des premiers caissons fabriqués a commencé. A notre passage à Saint-Louis au début de ce mois, l’un de ces gigantesques bâtiments était déjà en mouillage dans les eaux de Ndiago, en Mauritanie, et son installation ne dépendait plus que des conditions météorologiques, selon les représentants de BP.
Pendant que les caissons sont en fabrication à Dakar au Sénégal, près de 2 millions de tonnes de roches (1,700 million tonnes plus exactement) étaient en train d’être extraites dans une carrière en Mauritanie, à 275 km de Nouakchott. Là-bas également, l’artillerie lourde a été déployée pour l’acheminement de ces quantités immenses de pierres qui devaient transiter par le port de Nouakchott, grâce à de nouveaux aménagements.
Responsable de la communication à BP-Sénégal, Ousseynou Diakhaté s’est voulu on ne peut plus précis sur l’état d’avancement des travaux. ‘’Nous sommes presque dans le dernier virage’’, se réjouit-il, non sans revenir sur l’envergure des travaux enclenchés aussi bien au Sénégal, en Mauritanie qu’ailleurs dans le monde. Pour lui, il y a de quoi être fier avec la construction des caissons en terre sénégalaise. ‘’Nous n’avons jamais connu de telles œuvres. C’est la première fois que des travaux de cette nature se passent dans notre pays. Pour vous donner une idée de la taille des caissons qui vont former le brise-lame, il faut savoir que chaque unité est comparable à un immeuble de 10 étages ; c’est à l’image de l’arc de triomphe en France. Comme vous le savez, l’exploitation est prévue pour une période d’environ 30 ans. Et ce sont ces caissons qui vont permettre de stabiliser et de protéger le FLNG (unité de liquéfaction du gaz). C’est donc un outil très important et c’est en fabrication dans notre pays’’.
Des chantiers inédits au Sénégal et en Mauritanie
Pour recevoir les 21 caissons construits par Eiffage au Sénégal, il fallut près de 2 millions de tonnes de roches (1,700 million plus exactement), extraites d’une carrière sise en Mauritanie, entreposées de manière minutieuse dans les profondeurs de l’océan. Au terme de cette délicate opération, les 21 caissons vont être installés selon un rituel bien particulier. Déjà, ces gigantesques édifices (largeur 28 m, longueur 58 m, hauteur 32 m pour un poids total de 16 000 tonnes chacun), sont en train d’être acheminés un par un vers les côtes sénégalo-mauritaniennes.
Par ailleurs, les travaux les plus importants et délicats du projet de GTA ne se passent ni au Sénégal ni en Mauritanie, mais entre la Chine, les Etats-Unis, Singapour, entre autres. Ousseynou Diakhaté explique : ‘’D’abord, il y a le FPSO (Floating Production Storage and Offloading) qui est en fabrication en Chine et qui sera installé à 40 km des côtes. Il s’agit d’une unité flottante de pré traitement du gaz, chargée de séparer le gaz du liquide. Après cette phase, le gaz naturel est transporté vers le FLNG (Floating Liquefied Natural Gas) qui est en fabrication à Singapour et qui va être installé à 10 km des côtes. Cette unité va permettre la transformation du gaz en liquide, pour permettre son exportation vers l’étranger’’.
Outre ces infrastructures, il y a également les conduites sous-marines qui vont permettre le transport du gaz des têtes de puits aux infrastructures de traitement et qui sont en fabrication à Houston, aux Etats-Unis.
Par rapport aux délais de livraison, celle du FPSO est prévue entre les 3e et 4e trimestres de l’année 2022, pour être prêt au démarrage au 1er trimestre de 2023. Pour le FLNG, la réception est programmée au 2e trimestre de l’année 2023. Ce sera l’ultime phase avant le démarrage de la production.
Le projet GTA va permettre de produire 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié par an destiné à l’exportation pour seulement l’équivalent de 500 mégawatts de gaz par jour (70 millions de pieds cubes de gaz) pour les marchés domestiques sénégalais et mauritaniens. Les réserves de ce gisement sont estimées à 450 milliards de m3 de gaz.
MOR AMAR