Sous le sceau de la sécurité et de la souveraineté

En visite officielle à Ouagadougou les 16 et 17 mai 2025, Ousmane Sonko, Premier ministre du Sénégal, a affirmé son soutien au gouvernement burkinabé dans sa lutte contre le terrorisme. Cinquième étape de sa tournée régionale, cette visite marque un tournant diplomatique fort, entre volonté panafricaniste et coopération sécuritaire renforcée.
C’est la cinquième étape d’une nouvelle diplomatie qui prend forme depuis sa nomination à la primature. Un mois après avoir été annoncé à Abidjan en mi-avril, Ousmane Sonko a finalement foulé le sol burkinabé, le vendredi 16 mai 2025, pour une visite officielle de quarante-huit heures. Après la Mauritanie, la Guinée, la Gambie et le Rwanda, le Premier ministre poursuit ainsi sa tournée sous-régionale, marquant par sa présence à Ouaga une inflexion symbolique et stratégique des orientations diplomatiques du Sénégal.
Accueilli avec les honneurs dus à son rang, Ousmane Sonko s’est entretenu avec le capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte au pouvoir depuis octobre 2022. À l’issue de cette rencontre, le Premier ministre a déclaré être venu transmettre un ‘’message de soutien absolu’’ au gouvernement burkinabé et au peuple ‘’dans leur lutte contre ce terrorisme qui leur a été imposé’’.
La convergence de vues entre Dakar et Ouagadougou ne date pas d’hier. Mais jamais elle n’avait été exprimée avec une telle clarté politique. Les gouvernements de Sonko et Traoré partagent une méfiance affichée à l’égard des ingérences étrangères. ‘’Il est illusoire de penser que cette épreuve subie par le Burkina Faso, le Mali et le Niger restera confinée dans les frontières de ces pays’’, a averti Sonko, soulignant qu’’’aucun pays de la sous-région ne sera épargné’’ si la menace djihadiste continue son expansion.
Dans cette perspective, la visite de Sonko répond à une double logique : diplomatique, en manifestant l’ouverture du Sénégal à une coopération renforcée avec des pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), mais aussi idéologique, en réaffirmant une posture panafricaniste qui dépasse les clivages institutionnels. Car si le Sénégal reste membre de la CEDEAO, il entend nouer un dialogue avec les régimes militaires du Sahel, au nom d’une solidarité civilisationnelle.
Tentative de refondation des alliances régionales
Au-delà des discours, le séjour burkinabé d’Ousmane Sonko a aussi été marqué par des gestes symboliques forts. Sa participation à l’inauguration du mausolée Thomas Sankara, figure emblématique du panafricanisme révolutionnaire, sonne comme une réappropriation des références de rupture. Le chef du gouvernement sénégalais semble vouloir inscrire son action dans la filière des leaders africains déterminés à rompre avec les paradigmes de dépendance extérieure.
Dans ce contexte, la rencontre avec Ibrahim Traoré n’est pas une simple formalité institutionnelle, mais une tentative de refondation des alliances régionales.
Pour les observateurs avertis, l’esprit de cette visite s’inscrit aussi dans une stratégie de rééquilibrage géopolitique. En tournant le regard vers des partenaires africains en rupture avec l’ordre néolibéral dominant, Sonko cherche à redéfinir la place du Sénégal dans le concert des nations ouest-africaines.
Loin d’être marginal, ce choix pourrait s’avérer précurseur si d’autres pays de la CEDEAO venaient à adopter une ligne plus autonome vis-à-vis des puissances traditionnelles.
Souveraineté et sécurité : un nouvel axe Dakar-Ouagadougou
La dimension sécuritaire a été le pilier central des échanges entre les deux délégations. Dans un contexte où la menace djihadiste ne cesse de s’étendre dans le Sahel, le Premier ministre Ousmane Sonko et son homologue burkinabé Jean Emmanuel Ouédraogo ont réaffirmé la priorité absolue accordée à la lutte contre le terrorisme. Bien que le Sénégal ne soit pas directement ciblé par les groupes armés, sa position géographique, sa frontière avec le Mali et son rôle historique dans les dispositifs régionaux en font un acteur clé dans la stratégie de sécurisation du flanc ouest de la zone sahélienne.
La coopération annoncée entre Dakar et Ouagadougou comprend notamment un renforcement du partage de renseignements, la mise en place de dispositifs de coordination militaire et un soutien logistique adapté aux réalités du terrain. Si les contours exacts de ces engagements restent pour l’instant discrets, la détermination affichée des deux parties laisse entrevoir la naissance d’un nouveau modèle de coopération Sud-Sud sécuritaire, moins dépendant des aides extérieures et plus ancré dans les priorités locales.
La spécificité de cette initiative tient à la confiance accordée au Sénégal par les pays membres de l’AES, malgré son appartenance à la CEDEAO. Ce positionnement singulier témoigne de la capacité de Dakar à jouer un rôle de passerelle diplomatique entre deux visions opposées de l’intégration régionale. Dans un climat de tensions entre l’AES et la CEDEAO, Sonko fait le pari d’un dialogue sans posture moralisatrice, misant sur la convergence des intérêts sécuritaires pour rétablir des ponts.
Au-delà de la sécurité, la visite a permis de poser les jalons d’une coopération multisectorielle : renforcement de la coopération culturelle avec une participation aux grands rendez-vous panafricains comme le Fespaco, le Dak’Art ou le Fesnac ; développement des échanges commerciaux via la création de partenariats public-privé structurants ; projet de création d’une chambre de commerce du Burkina Faso au Sénégal, outil de renforcement des liens économiques ; organisation prochaine de la 6e session de la grande commission mixte Sénégal-Burkina ; invitation officielle du Premier ministre burkinabé pour une visite au Sénégal dans les prochains mois.
La convergence entre les deux pays prend ainsi un tour opérationnel, avec des engagements concrets et un calendrier prévisionnel. Cette approche pragmatique est à même de déboucher sur des partenariats stratégiques durables, si elle se traduit par des réalisations tangibles sur le terrain.
L’enjeu, pour Ousmane Sonko, est double : asseoir la crédibilité internationale du Sénégal sur un nouvel échiquier ouest-africain en recomposition et incarner une diplomatie de rupture capable de conjuguer souveraineté, solidarité régionale et réalisme opérationnel.
AMADOU CAMARA GUEYE